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Quand féminisme et écologie se rencontrent

« Nous allons avoir un futur ou les femmes ouvrent la voie pour faire la paix avec la terre, ou nous n’aurons pas de futur humain du tout »  – Vandana Shiva.   Derrière le mot d’ordre « Protégez-les ! », plus d’un millier de personnes se sont rassemblées le samedi 6 juillet à Paris, […]

Ecrit par Reynolds MICHEL – le vendredi 12 juillet 2019 à 11H44
« Nous allons avoir un futur ou les femmes ouvrent la voie pour faire la paix avec la terre, ou nous n’aurons pas de futur humain du tout »  – Vandana Shiva.
 
Derrière le mot d’ordre « Protégez-les ! », plus d’un millier de personnes se sont rassemblées le samedi 6 juillet à Paris, place de la République, pour réclamer des mesures immédiates et fortes pour lutter contre les féminicides  (meurtres de femmes en tant que femmes, selon la définition de Diana Russel). Plus de 100 femmes meurent chaque année en France, tuées par leur conjoint ou ex, sur un total d’environ 800 homicides. Et 74 femmes ont été tuées depuis le 1er janvier 2019. . « Si rien n’est fait on va arriver à 140 femmes tuées cette année, (…) c’est honteux » a déclaré Muriel Robin, comédienne engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes. 
 
Union de l’écologie et du féminisme 
 
Pour le collectif à l’appel du rassemblement et la présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert, « il faut une mobilisation générale des institutions et de la société pour sauver ces vies ». Le même combat s’impose face aux crimes contre les femmes et face aux crimes contre l’environnement et la biodiversité, soulignent certaines féministes. Bref, la même urgence nationale s’impose contre les féminicides et l’écocide. C’est la question de la relation entre deux formes de domination : celle des hommes sur les femmes et celle des humains sur la nature  qui est pointée ici et qui fait l’objet de ce texte.
 
Lors de la Marche pour le Climat du 16 mars à Paris, nous avons vu apparaître un certain nombre de slogans ‒ « détruisons le patriarcat, pas la planète » ; « Arrête de niquer ta mer » ; « Pubis et forêts, arrêtons de tout raser»… ‒ qui établissent un lien fort entre l’exploitation/domination des femmes et l’exploitation/domination de la nature. Est-ce une simple convergence des luttes ou « une nouvelle forme d’écoféminisme » ? Si convergence des luttes il ya, elle met en évidence, selon la philosophe féministe Jeanne Burgart-Goutal, des liens cachés, des similitudes, qu’on ne perçoit pas toujours entre les différentes oppressions. Pour elle, « ce n’est pas suffisant de désigner le patriarcat, le système capitaliste est lui aussi en cause, et ces deux oppressions sont en réalité conjointes » (Cf. Contrepoints, 23/04/2019). C’est la thèse soutenue par les mouvements sociaux des femmes, dits écoféministes, à travers le monde. Dans le contexte actuel de l’urgence climatique et des violences faites aux femmes le courant écoféministe est en voie de retrouver une nouvelle jeunesse. 
 
Qu’est-ce donc que l’écoféminisme ? 
 
L’écoféministe est un courant de pensée et d’action qui met en relation deux, voire trois types de domination : sur les femmes, sur la nature et sur le Sud. Si le concept est apparu pour la première fois sous la plume de Françoise d’Eaubonne, militante du Mouvement de libération des femmes, en 1974, c’est plutôt dans les pays anglo-saxons (Etats-Unis et en Angleterre) et dans les pays du Sud (Inde, Amérique latine…) qu’il s’est développé et discuté en inspirant un certain nombre de luttes féministes dans les années 1980. Et ce, dans un contexte de guerre froide et de la course à l’armement nucléaire. Pendant une dizaine d’années, des centaines de femmes, féministes, pacifistes, anarchistes et antinucléaires ont organisé des blocages de centrales nucléaires, des sit-in, des camps. 
 
