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Pierrot Dupuy – Comment se sortir du bourbier de l’article 24 de la loi sur la Sécurité globale, inutile et catastrophique

Jeudi dernier, j’étais interrogé par une journaliste souhaitant avoir mon opinion sur « les menaces qui pèsent sur l’exercice du métier de journaliste, au regard de l’article 24 de la loi sur la Sécurité globale qui souhaite interdire que l’on filme des policiers en action« . Je lui ai simplement demandé si elle avait lu la loi […]

Ecrit par zinfos974 – le dimanche 29 novembre 2020 à 22H42

Jeudi dernier, j’étais interrogé par une journaliste souhaitant avoir mon opinion sur « les menaces qui pèsent sur l’exercice du métier de journaliste, au regard de l’article 24 de la loi sur la Sécurité globale qui souhaite interdire que l’on filme des policiers en action« .

Je lui ai simplement demandé si elle avait lu la loi et elle a eu l’honnêteté de me répondre que non.

A son grand étonnement, je lui ai alors expliqué que nulle part dans la loi il n’était dit qu’elle interdisait que l’on filme des policiers ou des gendarmes.

L’article 24 de la proposition de la loi de sécurité globale adoptée en première lecture par l’Assemblée et qui doit prochainement être examinée par le Sénat, pénalise d’un an de prison et 45 000 € d’amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » de membres des forces de l’ordre en intervention, quand elle porte « atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique ».

Lorsque les premiers juges auront, en cas de procès, à se prononcer sur l’application de cette loi, ils examineront attentivement les débats à l’Assemblée nationale pour mieux cerner la volonté du législateur. Or, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur a été très clair :

« Est-ce que des journalistes pourront filmer et diffuser sans floutage des policiers et des gendarmes ? La réponse est oui ».

Avant d’ajouter : « 

Est-ce que des citoyens pourront filmer une opération de police et même diffuser l’image de ces policiers sans floutage ? Oui ».

Avant de conclure :
 

« Aucun policier » ne pourra empêcher « un citoyen de filmer » une opération de police. « Si [un policier] le fait, c’est un manquement à la déontologie et aux lois de la République », ajoutant que l’agent devra « être sanctionné ». 

Les choses sont donc claires. Pourtant, la polémique continue et même s’amplifie. Pourquoi?

A cause de nombreuses maladresses du même Gérald Darmanin et de l’effet de masse qui pousse certains à répéter ce qu’on leur dit ou qu’ils lisent sans se donner la peine de vérifier. Sans parler de la mauvaise foi de certains opposants à Emmanuel Macron qui ont immédiatement perçu l’intérêt qu’il pouvait y avoir à surfer sur cette fake news.

Les gaffes de Gérald Darmanin

Le ministre de l’Intérieur a fait deux énormes gaffes qui sont venues troubler la compréhension de la loi.

Le vendredi 13 novembre, il aurait dû tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de déclarer que :
 

« il faudra flouter les visages des policiers et des gendarmes » avant de diffuser les images sur Internet.

Cette mesure n’était pas prévue dans la proposition de loi. Il est revenu sur ses propos par la suite, mais le mal était fait.

Cette exigence, en plus, était impossible à réaliser techniquement. Comment obliger des journalistes ou des particuliers qui diffusent en direct en Facebook Live de flouter des visages? Totalement irréalisable.

Gérald Darmanin aurait mieux fait de se taire. Ca lui aurait évité d’être ridicule, de donner des armes à ses adversaires et de créer un tsunami politique.

Obligation pour les journalistes de s’enregistrer auprès du préfet de police

Rebelote quelques jours plus tard. Le mardi 17 novembre, plusieurs journalistes se sont plaints pendant la manifestation du Trocadero à Paris contre le projet de loi sur la Sécurité globale, d’avoir été empêchés de filmer des interpellations et les incidents qui se sont produits lors de la dispersion de la manifestation. L’un d’eux, journaliste à France Télévisions, a été arrêté et placé en garde à vue avant d’être libéré le lendemain.

En conférence de presse, le lendemain, Gérald Darmanin a reproché à ce journaliste de ne pas s’être, en amont,

« rapproché de la préfecture de police, contrairement à certains de ces collègues, pour couvrir cette manifestation ».

Selon lui, lorsqu’ils couvrent les manifestations, les journalistes

« doivent se rapprocher des autorités, en l’occurrence les préfets de département, singulièrement ici le préfet de police de Paris, pour se signaler, pour être protégés par les forces de l’ordre, pour pouvoir rendre compte, faire son travail de journaliste dans les manifestations ».

Ces obligations auraient été contenues selon lui dans le nouveau schéma du maintien de l’ordre (SNMO) publié en septembre.

Tout cela est faux. A aucun moment ce nouveau schéma national n’évoque une telle obligation.

