Si le juge administratif devait leur donner raison, la conséquence serait que Pierre Vergès, et les 7 autres conseillers régionaux de l’Alliance qui siègent au conseil d’administration de l’association, seraient déclarés inéligibles pour les prochaines élections régionales…
D’abord, situons le problème. Les magistrats du Conseil d’État sont très sévères avec les maires, présidents de conseils généraux ou régionaux, qui mettent en place des « associations transparentes« , dans le but de contourner la loi et surtout les règles de comptabilité publique.
En clair, ils cherchent à éviter qu’un responsable de collectivité puisse créer une association dans un domaine relevant du service public, et qu’il la dote de fonds importants, tout en la contrôlant à distance, mais en échappant aux contrôles budgétaires auxquels il est soumis dans sa collectivité.
De nombreuses jurisprudences du Conseil d’Etat (5 décembre 2005, Département de Dordogne / 21 mars 2007 Commune de Boulogne-Billancourt…) montrent que, pour se faire une opinion, les magistrats vont se baser sur un faisceau d’indices autour de 4 critères. Ils vont vérifier si la création de l’association a été faite à l’initiative d’une personne publique, si l’association a un objet régional, quel est le contrôle exercé par la personne publique sur l’organisation et le fonctionnement de l’association, et enfin si les ressources de l’association proviennent principalement de la collectivité.
Ainsi, dans leur arrêt sur le département de la Dordogne, les juges précisent clairement que « pour juger que le comité d’expansion de la Dordogne ne disposait pas d’une autonomie réelle à l’égard de la collectivité publique, la cour administrative d’appel s’est fondée sur plusieurs indices concordants tirés des conditions de création de cette association, de son objet, de son financement et de l’influence des représentants du département en son sein« …
Examinons donc chacun de ces critères individuellement…
Aucun doute n’est possible là dessus puisque ce sont les élus eux mêmes de la Pyramide inversée qui s’en vantent… Et d’ailleurs, cette création résulte d’une mission qui avait à l’époque été confiée par la Région à la SR21. Autrement dit, la Région présidée par Paul Vergès et dont le vice-président est Pierre Vergès, confie à Pierre Vergès, président de la SR21 la mission de la conseiller en vue de la création de la structure qui va remplacer le fameux CTR. Laquelle SR21, présidée par Pierre Vergès, propose la création de l’association « Ile de la Réunion Tourisme » (IRT) dont la présidence sera prise par… Pierre Vergès! On n’est jamais aussi bien servi que par soi même…
L’association Ile de la Réunion Tourisme a donc été créée le 12 décembre 2007. Le préambule de ses statuts énonce que « c’est dans cet esprit et conformément à la loi qu’un véritable Comité Régional du Tourisme doit être créé, permettant d’associer aux côtés de la Région (NDLR : les passages surlignés sont le fait de la rédaction de Zinfos), outre le Département, les Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI), les organismes consulaires, les conseils consultatifs et les organisations professionnelles représentatives« .
Autre détail révélateur : la séance de l’assemblée générale constitutive a été ouverte par Madame Gaud « en sa qualité de 1ère Vice Présidente de la Région« .
Enfin, la Région bénéficie de 5 élus au sein du bureau de l’association (Pierre Vergès, Marie-Pierre Hoarau, Emmanuel Lemagnen, Catherine Gaud et Wilfrid Bertile), contre un seul pour le Conseil général ou encore 3 pour les professionnels.
Ce premier « indice » est donc bel et bien avéré.
L’objet de l’association est-il à vocation régionale ?
Là aussi, la réponse semble évidente.
La Région Réunion a obtenu par convention avec le Département la pleine compétence « tourisme » au delà de ce que lui attribue le code du tourisme. Or l’association Ile de la Réunion Tourisme a été créée pour agir pour le compte de la Région Réunion dans ce domaine.
