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Pour un partage des mémoires et un récit commun

Terre d’interculturalité, la société réunionnaise est paradoxalement traversée par une quête identitaire qui touche tous les groupes. Mais notre atout est que l’appartenance revendiquée à une communauté spécifique n’exclut pas l’appartenance à d’autres groupes. Les situations de contacts, d’imbrications, d’interactions et d’échanges ont été et sont tellement nombreuses entre les Réunionnais, depuis le début du […]

Ecrit par – le lundi 17 octobre 2016 à 15H14

Terre d’interculturalité, la société réunionnaise est paradoxalement traversée par une quête identitaire qui touche tous les groupes. Mais notre atout est que l’appartenance revendiquée à une communauté spécifique n’exclut pas l’appartenance à d’autres groupes. Les situations de contacts, d’imbrications, d’interactions et d’échanges ont été et sont tellement nombreuses entre les Réunionnais, depuis le début du peuplement, qu’ils ont fini par partager un certain nombre de valeurs et une citoyenneté commune. Mais, nous n’avons pas encore une mémoire commune et un récit commun  unanimement partagés, même si nous avons un peu dépassé la concurrence mémorielle. Il reste un long travail à accomplir pour un vrai partage de nos mémoires dans la solidarité et l’équité. Un bien vivre-ensemble ne peut se satisfaire d’une simple cohabitation de communautés.

C’est à ce travail qu’il faut s’atteler, car aucune société ne peut durer sans qu’elle soit structurée par un «récit » commun passant par un « corpus mémoriel unifié », à défaut par un partage de  mémoires singulières. Il ne s’agit pas de partager les valeurs singulières de chaque culture présente dans l’île, souvent  d’ailleurs antagonistes, mais d’une invitation à partager les mémoires, à travailler ensemble à la construction d’une mémoire unifiée. Car  c’est elle qui forge l’identité commune d’un peuple, d’une nation. 

Mais, est-ce simple de partager une mémoire ? Il convient tout d’abord de sortir de l’illusion que chaque réunionnais/e est d’emblée en empathie avec la culture de l’autre, avec l’histoire des communautés culturelles en présence. La rencontre avec la différence culturelle, avec un individu porteur d’une culture différente, ne va pas de soi. Elle engendre souvent, après une phase de contentement, des incompréhensions, voire des tensions, parce qu’elle heurte les valeurs auxquelles nous sommes profondément attachées. Elle exige un travail sur soi, une prise de distance par rapport à sa propre culture. Le Réunionnais, métis ou pas, n’est pas une exception à la règle !

Revenons au partage des mémoires et à la fondation d’une mémoire collective qui concerne l’ensemble des Réunionnais. Peut-on partager une mémoire collective si on n’a pas d’expériences vécues ensemble, de souvenirs  partagés au sein d’une collectivité ? En effet, la définition même de la mémoire renvoie au partage de souvenirs d’expériences vécues, mais ce défaut de partage peut être compensé, en temps réel, par le récit. « C’est le récit qui restitue l’expérience et la donne en partage par delà le temps et l’espace. C’est pourquoi le récit est fondateur : il est le suppléant de l’expérience partagée et participe à la fondation de la mémoire collective. C’est par lui que s’élabore le sens commun : le partage des expériences passées qui n’ont pas été partagées sur le moment », écrit justement Federico Casalegno.

Grâce à un travail de dur labeur  de nos historiens, nous avons aujourd’hui d’excellents  récits historiques sur les différentes composantes de la société réunionnaise. Nous sommes donc en mesure d’avoir des représentations socialement partagées du passé. C’est aux citoyens réunionnais et leurs représentants qu’ils  incombent d’approprier ces récits et de tisser les fils entre les diverses mémoires en présence. Nous sommes qu’au début du chemin.

Longtemps contrainte à une existence souterraine, la mémoire de l’esclavage a émergé avec force et elle est assumée et partagée par tous comme fête Kaf et fête de la liberté. La fin de l’engagisme, autre événement majeure de notre histoire, est  heureusement commémorée depuis quelques années au Lazaret de la Grande Chaloupe. D’autre part, de nombreuses fêtes culturelles et/ou religieuses donnent à certaines communautés – Indo-musulmane, Comorienne, Tamoule… –, une très forte visibilité et affirment leur particularisme culturel, mais la mémoire des Petits Blancs est quasiment passée sous silence. N’ont-ils rien apportés à la société réunionnaise ? Le catholicisme est-il leur seul marqueur identitaire ? Une mémoire collective doit être la mémoire de tous et de toutes. Une identité réunionnaise inclusive relève d’une histoire partagée.

Cette mémoire collective nous est nécessaire pour avancer, pour construire un bien vivre ensemble. Nous avons la capacité à partager nos récits de vie, nos mémoires respectives afin d’aboutir à une mémoire unifiée. Nous sommes au tout début de la fondation de cette mémoire. La tâche n’est pas simple. Il reste encore beaucoup à faire. En vue de créer un « récit »commun, nous avons encore besoin de l’aide et la collaboration de nos historiens et militants culturels pour mettre en valeur d’autres points de cristallisation de notre héritage collectif et de faire l’inventaire de tous nos « lieux  de mémoire ». D’autre part, cette construction implique un travail en commun, et non le développement séparé des groupes qui cultivent dans leur coin leur identité culturelle et leur mémoire, comme c’est, nous semble-t-il, le cas aujourd’hui, malgré une petite ouverture. 

L’entrée dans une démarche interculturelle s’avère nécessaire pour la mise en place de cette mémoire commune. Qu’est-ce à dire ? Échanger, dialoguer, partager, trouver du commun, sans renoncer à sa singularité n’est pas simple. Il faut la volonté, l’ouverture d’esprit, la ténacité, voire  des compétences communicationnelles, pour faire dialoguer les cultures et les mémoires. L’interculturel n’a pas de contenu particulier autre que celui de faire société. Il se construit.

Reynolds MICHEL

 

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