Suite à la catastrophe nucléaire de Three Mile Islant, le 28 mars 1979, les écoféministes ont organisé la conférence « Women and Life on Earth » réunissant plusieurs centaines de femmes. Et dans le prolongement, elles ont lancé leur action la plus spectaculaire, à Arlington  (Virginie), la Women’s Pentagon Action. Le 17 novembre 1980, des milliers de femmes convergent vers le Pentagone, lieu même du pouvoir militaire. Elles chantent, crient, pleurent et tapent sur des tonneaux de fer. Certaines habillées en sorcières jettent des sorts, d’autres tissent les portes avec du fil de laine.  Elles affirment « craindre pour la vie de notre planète, la Terre, et la vie de nos enfants, qui sont notre futur ». 
 
En Angleterre, à Greenham Common, à partir de 1981, des centaines d’écoféministes organisent des sit-in et campent pour protester contre l’installation des missiles nucléaires sur la base de la Royal Air Force. Ce camp, impulsé par les femmes qui refusaient la guerre, qui voulaient préserver la vie de leurs enfants et plus largement le futur de l’humanité et de la planète, a duré jusqu’en l’an 2000, date de son démantèlement.  Autre manifestation, en Inde cette fois avec le mouvement Chipko (« enlacer »). En 1973, apprenant que l’État avait autorisé l’exploitation de la forêt de leur village, le village de Mandal (l’Uttar Pradesh), des femmes s’interposent et enlacent les arbres pour la conservation de leur forêt (Cf. Vandana Shiva dans Staying  alive). D’autres mouvements sociaux, en Afrique, en Amérique latine, aux Philippines…, renvoient à l’écoféminisme, même si l’étiquette n’est pas toujours revendiquée.
 
L’espoir d’un réajustement …
 
De ces actions de terrain sont nés des textes théoriques, poétiques et spirituels, toujours source d’inspiration pour les écoféministes et d’autres. En peu de mots, l’écoféminisme est né de la rencontre de différents mouvements sociétaux ‒ féministes, pacifistes et écologiques ‒ dans les années 1970. D’abord mouvement militant, il s’est donné assez rapidement un corpus théorique à travers les écrits, entre autres, de Carolyn Merchant, Maria Mies, Vandana Shiva, Karen Warren, Starhawk, Ariel Salleh et Van Plumwood. Il est aujourd’hui à la fois une philosophie, une éthique et un mouvement social. Il est divers. Comme il existe plusieurs courants féministes, il existe plusieurs courants écoféministes, qui varient dans leurs positionnements critiques et théoriques.
 
 Leur point commun se situe dans le lien qu’elles établissent entre l’exploitation et la domination de la nature par les hommes er celle des femmes par les hommes. Toute la question est comment appréhender ce lien pour éviter le risque d’essentialiser la femme qui serait « par nature » plus proche de la nature que  l’homme ? Car l’analogie entre la domination des hommes sur les femmes et celle des humains sur la nature ne va pas de soi. A la question du risque d’essentialisation, les écoféministes ne répondent pas d’une même voix. Pour un certain nombre, le lien entre les femmes et la nature est purement accidentel, qu’il s’agit d’une communauté de destin d’exploitation/oppression. D’autres revendiquent un lien positif et plaide « en faveur de la reconnaissance d’une sensibilité particulière des femmes vis-à-vis du monde naturel » en se réclamant d’une éthique du « care ». 
 
Le débat n’est pas clos. Un autre courant écoféministe plaide pour le dépassement des sacro-saintes oppositions ‒  masculin/féminin, humain/nature, raison/émotion, objectif/subjectif, etc. ‒  en mettant en avant l’idée  d’interconnextion de toutes les formes de vie. Quoi qu’il soit, comme le dit justement la philosophe et spécialiste de l’écoféminisme, Charlotte Luycky (2015), « l’écoféminisme porte l’espoir d’un réajustement structurel des rapports entre les hommes et les femmes et entre l’humain et la nature, marqués par des mécanismes de domination séculaires. »
Sources :
HACHE Emilie, Pour les écoféministes, destruction de la nature et oppression des femmes sont liées, Reporterre, 18/10/2016.
LUYCKY Charlotte, Au Sud, la lutte écologique est une question de survie pour les femmes, Terraeco, 29/12/2015.
LUYCKY Charlotte, Écoféminisme, in BOURG D. et PAPAUX A.(dir), Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, PUF , 2015.
MORMIN-CHAUVAC, Écoféminisme Sauvons les zones humides, In Libération, 
3 juillet 2019

 

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