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Réflexions autour des violences au sein du couple et de la famille

Le 27 mars 2009, une femme est morte à la Rivière Saint-Louis, tuée d’un coup de fusil, apparemment par le compagnon qu’elle avait quitté… Une de plus après tant d’autres. Quelle institution officielle ou quelle collectivité va-t-elle enfin traiter ce problème et ces drames récurrents autrement que comme fait divers symptomatique? Laquelle refusera de se […]

Ecrit par Pierrot Dupuy – le lundi 30 mars 2009 à 10H34

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Le 27 mars 2009, une femme est morte à la Rivière Saint-Louis, tuée d’un coup de fusil, apparemment par le compagnon qu’elle avait quitté… Une de plus après tant d’autres. Quelle institution officielle ou quelle collectivité va-t-elle enfin traiter ce problème et ces drames récurrents autrement que comme fait divers symptomatique? Laquelle refusera de se contenter que soit rétablie la tranquillité publique, en attendant le prochain épisode meurtrier? Combien de femmes à la Réunion, dont le couple est profondément désassorti ne voient-elles pas constamment avec terreur l’ombre de la mort planer sur elles?

Les femmes sont devenues insoumises aux conditions originelles patriarcales et parfois machistes de la relation, imposée par la division sexuelle de la vie en société. D’autant que l’homme lui-même en est tout autant tributaire.

L’homme et ses handicaps à la conquête quotidienne de la relation

 Il va de soi de dénoncer aujourd’hui l’éclatement familial dû à la multiplication des divorces.

            • Il est vraisemblable, de plus, que les femmes sont aujourd’hui à l’origine, légale ou psycho-relationnelle, de l’immense majorité de ces séparations et divorces. Le propos paraît tout de même devoir être nuancé, non dans sa réalité peut-être, mais dans ses effets.

            • L’émancipation des femmes leur a permis de développer d’autres sources d’identité que celles que leurs conféraient les rôles d’épouse et de mère. Bien heureusement. Loin d’être achevé, conjugué à l’invention moderne de l’amour comme déclencheur systématique de la rencontre, cet affranchissement des femmes de leur statut séculaire a accru les exigences dans le couple. Il l’a poussé à évoluer (grossièrement parlant) de l’évidence installée, plutôt confortable pour l’homme, vers des choix plus complexes, sans cesse à reconsidérer et à renouveler. Le mariage, mode de reproduction sociale accommodé de pérennité et de tendresse, en a sans doute été fragilisé.

 L’implication de l’amour permet des choix. Parfois elle les impose. La femme n’est plus automatiquement disponible. L’homme est confronté à la conquête de l’intérieur de l’amour. Le péril et l’échec sont désormais plausibles. Le bonheur du « moi » prévaut sur la stabilité du « nous ». En matière de relation conjugale, il y a longtemps que plus rien n’est gagné d’avance…

Les derniers piliers de la pseudo prééminence masculine?

Aux prises avec la violence domestique

La violence physique et verbale marque nombre de rapports familiaux. Les menaces, les voies de faits, les abus commis à l’égard des plus faibles, les enfants certes, mais aussi et surtout les femmes, sont considérables. Aujourd’hui encore, « la parole des hommes, c’est leur silence et leur violence! »

La presse quotidienne est avide de ces passages à l’acte qui ponctuent la vie commune aussi bien que les diverses tentatives d’y mettre fin.

On peut identifier des causes diverses au nombre desquelles on retiendra:

            a) Une sociabilité et une « confluence » familiale oppressive, jointe à la difficulté matérielle ou culturelle d’une autonomie de son espace personnel (encombrement physique, dépendance matérielle ou affective, etc. = carence flagrante d’autonomie personnelle).

            b) Une émotionalité hypertrophiée, une impulsivité constante, non médiatisée par la parole, l’expression, l’élaboration mentale.

            c) Un gouffre entre l’idéologie de la profusion consommatoire, de l’abondance matérielle -constamment présente sur le petit écran et offerte à l’avidité de téléspectateurs immatures- et la relative indigence du quotidien, l’aliénation professionnelle latente, l’inconfort matériel et spatial.

