Il faut parfois des crises pour prendre conscience de certaines réalités.
Quand nous autres journalistes, nous nous installons derrière notre clavier d’ordinateur pour écrire nos articles, nous n’avons pas toujours suffisamment conscience des conséquences de ce que nous écrivons.
Nous sommes concentrés sur notre pensée, une phrase en entraine une autre, l’article prend forme. Une fois rédigé, nous cherchons le titre le plus percutant possible, car il ne faut pas le nier : notre objectif est d’être lus, et donc d’appâter le lecteur potentiel.
Le tout dans un contexte de concurrence accrue, avec deux quotidiens « papier » ce qui est rarissime pour un département, et plusieurs sites d’information en ligne de très bonne qualité.
Et il peut arriver, sans en avoir véritablement conscience, que nous blessions, voire même beaucoup plus, certaines personnes que nous prenons pour cible.
Je parle pour moi, car je n’ai pas la prétention de parler au nom de tous les autres journalistes de l’ile. Et il est vrai qu’il m’arrive parfois de me relire, quelques mois plus tard, et de me dire : « Purée, tu y es allé fort« .
Pourtant, ceux qui me connaissent savent que je suis plutôt gentil au naturel.
Il y a donc une sorte de dédoublement de la personnalité qui fait qu’on n’est plus le même quand on prend place derrière son clavier.
Pourquoi je vous dis tout ça? Parce que je me mets à la place de mon confrère Franck Cellier, du Quotidien.
Je le connais et je ne peux penser une seule seconde qu’il ait pu avoir une volonté malsaine et méchante de « pousser à la haine » contre le président de Région et sa famille.
Qu’il y ait un lourd contentieux entre la Région et le Quotidien, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. D’ailleurs, comme le rappelait Didier Robert tout à l’heure en conférence de presse, plusieurs plaintes pour diffamation ont déjà été portées par le passé contre le journal du Chaudron.
Que l’enquête de Franck Cellier, n’ait pas été parfaite, c’est une évidence. L’article paru ce matin comporte plusieurs grosses inexactitudes, plusieurs approximations coupables. Didier Robert préfère parler de « mensonges« . J’en veux pour preuve que Franck Cellier a été très embarrassé pour répondre aux preuves sorties par le président de Région en conférence de presse. Et il est normal que dans ce cas là, plainte pour diffamation soit déposée. Il appartiendra au tribunal de trancher.
Mais, comme je l’ai dit plus haut, je ne peux pas croire que Franck Cellier ait pu faire cela consciemment, avec une volonté de nuire et d’attenter à la vie du président de Région et des membres de sa famille. D’où mon incompréhension face à la plainte portée pour incitation à à la haine, à la violence et au meurtre. Même si je suis conscient que cet article ait pu entrainer, comme d’habitude, un déferlement de haine sur les réseaux sociaux, avec notamment de courageux internautes qui, se croyant à l’abri derrière un faux anonymat (car personne n’est vraiment anonyme sur le net) se sont laissés aller jusqu’à des menaces de mort à l’encontre du président de région.
Je dis ça, et en même temps que j’écris, je réfléchis. Et je me dis que c’est vrai qu’il y a un élément que n’a pas évoqué Didier Robert cet après-midi, c’est l’opportunité de la publication de l’article.
Mettons nous à la place de Franck Cellier et du Quotidien. Admettons, car je le répète je ne peux imaginer qu’il en soit autrement, que le journaliste ait été convaincu du sérieux de son enquête et du contenu de ce qu’il écrivait. Je porte cela à son crédit. Mais reste une question : pourquoi le faire paraitre aujourd’hui?
Le mouvement des Gilets jaunes n’est pas encore totalement apaisé. Cet après-midi encore, des manifestants ont tenté de faire fermer le Carrefour de Ste-Clotilde. On annonce une manifestation demain matin devant la préfecture avec, peut-être, de nouveaux barrages dans l’ile. Quel intérêt de publier cet article aujourd’hui, dans un tel contexte, avec le risque de jeter de l’huile sur le feu?
Les éléments qu’avait le Quotidien en sa possession, il était le seul à les avoir et aucun autre journal n’en disposait. Il n’y avait donc aucun risque qu’il se fasse « griller » son scoop. Pourquoi n’avoir pas attendu la semaine prochaine, une fois que les choses se seraient vraiment calmées, pour sortir l’article?
C’est vrai que le fait de le sortir aujourd’hui fait porter une grosse responsabilité au Quotidien. Responsabilité vis-à-vis des entreprises réunionnaises qui sont à bout de souffle et qui sont pourtant celles qui permettent au Quotidien de vivre, et responsabilité vis-à-vis des Réunionnais qui en ont marre de ces perturbations.
Qui dit que cet article ne sera pas à l’origine d’un « retour de flamme » de la part des manifestants?
J’avais démarré cet article en souhaitant prendre -un peu- la défense d’un confrère car je suis bien placé pour savoir que le métier de journaliste n’est pas toujours facile et que nul n’est à l’abri d’une approximation. Et j’ai conscience qu’en fait, je le conclus en pointant du doigt la responsabilité du journal, au moins en ce qui concerne le choix de la date de parution.
Ainsi va la vie. Vos doigts n’écrivent pas toujours ce que vous auriez souhaité qu’ils écrivent..