Depuis quand et pour quelle motivation avez-vous choisi ce pays ?
Je me suis installé à Hong Kong il y a 7 ans pour entrer dans une formation de management dans une université locale. J’étais basé à Pékin auparavant pour mon travail. Sentant une lassitude dans ma vie là-bas et ne voyant pas de progression de carrière, j’ai décidé de partir. J’ai choisi Hong Kong plutôt que Singapour pour être un peu plus central géographiquement en Asie et pour l’atmosphère et l’énergie ambiante.
Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné à votre arrivée ? Aussi bien positivement que négativement ?
Même en venant d’une ville aussi titanesque que Pékin, ce qui frappe d’abord à Hong Kong c’est bien sûr la densité incroyable à la fois spatiale que temporelle: spatiale, parce que l’espace y est très rare et précieux, et temporelle, parce que Hong Kong ne dort pratiquement pas. Positivement, cela fait qu’il n’y a que très peu d’occasions de s’ennuyer, mais négativement, tout ce qui a un rapport avec l’immobilier est absurdement cher et parfois il est difficile de trouver des moments pour être au calme.
Avez-vous senti, dès le départ, la mainmise de l’autorité politique de la Chine sur ce petit territoire rétrocédé par le Royaume-Uni en 1997 ?
Pendant la 1ère année, je n’ai pas vraiment eu cette impression car j’étais surtout absorbé dans mes études. Par contre, juste après avoir trouvé un travail, le parti à Pékin a publié son livre blanc sur les élections à Hong Kong. Un livre imposant un criblage des candidats, qui devaient absolument lui être loyaux. Cela a conduit en quelques semaines au Mouvement des Parapluies et depuis l’actualité politique locale est constamment dans l’actualité, avec une tendance à l’accélération des mesures d’intégration de Hong Kong dans le schéma national de développement.
En 2014, le mouvement justement appelé la Révolution des Parapluies en faveur de l’autodétermination et de la démocratie avait déjà paralysé Hong Kong pendant plusieurs semaines, vous en souvenez-vous ? Et si oui, comment le conflit s’était terminé ? Aviez-vous le sentiment que ça pouvait éclater de nouveau quelques années après ?
Le Mouvement des Parapluies (Occupy Central with Love and Peace, OCLP) est toujours frais dans les pensées de la population parce que ça a été le vrai éveil politique des Hongkongais. Un des penseurs du mouvement a d’ailleurs eu le droit de faire appel de sa peine de prison et a été libéré sous caution cette semaine. OCLP a été très stagnant et s’est terminé à bout de souffle. Peu de violence au final, mais pas de résultat attendu non plus. Vu ce constat et avec le fait que je réalise que les Hongkongais, auparavant placides face à la politique, pouvaient se mobiliser à cette échelle pour un but commun, je ne suis pas si surpris que ce genre de mouvement à grand échelle survienne encore.
Depuis 2 mois, les manifestants occupent les rues. Quel est votre regard en tant que résident étranger ? Comment ces heurts ont modifié votre quotidien, pour le travail, pour vos déplacements ?
Pour l’instant, à Hong Kong je n’ai pas été très affecté, ne conduisant pas et l’entreprise pour laquelle je travaille étant compréhensive quant aux éventuels problèmes dans les transports en commun. Là où c’est beaucoup plus troublant c’est quand je dois me rendre en Chine continentale pour le travail, avec une sécurité renforcée aux points de passage à la frontière et même des contrôles ponctuels du contenu des téléphones portables, ainsi que l’attitude générale des Chinois du continent vis-à-vis des Hongkongais
Le profil-type des manifestants semble plutôt large. Les jeunes ne sont visiblement pas les seuls à exiger plus de démocratie. Le mouvement mobilise-t-il plus largement toutes les strates de la société ?
Effectivement toutes les strates de la société sont impliquées. Cela a commencé par les jeunes de 16~25 ans, les membres actifs des partis pro-démocratie et des promoteurs des droits de l’homme. Cependant, la violence et la démesure de la répression par la police, son comportement cavalier avec les journalistes, le personnel des hôpitaux et plus généralement avec les personnes neutres a amené une condamnation assez générale de la part de la population. Quant au gouvernement, son attitude générale hautaine, arrogante et complètement détachée de la réalité a même poussé une partie du personnel gouvernemental à manifester pour montrer son désaccord avec la gestion adoptée pendant la crise.
Les pro-Pékin arrivent-ils à se faire entendre ?