Le préambule des statuts est à ce sujet très clair puisqu’après avoir rappelé les articles L131-1 et L131-2 du code du tourisme, il énonce que, « s’agissant des régions et départements d’outre-mer, l’article L161-3 du code du tourisme stipule que « le Conseil Régional et le Conseil Général peuvent par accord créer un organisme unique qui exerce les compétences dévolues aux Comités Régionaux du Tourisme et aux Comités Départementaux du Tourisme ». C’est dans ce cadre, que le Comité du Tourisme de la Réunion a été créé en 1989, par fusion de l’ARTL (Agence Régionale du Tourisme et des Loisirs) et du CDT (Comité Départemental du Tourisme). C’est dans cet esprit et conformément à la loi qu’un véritable Comité Régional du Tourisme doit être créé, permettant d’associer aux côtés de la Région, outre le Département, les Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI), les organismes consulaires, les conseils consultatifs et les organisations professionnelles représentatives« .
Selon l’article 4 des statuts, « l’association « Ile de la Réunion Tourisme » concourt, pour le compte de la Région Réunion, à l’exécution de la politique du tourisme décidée par le Conseil Régional en concertation avec les partenaires institutionnels et les acteurs professionnels. A ce titre, elle met en œuvre tout ou partie du Schéma de Développement et d’Aménagement Touristique de la Réunion et des actions contribuant à l’exécution des objectifs fixés. Elle exerce les compétences dévolues aux comités régionaux du tourisme et aux comités départementaux du tourisme« .
En outre, l’association Ile de la Réunion Tourisme peut se voir confier des attributions complémentaires par le Conseil Régional. C’est ainsi que lors de la séance du bureau du 19 février 2009, l’association a prévu de gérer l’e-tourisme lancé par la Région Réunion (plateforme de réservation et d’information par internet). Lors de la même réunion de bureau, l’association a par contre refusé d’assumer les charges des offices du tourisme car elles étaient déjà assumées par la Région Réunion.
Enfin, si un doute était encore permis, « l’association « Ile de la réunion Tourisme » concourt, pour le compte de la Région Réunion, à l’exécution de la politique du tourisme décidée par le Conseil Régional en concertation avec les partenaires institutionnels et les acteurs professionnels. A ce titre, elle met en œuvre tout ou partie du Schéma de Développement et d’Aménagement Touristique de la Réunion (SADTR) et des actions contribuant à l’exécution des objectifs fixés« .
Il n’y a donc aucun doute : l’association exerce bien la compétence tourisme de la Région Réunion telle que définie par le Conseil régional. Le deuxième indice est donc lui aussi présent…
La Région exerce t’elle un contrôle sur l’organisation et le fonctionnement de l’IRT ?
Plusieurs indices démontrent l’existence d’un tel contrôle.
D’abord, le siège de l’association était à l’Hôtel de Région (article 3 des statuts). Le changement de siège social a été décidé lors de la réunion du conseil d’administration du 27 février 2009 (place du 20 décembre 1848) mais les réunions du conseil d’administration ont continué à avoir lieu à l’Hôtel de Région.
Ensuite, l’association compte 35 membres de droit ayant le droit de vote (les membres associés n’ont pas le droit de vote) et qui forment le conseil d’administration. Sur ces 35 membres de droit, 8 sont des conseillers régionaux de la majorité du président Paul Vergès et 5 sont des personnalités qualifiées nommées par le président de la Région, soit 13 membres sur 35. Le reste des votants est nommé par des organismes publics (12 membres) et 10 sont des représentants des professionnels du tourisme. La place de la Région est donc prépondérante dans le conseil d’administration (37%). D’autant plus que dans le bureau qui a en charge la gestion courante, la Région compte 5 membres sur 13, soit 38,46% des membres.
