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Pourquoi Dieu a-t-il fait des moutons si ce n’est pour les tondre ?

Pour ceux qui n’ont pas le temps d’extraire la réponse du texte qui suit, il suffit de savoir qu’aucune des républiques, y compris la cinquième, ne s’est jamais inquiétée de la réponse et que c’est le Gouvernement Provisoire qui a normalisé la tonte. La vie m’a collé sur le corps un certain nombre de post […]

Ecrit par – le mercredi 08 février 2017 à 10H02
Pour ceux qui n’ont pas le temps d’extraire la réponse du texte qui suit, il suffit de savoir qu’aucune des républiques, y compris la cinquième, ne s’est jamais inquiétée de la réponse et que c’est le Gouvernement Provisoire qui a normalisé la tonte.

La vie m’a collé sur le corps un certain nombre de post it pour m‘obliger à ne pas oublier. Récemment j’ai pu en décoller un sans m’arracher la peau et après l’avoir déchiffré, je me suis demandé ce que je pouvais en faire. J’ai alors pensé à mes voisins d’enfance des années cinquante qui habitaient à deux kilomètres de la croisée, en haut de la ville du Tampon, dans une case sur un lopin de terre leur appartenant, comme nous-mêmes, mais dont certains, pour vivre, étaient encore colons comme nous l’avons été. Ils se faisaient aider par leurs enfants qui avaient dû quitter l’école ou qui n’y étaient jamais allé. Quand, au début des années soixante, un peu de richesse est arrivé, ils ont tous quitté les champs en y laissant leurs parents, pour aller sur les chantiers, travailler dans les services municipaux, attendre une quinzaine chômage ou fuir en métropole. Contrairement à eux, et parce que mes parents avaient quatre cents gaulettes de terre, j’avais eu la chance de n’être aux champs qu’après les classes et pendant les vacances, bien que je ne fusse pas mieux loti qu’eux et sans quitter ma ville. En conséquence, aucun d’entre eux ne pourra jamais raconter par écrit ses souvenirs. Nos souvenirs souvent, des banalités évidemment, et rien d’autres car notre horizon était limité à nos champs, nos chemins, notre boutique chinois, notre église ou notre « rivière », mais avec les mêmes corvées de bois et d’eau ou de faire mange bœufs.

Par ailleurs, depuis que j’ai vu « Les sept mercenaires » et entendu « Pourquoi Dieu a-t-il fait des moutons si ce n’est pour les tondre ? » je ne peux plus m’empêcher de penser à eux et à mes parents quand ils broutaient du matin jusqu’au soir sur les terres de leurs seigneurs.

Dieu nous avait faits pour être tondus. Nous devions donner un tiers de notre laine.

Comme à la fin de la guerre les navettes ne marchaient pas encore toutes seules (Aristote justifiant l’esclavage), cette escroquerie qui existait depuis des décennies a été normalisée en tenant compte des désirs de la bourgeoisie par l’ordonnance coloniale du 05/09/45 dont l’article 6 en établit les modalités. Mais le législateur ne pouvait pas ne pas savoir que pour qu’un tel système fonctionnât, la soumission et la servilité héritées des temps passés devaient continuer. Ceux qui s’étaient enfin libérés du joug des maîtres ne se pressaient pas à ces postes. C’étaient essentiellement des petits blancs aux familles nombreuses, tous illettrés et sans terre mais surtout dociles, qui peuplaient ces domaines, du moins dans le sud.

Pour que le maître payât son tiers d’engrais, le colon devait s’approvisionner chez lui et pas ailleurs. Lorsqu’il allait le voir, il disait innocemment « Mi sava la Cour ». L’engrais acheté au prix de gros débarquait par pleins camions pour remplir de pleins magasins mais revendu au prix qu’il voulait. Le tiers disparaissant dans la différence entre le prix d’achat et le prix de vente, de ce fait c’était le colon qui payait tout. Le coût du transport aux champs était fixé par le maître. Les avances sur récoltes étaient augmentées d’intérêts imposés à des illettrés qui ne maîtrisaient pas le calcul au prorata de la durée. Bien qu’imposé par l’ordonnance, le taux n’apparaissait pas sur les carnets et ces derniers n’étaient pas visés par le juge de paix ni enregistrés au greffe. Tous les frais entraient dans les deux tiers du colon qui en définitive correspondaient aux frais de production et le tiers du maître au bénéfice. Les avances avaient aussi la forme des crédits dans leurs boutiques permettant au peu qui revenait au colon, s’il en revenait, de rester dans la poche du bailleur. En définitive, le bailleur était un éternel créancier de son colon. Ces pratiques visaient à garder la cohésion du troupeau de colons en évitant à tout prix leur émancipation.

Mais aucun ne perdit le peu de dignité qui lui restait même lorsqu’il voyait que, pour nourrir les chevaux du seigneur, des journaliers étaient envoyés étêter son maïs, alors que lui-même avait des bœufs à nourrir. L’élevage qui était le seul poste qui échappait au maître et le fumier produit permettaient en partie au colon de végéter. Mais la dignité ne protégeait pas du désespoir dont je peux témoigner quand à tout ce qui précède s’ajoutait la spoliation pure et sans bavure.

Ainsi, le colonat partiaire n’était plus au tiers.

Aux trente trois pour cent des récoltes accaparées légalement, s’ajoutait un commerce monopoliste qui était loin d’être négligeable. Commerçant de fait, je n’ai jamais vu un maître passer une journée devant la mairie sur convocation des services des poids et mesures, parmi une foule de petits commerçants faisant la queue pour soumettre leurs appareils de pesée. S’ils y allaient ils ne faisaient pas la queue. Et pourtant c’était eux, et eux seuls, qui pesaient l’or extrait des champs de géranium ou de vétiver. Par ailleurs, ni les petits colons, ni les agriculteurs n’avaient les moyens de connaître les cours mondiaux. S’il y avait un organisme public et indépendant pour les en informer, cela m’a échappé. Mais voilà, les autorités s’en foutaient jusqu’à la création d’une coopérative en soixante trois.

Un peu de dignité a été reconnu à ceux qui y étaient encore quand le législateur est enfin intervenu pour supprimer le scandale du tiers et le remplacer par le quart au début des années quatre-vingts puis d’interdire définitivement ce mode qui exploitait l’homme et non la terre.

Au fait, pourquoi Dieu m’a-t-il collé ces post-it sur la peau si ce n’est pour les déchiffrer et les lire ? Evidemment à haute voix car, qui s’est intéressé un jour aux petits colons en dehors des exploiteurs qui, par ailleurs, avaient gardé pour certains une mentalité des temps honnis ? Beaucoup de nos compatriotes n’ont même jamais su leur misérable et solitaire existence et ce n’est pas l’école qui le leur apprendra. Les « heureux » n’en avaient rien à foutre. Aucune institution ne les défendait ni ne s’en est jamais ému car les chaînes n’étaient visibles que du cœur. La justice les achevait lorsqu’ils osaient requérir son aide et les carnets illégaux étaient pièces à conviction à leur encontre. Même si soixante-deux années sont passées, et merci la presse, le dénoncer soulage. Ce qui précède n’est pas une étude mais le vécu d’un petit croquant.

Comme Jacquou d’Eugène Leroy, mais dès ma dixième année et à maintes reprises, au cours de mes insomnies, j’allais incendier la forêt et le château de mon comte de Nansac.

Rocou le croquant

 

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