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Pierrot Dupuy – Ainsi était Bruny Payet

Bien des choses ont été dites sur Bruny Payet et son parcours d’exception unanimement salué. Pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises ces dernières années, notamment avec le regretté Jean-Claude Barret et un autre ami commun, je voudrais retenir de nos divers échanges en toute liberté deux ou trois choses qui m’ont frappé et que je […]

Ecrit par zinfos974 – le lundi 21 septembre 2020 à 05H00

Bien des choses ont été dites sur Bruny Payet et son parcours d’exception unanimement salué. Pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises ces dernières années, notamment avec le regretté Jean-Claude Barret et un autre ami commun, je voudrais retenir de nos divers échanges en toute liberté deux ou trois choses qui m’ont frappé et que je vous livre.

Un grand témoin de l’histoire de La Réunion

Ces échanges avaient même pour partie été enregistrés en vidéo mais les fichiers ont été égarés au gré de différents changements d’ordinateurs. Peut-être remettrai-je la main dessus un jour. Mais je dois dire, avec le recul, que j’avais éprouvé un grand plaisir à discuter avec cet homme érudit, qui a été une des grands témoins de l’Histoire de La Réunion. Moi le journaliste que l’on classe parfois un peu trop facilement à Droite et cet homme sur la fin de sa vie, marxiste convaincu, qui avait vécu dans l’ombre de Paul Vergès et que ses propres camarades avaient mis de côté. Il avait d’ailleurs fallu un article de Zinfos, il y a de cela quelques années, le montrant seul, sur un bord de chemin, regardant passer un défilé du 1er mai, pour que ses camarades se souviennent de lui et le remettent au premier plan.

La première chose que je retiens donc de ces heures de discussion, c’est certainement la grande humilité de Bruny Payet.

Parmi ses nombreux exploits, comment ne pas évoquer son brillant parcours lycéen ? Rappeler cela aujourd’hui, en 2020 a l’air anecdotique et pourtant.

Au lycée avec Raymond Barre, les frères Vergès et Auguste Legros

Bruny Payet est un élève brillant né d’une famille nombreuse et très modeste de La Rivière Saint-Louis. Les enseignants de son établissement, le Cours Complémentaire, comme cela s’appelait à l’époque, convaincus du potentiel du jeune Bruny, vont tout faire pour convaincre son père de le présenter au lycée Leconte de Lisle.

« Le présenter » car on accède au lycée sur « examen », surtout si on vient des « quartiers » comme disaient les anciens, mais convaincre le père de Bruny ne fut pas facile. Non pas qu’il doutait de l’appréciation des enseignants ni des capacités de son fils mais tout simplement parce que la famille n’avait pas les moyens de prendre en charge les études du jeune Bruny. C’est à dire les frais de scolarisation car les études au lycée sont payantes, et la pension. Comme l’a fort justement rappelé mon ami Jules Bénard, sans l’aide de Léonus Bénard rien n’aurait été possible.

Mais restons au lycée. Bruny Payet, après s’être débarrassé de l’examen d’entrée, simple formalité pour lui, intègre l’établissement en1938. Il est en 3ème en même temps que Raymond Barre, les frères Vergès et Auguste Legros notamment. Mais tout ce petit monde est en troisième classique, Bruny qui n’a pu faire ni latin ni grec à la Rivière Saint-Louis, est en troisième moderne.

Deux élèves dominent alors l’établissement par leur réussite et leur intelligence et trustent tous les prix, dans leurs classes respectives : Raymond Barre et Bruny Payet. La légende entretenue et colportée jusqu’à nos jours rapporte que Raymond Barre et les frères Vergès (Jacques plus que Paul selon les jours et les interlocuteurs) dominaient les études lycéennes, ce qui est incontestable pour Raymond Barre mais tout à fait inexact pour les frères Vergès, quand bien même ils étaient parmi les bons élèves. Ainsi va la légende des Vergès.

Quant à Bruny Payet, il n’a pas fini de croiser leur route et de subir leur ombre portée. Interrogé sur cette partie de sa vie et sur ces aspects, Bruny se contentait de rigoler.

