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Plaidoyer pour le partage de Jérusalem entre Israéliens et Palestiniens

Afin d’honorer l’une de ses promesses électorales, le président des États-Unis avait déclaré le 6 décembre 2017 qu’il était temps « de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël », marquant ainsi une rupture avec ses prédécesseurs et suscitant, comme on pouvait le craindre, une vague de réprobations dans l’ensemble du monde arabo-musulman[1]. Comme on pouvait également le redouter, […]

Ecrit par André Oraison – le mercredi 13 juin 2018 à 10H56

Afin d’honorer l’une de ses promesses électorales, le président des États-Unis avait déclaré le 6 décembre 2017 qu’il était temps « de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël », marquant ainsi une rupture avec ses prédécesseurs et suscitant, comme on pouvait le craindre, une vague de réprobations dans l’ensemble du monde arabo-musulman[1]. Comme on pouvait également le redouter, l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem le 14 mai 2018 – à l’occasion de la célébration du 70e anniversaire de l’indépendance d’Israël – s’est traduite par un bain de sang dans l’enclave côtière de Gaza. Dès lors que la Communauté internationale considère Jérusalem-Est comme un territoire occupé par Israël en violation du droit international positif, la décision prise par Donald Trump est une tentative grossière de remise en cause de la crédibilité des Nations Unies[2]. Pour l’ONU, la « solution à deux États » avec deux capitales juxtaposées à Jérusalem est la seul façon de régler durablement le différend israélo-palestinien.

Conformément à la résolution 181, adoptée par les Nations Unies le 29 novembre 1947 afin de fixer le statut de la Palestine mandataire, Israël a pu ressurgir le 14 mai 1948, 2 000 ans après sa disparition à l’époque de l’Empire romain. Près de 70 ans après sa résurrection, cet État n’est plus contesté dans son existence et exerce même un leadership régional aux plans économique et militaire. Quant à l’État arabe qui a, lui aussi, été légitimé par la résolution 181 et devait être créé en même temps qu’Israël, il a pris naissance avec retard et sa création reste inachevée. Mais force est de constater qu’il se fortifie sous l’égide des Nations Unies. Dans ce contexte évolutif, l’État palestinien souverain devra être reconnu par Israël et entrer à l’ONU par la grande porte, comme l’avait souhaité la résolution 181.

Pour tous les observateurs, la sécurité de l’État hébreu est subordonnée à la création, à ses côtés, d’un État palestinien. Mais la « solution à deux États » pour deux peuples vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité, à l’intérieur de frontières sûres et internationalement reconnues, proposée par l’ONU dès 1947, nécessite l’arrêt par Israël de l’installation de colonies juives de peuplement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. La solution onusienne conduit aussi au règlement de la question du retour sur leur terre natale des Palestiniens déportés. Elle implique enfin une reconnaissance mutuelle des deux Parties et notamment la reconnaissance d’un État palestinien souverain par Israël ainsi qu’une volonté pour ces deux entités antinomiques de coexister pacifiquement. Force est néanmoins de constater que ces conditions sont encore loin d’être réunies en raison de l’inflexibilité adamantine des autorités israéliennes.
 
Sous un autre angle, la résolution 181 est un échec : la ville de Jérusalem n’a pu être dotée d’un statut international car la situation a considérablement évolué sur le terrain en Palestine mandataire depuis 1947. Il faut faire preuve de réalisme : le statut initialement prévu pour l’ensemble de Jérusalem par les Nations Unies est frappé d’obsolescence, dès lors que les forces politiques juives conservatrices et les formations palestiniennes musulmanes radicales ont un dénominateur commun immarcescible : les unes et les autres ont toujours été hostiles à l’internationalisation territoriale de Jérusalem pour maintes raisons, au demeurant antinomiques. De fait, la question du statut de Jérusalem n’a jamais cessé d’être au premier rang des préoccupations politiques, diplomatiques et juridiques internationales : c’est même le nœud gordien des pourparlers de paix israélo-palestiniens. Parce qu’elle se situe au carrefour de deux nations et de trois croyances, cette ville cristallise des passions incandescentes dont on ne saurait faire abstraction.
 