            d) La spoliation sociale et professionnelle comme la subordination domestique, qui ravivent les besoins d’une inaccessible considération personnelle et interpersonnelle, et qui touchent essentiellement les hommes.

            e) Et de plus la stupéfiante « légitimation culturelle de la contrainte par la violence » verbale ou physique, accordée généralement aux parents sur les enfants et aux hommes sur les femmes.

            f) Il faut en outre ajouter à ce tableau l’abîme entre les représentations « romantique » et intimiste du couple nourries par les médias et la réalité de la relation quotidienne. Une source essentielle de violence réside dans la désillusion croissante qu’accompagne souvent un profond sentiment d’échec personnel et d’impasse interpersonnelle. L’ignorance de ses propres besoins et de ses mécanismes intérieurs, la méconnaissance profonde de soi et de la réalité de l’autre en constitue le terrain idéal.

La violence devient bien souvent l’ultime recours du vaincu pour faire croire à sa supériorité… Sociale ou familiale, elle repose en fait sur une immaturité affective et sur la régression archaïque des comportements.

Nombre de chercheurs (tels un Daniel Welzer-Lang sociologue à Université de Toulouse) ont souligné le caractère paradoxal de l’éducation des jeunes mâles : « Les modèles éducatifs proposés aux garçons fonctionnent sur la double contrainte du type « L’homme doit être le maître chez lui « …  » tu dois porter la culotte « , autrement dit  » tu dois être dominant « , et en même temps :  » On ne doit pas frapper une femme, même avec une rose ! » Le produit direct de cette double contrainte est bien souvent la violence masculine domestique et le silence/honte/culpabilité des hommes violents incapables de diriger leurs relations avec leur compagne sans se sentir obligés d’utiliser des violences physiques. »

Il suffit parfois d’observer, avec effroi, l’impossibilité de l’homme à résoudre le dilemme de son autonomie et de celle de sa compagne qui veut reprendre sa liberté. On le constate douloureusement, la mort plane fréquemment sur ces couples désassortis, en voie de rupture : « Si tu me quittes, je te tue et/ou je me suicide… » Et trop souvent, le passage à l’acte (ou ses tentatives) vient dramatiquement confirmer la menace…

Agir sur les chaines de causalités et les sources de la violence intraconjugale et non seulement sur les symptômes et les conséquences…

On n’ignore plus aujourd’hui l’importance de la rébellion des femmes et de la parole des femmes. Elles font reculer le système patriarcal et les violences qu’il entraîne. Nous pouvons intervenir et soutenir ce combat, autrement que par des rassemblements aléatoires, tant il est patent aujourd’hui que ce qui est en cause n’est pas uniquement la cause des femmes. C’est le problème de l’homme, de la masculinité, de son statut et de sa condition devenus instables.

Manifestement, la déconstruction de ce statut traditionnel est en cours, mais tout aussi manifestement, nombre d’hommes sont loin de l’avoir acceptée. Nous avons à poursuivre notre réflexion pour ne plus nous satisfaire de l’organisation sexiste de notre société, tant à l’évidence, elle retarde toute évolution humaine. Il ne s’agit pas d’incriminer généralement les individus comme tels. Il s’agit de faire évoluer nos pratiques socioculturelles dans tous les domaines.

Quelques mesures essentielles s’imposent ici à la Réunion qui devraient être mises en œuvre simultanément (et non « à choix ! »)

1. On doit vulgariser les recherches sur la construction de la masculinité, en mettant l’accent systématiquement, sur les mécanismes de la violence des hommes contre les femmes, mais également sur les relations des hommes entre eux, notamment pendant l’enfance et l’adolescence.