Bruny Payet, après le lycée, poursuivra de tout aussi brillantes études d’ingénieur à l’Ecole Supélec dont il sortira avec le diplôme d’ingénieur.

Marxiste jusqu’à son dernier souffle

La deuxième chose que je retiens, ce sont ses convictions, son refus des injustices et son adhésion au marxisme qu’il précisait lui-même comme « sans retour ».

Sur ce plan il était intarissable, racontant de multiples anecdotes de son éternel combat contre ce qu’il appelait « le capitalisme et ses méfaits« . C’est toute son énergie et son intelligence livresque, mais surtout pratique, que Bruny Payet va mettre à l’organisation de la défense des travailleurs, ouvriers comme planteurs ou demandeurs d’emploi, au sein de la CGTR.

Lucide sur le rôle et la personnalité de Paul Vergès

La troisième chose, c’est sa lucidité sur le PCR auquel il a tout donné et particulièrement sur Paul Vergès, le secrétaire général du parti. En privé, ses critiques sur Paul Vergès étaient sévères et il n’était pas dupe du personnage, ni de son intelligence qu’il reconnaissait volontiers, tout autant que de son mauvais génie. Il est intéressant d’ailleurs de noter que dans sa lettre de 2004 (qu’Ary Yee Chong Tchi  Kan a fait reparaître à son décès), où il revisite ses combats, jamais Bruny Payet ne nomme Paul Vergès.

A ce propos, je voudrais rapporter un fait totalement méconnu. On sait que brillant ingénieur, après son passage à la mairie de Saint-André, sous Raymond Vergès, comme secrétaire général de mairie, Bruny Payet ne retrouvera plus jamais d’emploi auquel il pouvait légitimement prétendre.

Ce fait est exact, et on ne peut nier ni excuser la responsabilité des autorités et des politiques de l’époque. Il ne faut cependant pas sous-estimer le rôle de certains de ses propres camarades.

A la fin des années 60, le directeur de l’EER (Energie Electrique de La Réunion) de l’époque est un ancien camarade de promotion de Bruny Payet à l’Ecole d’Ingénieur Supélec, qu’il retrouve plusieurs années après à La Réunion. Ils se fréquentent et ce directeur est effaré de la situation personnelle et professionnelle de Bruny Payet. Il se met alors en tête de le faire rentrer à la tête d’une des directions techniques de l’EER. Cela ne se fera pas, les propres camarades de Bruny intervenant au plus haut niveau pour s’opposer à son recrutement, au grand désespoir de son ami directeur.

Rapportée par une source digne de confiance, nous avons voulu vérifier cette information lors d’un de nos entretiens avec Bruny Payet. Après une courte hésitation, le seul commentaire de Bruny Payet fut : « Ah! bon ? » avant de partir dans un grand éclat de rire !

Un homme très sympathique

De même, peut-être reviendrons-nous un jour sur ce qu’il nous a dit quand nous l’avons interrogé sur deux morts tragiques qui ont marqué la vie de Paul Vergès, celle d’Alice Peverelly à 37 ans, un soir au volant de sa Coccinelle, après avoir quitté la route de la Montagne au lieu-dit la Ravine à Malheur. Ou encore celle d’Alexis de Villeneuve, le 25 mai 1946, une mort pour laquelle Paul Vergès a été condamné en juillet 1947 par la cour d’assises de Lyon.

Bruny Payet a toujours refusé de rompre avec le Parti qu’il a contribué à fonder, estimant jusqu’à la fin de sa vie, où il se plaisait à nous dire qu’il réétudiait Marx, qu’il était bien plus important que sa propre situation et ce que certains ont en fait. 

Que dire de plus ? Son humour, son abnégation et son humanité qui faisaient que d’accord ou pas avec ses positions et ses analyses, il disposait d’un capital de sympathie, grand et qui ne fut jamais érodé (le seul capital dont il sera détenteur finalement, avec naturellement l’œuvre de Marx !).

Ainsi était Bruny Payet.

 

Pierrot Dupuy - Ainsi était Bruny Payet

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