Dès lors, si on admet que la communauté israélienne et le monde arabo-musulman accordent la plus haute importance à Jérusalem et si, de surcroît, la « cité de David » ne peut plus être érigée en un « corpus separatum » comme le prévoyaient les Nations Unies en 1947, dans la résolution 181, il est tout aussi évident que Jérusalem ne saurait demeurer la capitale « une et indivisible de l’État d’Israël », dans l’hypothèse où l’on souhaite sincèrement l’instauration d’une paix juste et durable au Proche-Orient. Battu en brèche, dès 1967, à la suite de la « Guerre des Six Jours », le dogme hébraïque multimillénaire de l’indivisibilité ou de l’unité de la ville de Jérusalem n’est plus aujourd’hui admissible. Le territoire de l’agglomération hiérosolymitaine devra un jour être partagé par consensus afin d’aboutir à des compromis territoriaux qui tiennent compte équitablement des désidératas des deux principales communautés. Convoitée par deux nationalismes, l’un arabe, l’autre juif, Jérusalem a ainsi vocation à abriter deux capitales politiques contiguës : Jérusalem-Ouest doit devenir la capitale de l’État d’Israël et Jérusalem-Est la capitale d’un État palestinien indépendant, à l’exception toutefois de la Vieille ville – la cité « trois fois sainte » – qui, à ce titre, mériterait, avec son enceinte, d’être soumise à un statut particulier. Mais lequel ?
 
Formulée par une partie des internationalistes, cette restriction mérite quelques suggestions, dès lors qu’elle est implicitement envisagée par les Nations Unies. Après avoir souligné que « toute mesure prise par Israël, Puissance occupante, en vue d’imposer ses lois, sa juridiction et son administration à la Ville sainte de Jérusalem était illégale et, de ce fait, nulle et non avenue », l’Assemblée générale de l’ONU se borne en effet à rappeler dans sa résolution 72/15 du 30 novembre 2017, relative à Jérusalem – une recommandation adoptée par 151 voix contre 6 et 9 abstentions – que « tout règlement global, juste et durable de la question de la ville de Jérusalem doit tenir compte des préoccupations légitimes des deux Parties, palestinienne et israélienne, et comporter des dispositions assorties de garanties internationales qui assurent la liberté de religion et de conscience de ses habitants, et garantissent aux personnes de toutes les religions et nationalités l’accès permanent, libre et sans entrave aux Lieux saints ».
 
Une première solution doctrinale – à notre avis la plus plausible pour des raisons autant politiques que religieuses mais aussi la moins rationnelle – pourrait consister en un partage de souveraineté sur le territoire qui abrite la Vieille ville et les Lieux saints. Réalisé par les deux Parties intéressées par la voie conventionnelle, le partage de la Jérusalem biblique et historique ou Jérusalem stricto sensu entraînerait alors les effets suivants : aux Israéliens les deux quartiers adjacents, l’un arménien et l’autre juif, ainsi que le Kotel ou mur des Lamentations vénéré par les Juifs, et aux Palestiniens, par symétrie, les deux autres quartiers également contigus à majorité arabe, l’un chrétien et l’autre musulman, ainsi que l’esplanade des Mosquées où sont localisés les Lieux saints de l’Islam. Si une telle solution est, certes, concevable, sa concrétisation serait à l’évidence une remise en cause absolue de la résolution 181 qui se prononçait en 1947 pour l’internationalisation territoriale de l’ensemble de Jérusalem sous l’égide des Nations Unies.  
 