Mais beaucoup plus grave, en faisant une telle déclaration, Gérald Darmanin s’en est pris à la liberté d’informer, un principe pourtant inscrit dans la Constitution.

Sentant le danger, le Premier ministre l’a immédiatement convoqué à Matignon où il s’est pris un savon monumental. Preuve en est : il est resté plusieurs jours sans apparaitre dans les médias.

Il n’a à nouveau donné signe de vie qu’hier pour condamner les dérapages survenus durant la manifestation parisienne contre la loi, durant laquelle 62 policiers et gendarmes ont été blessés, dont un lynché par des manifestants alors qu’il se trouvait au sol. Il se relèvera avec trois dents cassées.

Ce qui a fait dire à certains que ce sont les manifestants qui ont sauvé la peau de Gérald Darmanin et de la loi : Impossible pour le Premier ministre et pour Emmanuel Macron de retirer la loi et de congédier le ministre de l’Intérieur après de tels incidents.
 

 

Passons rapidement sur les tentatives pitoyables de Jean Castex de se sortir de ce guêpier en annonçant qu’il allait nommer une commission pour réécrire la loi, ce qui a provoqué la colère des députés de sa propre majorité et des présidents des deux assemblées, au point qu’il a dû faire, une nouvelle fois marche arrière.

Tout cela, je le répète, alors que la loi à aucun moment ne prévoit l’interdiction de filmer les policiers !

Autrement dit, comment se mettre tout seul dans la panade ?

La loi, si elle n’interdit pas de filmer les forces de l’ordre, contient cependant une disposition qui peut prêter à confusion. Elle interdit, rappelons-le, la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » de membres des forces de l’ordre en intervention, quand elle porte « atteinte » à leur « intégrité physique ou psychique ».

Une notion floue qui fait craindre à certains que certains policiers puissent être tentés de les empêcher de filmer, au motif que ça met en cause « leur intégrité psychique »…

Comment se sortir de ce bourbier ?

Une issue aurait pu consister à retirer purement et simplement l’article 24 de la loi.

Et une excuse en or était offerte sur un plateau au gouvernement : Le 9 décembre prochain, le Conseil des ministres doit examiner le projet de loi « Séparatismes » qui crée un délit similaire, plus large puisque concernant toutes les personnes (et pas seulement les forces de l’ordre)… Et plus sévère !

Petit rappel : l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale punit « d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende » la diffusion de l’image de tout « élément d’identification » d’un policier ou gendarme, dans le but de « port[er] atteinte à son intégrité physique ou psychique« . Le texte ne vise donc que les forces de l’ordre.

De son côté, l’article 25 du projet de loi « confortant les principes républicains » pénalise « le fait de révéler, diffuser ou transmettre […] des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens« . Sanction : 3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende, et même 5 ans et 75.000 euros si la victime est dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public.

On le voit, la loi sur les séparatismes est plus précise et bien plus sévère ! Et d’une portée beaucoup plus large puisque ne concernant pas que les fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre.

La loi sur la Sécurité globale risque donc de devenir inutile car, comme le fait remarquer le Journal du Dimanche, on ne voit pas l’intérêt qu’aurait un procureur « à utiliser le polémique article 24 pour poursuivre les auteurs de la diffusion malveillante d’images identifiant un policier ».

Tout ça pour ça !!!

Reste que même ce nouveau texte n’est pas exempt de critiques. Il implique en effet une notion d’intention (« dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique« ), qui pose problème, comme l’a souligné le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, dimanche sur BFMTV :
 

« Le droit pénal est d’interprétation stricte, et on ne peut pas poursuivre en droit pénal français des gens pour une intention, mais pour un acte ou pour un fait. Ça fait partie des choses que j’ai dites et que j’ai transmises ».

On l’a dit, à la suite des violents incidents qui ont émaillé la manifestation d’hier à Paris, le Premier ministre ne peut plus faire marche arrière et il est condamné à aller jusqu’au bout de la loi, en espérant que le Sénat apporte un certain nombre de corrections bienvenues.

Pour donner du grain à moudre aux opposants au projet et ne pas perdre définitivement la face, le Journal du Dimanche affirme qu’il va annoncer des mesures, certains parleront de mesurettes.

Pour répondre à la requête très ferme du président Emmanuel Macron de lui « faire rapidement des propositions pour réaffirmer le lien de confiance » entre les Français et les forces de l’ordre, on s’attend à ce que peut-être dès lundi, lors de son audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonce peut-être une réforme de l’IGPN, la police des polices, des mesures dans le domaine de la formation continue des forces de l’ordre, la lutte contre les discriminations, l’association de la population à l’action policière ou la nomination d’un haut-commissaire.

Quel gâchis !

 

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