L’histoire politique de notre île a été marquée par la présence en masse de nervis à l’occasion de chaque élection. Facilement reconnaissables à leurs gros biceps, ils se vendaient, tels des mercenaires, au plus offrant.
D’autres, ceux qui soutenaient un maire, avaient la chance de se voir offrir un emploi en collectivité, de véritables emplois fictifs où on ne les voyait jamais.
À moins qu’ils ne se fassent rétribuer en nature avec un petit bout de terrain communal qu’on les autorisait à occuper gratuitement, jusqu’à ce qu’ils en deviennent propriétaires en faisant jouer la prescription trentenaire ou avec un emplacement pour camion-bar. Ils ne réapparaissaient que quelques semaines avant les élections, avant de re-disparaître jusqu’aux prochaines échéances.
Certaines villes étaient particulièrement connues pour la « qualité » de leurs nervis. Dans le « top 5 », citons Saint-Louis, Saint-André, Saint-Benoît, Saint-Denis et Saint-Pierre. Nombre de candidats en mal de « protection » allaient souvent prospecter là-bas pour en ramener quelques gros bras prêts à tout pour quelques billets.
Les plus anciens d’entre vous se souviennent sans doute de ces véritables batailles rangées regroupant plusieurs dizaines de nervis de chaque côté, où les galets pleuvaient souvent plus fort qu’une pluie de cyclone.
Les dernières auxquelles j’ai pu assister se sont déroulées du côté de Saint-André, au début des années 2000, quand Claude Hoarau était venu défier Jean-Paul Virapoullé sur ses terres. Je me souviens que Jean-Paul Virapoullé organisait une réunion tôt chaque matin avec ses hommes de terrain. On lui rendait compte du nombre de nouveaux véhicules, chacun rempli de nervis saint-louisiens, qui étaient arrivés dans la nuit ou au petit matin, et celui qui était alors maire ordonnait d’en enrôler autant pour maintenir l’équilibre des forces. Ces véhicules étaient facilement reconnaissables, avec des grillages de protection soudés sur le pare-brise et les vitres latérales… Et c’était des commerçants proches qui finançaient ces nouvelles embauches.
Je me souviens aussi de cette fameuse nuit du 14 mars 1978 où, jeune journaliste au Quotidien, j’avais été dépêché sur Le Port où on nous avait signalé la mort du jeune Rico Carpaye, atteint par un galet venu du camp d’en face, celui de Paul Julius Bénard. Je n’avais dû mon salut ce soir là qu’à l’intervention de quelques responsables communistes qui m’avaient protégé le temps que je regagne ma voiture, et à la présence d’une compagnie de CRS à proximité.
Si beaucoup se vendaient au plus offrant, il en existait qui avaient des convictions et qui « travaillaient » toujours pour le même camp. Jean-Bernard Ivaha, le plus célèbre des nervis communistes du Sud, était de ceux-là. Ce qui ne l’avait pas empêché de se retourner contre le PCR dans les années 2000 en rejoignant notamment les indépendantistes d’Aniel Boyer.
Il s’était « évadé » de Cayenne, où il était emprisonné, pendant qu’il effectuait une dialyse… Il y était incarcéré notamment après l’affaire du concert de Khaled au Stade Volnay… Il était aussi portier marron du Casino pendant de longues années.
Ces derniers temps, il était le patron du restaurant Briz Marine à Terre Sainte sur le bord de mer.
Avec lui disparaît une certaine idée d’un militantisme mêlant dogmes et brutalité… Une nouvelle page de l’Histoire de La Réunion qui se tourne.