Ça, c’est sur le papier. Dans la pratique, et surtout depuis 2009, il arrive fréquemment que les élus soient largement majoritaires lors des réunions du bureau, du fait de l’absence des professionnels qui semblent « bouder » Pierre Vergès. Résultat : les décisions se prennent entre élus et personnalités désignées par la Région, ce qui est strictement interdit par la loi.
En outre, il convient de rappeler que le président de l’association est Pierre Vergès qui est vice-président du conseil régional, délégué de la Région Réunion aux affaires générales et financières et qu’au sein de l’association; que les délégations, à l’exception de celle de Paul Caro (représentant la CCIR), n’ont été données qu’à des membres du conseil régional et à deux membres de l’association, personnalités qualifiées désignées par le Président de la Région; soit 5 délégations sur 6 (Catherine Gaud vice-présidente du conseil régional, Yvon Virapin-Kichenin vice-président du conseil régional, Marie-Pierre Hoarau conseillère régionale, Ayub Ingar et Jean-Yves Langlois personnalités qualifiées désignées par la Région).
Autre élément à prendre en compte : Pierre Vergès a imposé la présence des cadres de la Région en charge du Tourisme lors des réunions de conseil d’administration et de bureau, présence notée dans les procès-verbaux de réunions…
Enfin, l’IRT a vécu pendant 8 mois sans directeur. Pendant cette période, c’est Pierre Vergès qui « a fait fonction« , comme en attestent plusieurs documents en notre possession signés « Pierre Vergès, directeur de l’IRT« …
Personne ne peut donc nier que la Région Réunion exerce un contrôle sur l’association à travers les élus et les personnalités qualifiées qui la représentent, et tout particulièrement à travers Pierre Vergès.
Le financement de l’IRT est-il essentiellement d’origine régionale ?
En 2009, il y a eu deux conventions pour le subventionnement de l’association: un acompte du 4 février 2009 (5.076.794,50 euros) et la convention de subventionnement du 4 septembre 2009 (10.115.453 euros).
La Région Réunion a donc assuré 78,49% du subventionnement de l’association Ile de la Réunion Tourisme (10.115.453 euros sur les 12.887.826 euros), sans compter les subventions indirectes (notamment la mise à disposition du siège social à l’Hôtel de Région).
Le reste du financement provient des fonds européens, lesquels fonds dépendent des subventions de la Région. On approche donc quasiment les 100% de financement d’origine régionale.
Voilà donc remplie la 4ème condition…
Pourquoi Pierre Vergès et 7 élus sortants de l’Alliance seraient-ils inéligibles ?
L’article L231 du code électoral précise que « ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois : (…) 8° Les directeurs de cabinet du président du conseil général et du président du conseil régional, les directeurs généraux, les directeurs, les directeurs adjoints, chefs de service et chefs de bureau de conseil général et de conseil régional, le directeur de cabinet du président de l’assemblée et le directeur de cabinet du président du conseil exécutif de Corse, les directeurs généraux, les directeurs, les directeurs adjoints, chefs de service et chefs de bureau de la collectivité territoriale de Corse et de ses établissements publics »
Le code électoral prévoit une disposition identique pour les élections au conseil général (article L195 du code électoral) et au conseil régional (article L340 du code électoral).
Or, le Conseil d’Etat a assimilé les associations transparentes aux services des départements et régions visés par l’article L231 du code électoral, et a ainsi déclaré inéligible le directeur d’une telle association fondée par le département et dont la mission était de coordonner, pour son compte et sous son contrôle, l’ensemble de ses interventions économiques (Conseil d’État, 26 janvier 1990, Élections municipales de Chantilly).
La qualification d’association transparente entraîne donc l’inéligibilité du (ou des) dirigeant(s) de l’association selon cette jurisprudence…. Dans le cas de l’IRT, sont concernés Pierre Vergès, Catherine Gaud, Yvon Virapin-Kichenin, Marie-Pierre Hoarau, Emmanuel Lemagnen, Marie-Paule Abriska, Jocelyne Lauret et Wilfrid Bertile…