Les politiciens pro-Pékin ont toujours accès aux médias pour faire passer leurs messages. Il y a même des journaux en langue chinoise directement contrôlés par Pékin mais publiés à Hong Kong prêts à leur fournir de l’espace dans leurs colonnes. Même le South China Morning Post, le quotidien en langue anglaise avec le plus gros tirage local, est maintenant aligné avec Pékin, même si cela se fait de façon plus subtile. Parmi la population, les pro-Pékin disposent des mêmes moyens de communication que les manifestants (groupes de chat, pages Facebook, etc) avec souvent des subventions soit des magnats locaux qui se doivent d’être loyaux à Pékin, soit même directement des partis politiques pro-Pékin qui sont généralement bien financés. Niveau moyens, ils ne sont pas à plaindre du tout.
En 2018, les autorités hongkongaises ont interdit le parti indépendantiste HKNP, estimant qu’il « avait un objectif clair visant à faire de Hong Kong une république indépendante ». Comment jugeriez-vous la situation de la liberté d’expression à Hong Kong ?
En dégradation. On n’est pas encore au niveau de la censure par le gouvernement, mais on sent bien que certaines opinions ne sont pas bienvenues à voix haute. L’auto-censure est déjà assez répandue et je crains que le crime d’idée ne devienne une réalité dans quelques années. En fait, déjà l’année dernière, deux artistes chinois en exil ont annulé leur venue à Hong Kong à cause de menaces reçues directement ou envers leur agent local.
En période de troubles sociaux, l’ampleur de la rébellion est-elle minimisée par les médias chinois ? Comment vous informez-vous ? Comment les réseaux sociaux permettent de se tenir informés ?
En Chine continentale, les informations sur les manifestations ont d’abord été complètement censurées, puis quand il y a eu l’entrée dans la chambre du conseil législatif le 1er juillet, le gouvernement chinois a commencé à laisser passer quelques bribes d’information mais en les tournant de façon à représenter les manifestants comme de purs vandales, en cachant complètement les causes de la rébellion. C’est là la toute puissance de la propagande chinoise sur la population continentale. Elle n’invente pas les informations mais créera toujours un contexte qui lui sera favorable ou pour attiser le nationalisme.
Ces événements rapprochent-ils les ressortissants français, réunionnais, afin de parler de vos inquiétudes, de vos doutes sur le fait de vouloir rester dans ce territoire ?
Pas vraiment pour ma part mais c’est vrai que je suis assez détaché des communautés d’expatriés. Je travaille dans une entreprise locale où la grande majorité du personnel à mon niveau est local et je m’intéresse plutôt à ce que les locaux et comment ils vivent plutôt que de rester dans des cercles d’expatriés. Le consulat nous tient quand même régulièrement au courant de ce qu’il prépare au cas où les choses déraperaient.
Comment avez-vous réagi à l’annonce, il y a quelques jours, de la fermeture de l’aéroport international ?
Je n’ai pas eu de réaction immédiate à part de penser que si la police débarquait dans l’aéroport ça aurait été un nouveau seuil franchi. Par contre c’est l’occupation de l’aéroport sur plusieurs jours successifs et les dérives qui y sont survenues qui m’ont fait réagir le plus car j’ai trouvé que le mouvement allait dans une direction dangereuse à ce moment-là. Heureusement il semble que la grande majorité des manifestants a compris que ce genre d’errements ne donnait pas du tout une bonne image du mouvement.
Le spectre d’une intervention militaire est-elle réellement redoutée par la population ? Comment réagit votre famille à La Réunion ? Envisagez-vous toujours votre avenir dans ce pays ?
Tout le monde ici sait ce qui s’est passé le 4 juin 1989* et il n’y a pas grand monde à avoir confiance dans ce que dit le parti, mais il faut aussi savoir que tout ce que le parti dit n’est pas forcément à destination de l’extérieur du pays, mais aussi pour la population interne ultra nationaliste et qui a soif de prendre sa revanche sur l’Occident. Raisonnablement, envoyer l’armée envahir Hong Kong serait pour le parti se tirer une grosse balle dans le pied, mais avec l’hystérie nationaliste des derniers mois, on redoute le coup de folie… Ceux qui ont les moyens de partir ont déjà des plans de sortie, au moins en tête. Quant à rester à Hong Kong, c’est vrai qu’en tant qu’étranger c’est toujours facile de se dire qu’on peut évacuer pratiquement du jour au lendemain, mais je me suis attaché à cette ville et aimerais l’aider à rester ce qu’elle est, plutôt que de la voir se faire absorber et en quelque sorte disparaître.
* Sur la place Tian’anmen à Pékin, l’armée chinoise met fin dans le sang à la mobilisation de milliers de manifestants réclamant plus de démocratie