2. Du point de vue d’une prévention active (et non seulement dans la phraséologie en usage), plusieurs mesures sont à mettre en œuvre :

   – De façon générale : Il conviendrait d’instaurer partout où l’on peut une habitude régulière des réunions de régulation et de transformation des pratiques collectives et institutionnelles, d’instaurer des structures et des outils de parole et d’échange, qui agissent directement dans les moments ordinaires de la vie commune, dans les institutions et les bureaux, dans les classes, dans les établissements scolaires, dans les quartiers, et surtout à la maison en famille, sur toutes les questions qui concernent la relation entre les hommes et les femmes. Temps et rituels collectifs doivent entrainer tous les interlocuteurs à clarifier les situations de tensions ou à renforcer les termes de leur relation et de leur collaboration, à prendre l’habitude de renoncer aux rapports de force et aux passages à l’acte, à préférer la parole, le dialogue, la négociation dans la totalité des situations de leur existence et notamment dans leurs relations intrafamiliales.

   – Dans le domaine particulier qui nous préoccupe : On doit multiplier les séminaires au cours desquels hommes et femmes ensemble discutent pour élaborer une vision d’avenir, une vision du « post-patriarcat ».

3. Il s’agit de développer, en milieu scolaire et péri scolaire dès la maternelle et jusqu’au lycée, de nouveaux modes de socialisation en direction des garçons pour une éducation non-violente, pour une éducation proposant une manière d’être un garçon et devenir un homme sans recours à la violence, capable de s’exprimer autrement.

4. La prévention à l’école est essentielle en ce qui concerne les relations garçons et filles. Elle devrait être intensifiée dès l’âge de la formation des couples adolescents, au collège et au lycée et faire l’objet de rencontres et d’échanges systématiques…

5. On intensifiera la lutte contre les actes de violence, en dénonçant sans relâche et sans complaisance la violence en général, la violence masculine, la culture de la violence dans nos sociétés. Cette dénonciation doit s’inscrire, se traduire dans les textes juridiques. La violence doit être condamnée, les « violenteurs » doivent être punis.

6. On doit absolument prendre les mesures nécessaires pour assurer le traitement des hommes violents : Il faut développer les thérapies pour hommes violents, les groupes d’hommes. Trop d’hommes sortent ici de la « geôle » avec, en tête, la seule idée d’aller régler son compte à leur ancienne compagne.

7. On doit poursuivre, même si c’est après le drame, le renforcement des dispositifs d’aide aux victimes de la violence, aux femmes battues notamment :

   – Par une aide immédiate dans des centres, dans des refuges, des services de conseil, de soins médicaux, etc.

   – Et également par un soutien personnel, pour qu’elles puissent éventuellement rompre la relation avec l’homme violent, pour qu’elles puissent abroger leurs liens de dépendance.

8. On sensibilisera les individus et les groupes,

   – Au niveau de l’opinion politique avec l’aide des médias.

   – Au niveau des professionnels : les enseignants, les juges, les policiers, les travailleurs sociaux.

   – Au niveau des politiques départementales et nationales.

9. On incitera à une amplification de la participation des hommes au travail domestique, et notamment à la responsabilité éducative dans la famille. La dimension paternelle doit être valorisée sous une forme moderne. Le père doit être plus proche de ses enfants. Il importe qu’il réinvestisse l’espace relationnel domestique et familial. On agira ainsi par une série d’actions :

   – En direction des dirigeants d’entreprise ou d’administration. Ils doivent reconnaître que l’engagement des hommes dans leur rôle de père est un signe positif, y compris par le travail. C’est le signe d’un homme « plus complet », plus soucieux des personnes qui l’entourent.

   – Par la création ou le renforcement des congés parentaux destinés aux pères. Ces congés sont importants pour que l’homme puisse être père hors de la présence de la mère. Un homme doit être seul à la maison avec son ou ses enfants, sans sa compagne ou son épouse, afin qu’il puisse établir un lien direct avec son enfant, qu’il assure les soins à son enfant et qu’il puisse accomplir des tâches domestiques sans contrôle.

Arnold JACCOUD
Psychosociologue – 0692 02 11 05
arnold.jaccoud@orange.fr

 

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