Plus conforme à l’esprit de la résolution 181, une seconde solution doctrinale est concevable. Plus attrayante que la précédente mais aussi plus difficile à mettre en œuvre, elle consiste à envisager une internationalisation territoriale restreinte à la Vieille ville où sont regroupés – dans un ensemble architectural délimité par l’imposante muraille dressée au XVIe siècle par Soliman le Magnifique – la plupart des Lieux saints des trois monothéismes abrahamiques : la Basilique chrétienne du Saint-Sépulcre, le mur des Lamentations, principal lieu de culte pour les Juifs, et l’esplanade des Mosquées, haut lieu de prières des Musulmans. C’est l’opinion émise par le juriste Robert Falaize qui se prononce, dès 1958, pour « une internationalisation intégrale de la seule zone des Lieux Saints » de la Vieille ville, une zone démilitarisée, « administrée par un gouverneur et placée sous l’autorité des Nations Unies », comme l’avait suggéré l’ONU en 1947 pour la ville de Jérusalem, envisagée à l’époque lato sensu. Dès lors qu’elle garantirait aux personnes de toutes croyances un accès libre aux Lieux saints, cette solution aurait l’appui des Nations Unies qui ont toujours été attentives, depuis leur création, à la protection des spécificités cultuelles de la cité sanctuaire de Jérusalem. Cependant, la viabilité économique d’une entité si exiguë – enclavée entre deux États rivaux et tatillons – ne risquerait-elle pas de surgir très rapidement ? La question mérite d’être posée. Plus encore, une telle solution risque de se heurter à l’opposition déterminée des autorités gouvernementales israéliennes et palestiniennes ainsi que des mouvements les plus extrémistes qui agissent au sein de la communauté juive et de la société arabo-musulmane.
 
Dans une troisième optique voisine de la précédente mais, cette fois-ci, dans le respect des souverainetés territoriales des États d’Israël et de la Palestine, ne pourrait-on pas imaginer une « internationalisation fonctionnelle » de la Vieille ville ? Cette solution a été esquissée en 2002 par le professeur Jean-François Dobelle qui n’exclut pas l’idée d’« une gestion commune de cet ensemble » par « Israël et un État palestinien ». L’internationalisation fonctionnelle de la Vieille ville consisterait à mettre sur pied, dans le cadre d’un traité israélo-palestinien, un système de co-souveraineté impliquant une « cogestion » du patrimoine sacré que constitue le centre historique et spirituel de Jérusalem avec un traitement égalitaire pour les trois croyances monothéistes. Au plan juridique, cette solution vise à l’établissement d’un « co-imperium israélo-palestinien » sur la Vieille ville et la création d’une structure adaptée : une commission permanente apte à gérer de façon collégiale le cœur de la cité sainte. La commission israélo-palestinienne aurait ainsi pour objectif de prendre les décisions de nature à garantir aux pèlerins et touristes du monde entier la liberté de religion et un accès libre à tous les Lieux saints de la Vieille ville de Jérusalem, enfin reconnue comme un authentique « patrimoine commun de l’humanité ».
 
Dans l’hypothèse où un tel régime conventionnel serait établi, garanti et mis en œuvre par l’État israélien et l’État palestinien, la « ville-symbole » de Jérusalem pourrait enfin mériter son nom originaire de « maison de la Paix » comme l’avaient souhaité, il y a maintenant plus de 70 ans, les Nations Unies en adoptant le 29 novembre 1947 la résolution 181. Encore faut-il reconnaître, par réalisme, qu’une telle solution idyllique restera sous le boisseau aussi longtemps que le président Donald Trump – le pyromane de la Maison Blanche – continuera de souffler sur les braises ardentes du Proche-Orient.

 


[1] A. ORAISON, « Quel statut pour la cité sanctuaire de Jérusalem ? », RRJDP, 2017, n° 4.
[2] A. ORAISON, « Trump se moque des Nations Unies », Le Quotidien de La Réunion, vendredi 29 décembre 2017, p. 38.

 

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