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Paul Hoarau: Lettre aux maires élus du mois de mars

Monsieur le Maire,   La majorité des électeurs de votre commune vous a choisi. Le peuple souverain à travers le vote de ces électeurs vous a confié la conduite des affaires de votre commune. Vous êtes le maire. Vous êtes le serviteur des habitants de votre commune. Vous n’êtes pas leur maître. Si pendant les […]

Ecrit par zinfos974 – le mardi 29 avril 2014 à 10H12
Monsieur le Maire,
 
La majorité des électeurs de votre commune vous a choisi. Le peuple souverain à travers le vote de ces électeurs vous a confié la conduite des affaires de votre commune. Vous êtes le maire. Vous êtes le serviteur des habitants de votre commune. Vous n’êtes pas leur maître. Si pendant les six années qui viennent, vous n’êtes pas un bon serviteur, le peuple souverain, à travers le vote des électeurs, vous remplacera par un autre.
 
Vous pouvez rêver d’être président du conseil régional, député, ministre ou président de la République, votre premier devoir, pour le moment, est de servir les habitants de la commune dont vous êtes le maire.
 
Les équipements – voiries, écoles, logements, espaces publics, etc. – ne seront pas la partie la  plus difficile de votre tâche. Des dispositifs nationaux et européens contribueront à leur  financement. Vos services techniques feront le nécessaire pour qu’ils se réalisent dans de bonnes conditions. Il faut être vraiment nul pour qu’aux échéances électorales un maire ne puisse pas afficher de réalisations dans ce domaine. Et il faut que ces réalisations soient exceptionnelles pour avoir des conséquences déterminantes sur les votes. De nombreux maires sortants ont été battus, malgré un bilan impressionnant d’équipements réalisés. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas construire, équiper, moderniser, car l’échec serait assuré ; cela veut dire que les réalisations en matière d’équipements, ne sont pas électoralement les plus déterminantes.
 
Le plus difficile, ce sont les rapports humains du maire avec l’ensemble de sa population. La proximité, l’écoute, la réactivité, l’efficacité sont essentielles dans le métier de maire. Cela vaut avec les acteurs économiques, culturels, sociaux et autres, comme avec le citoyen lambda, sans intérêts particuliers à défendre, sans lobby à organiser, mais souvent dans le besoin, et plus souvent qu’il le faudrait, dans la détresse.
 
Le service public strict doit être assuré par vous. Ne le laissez pas au privé. Les logiques économiques ne sont pas les mêmes.
 
Mais au-delà du service public, la tentation d’un maire est de faire à la place des acteurs, plutôt que de permettre à ces derniers de bien faire leur métier, et de réussir. Faire soi-même est, pour une mairie, un moyen de tenir beaucoup de monde dans sa dépendance, donc, pense-t-elle, électoralement : de tenir les salariés par l’emploi qu’elle leur procure, les chefs d’entreprises par les marchés qu’elle offre, les associations par les subventions qu’elle dispense.
 
Les acteurs économiques, culturels, sociaux et autres, ne doivent pas être dépendants du maire, mais partenaires : des partenaires qui négocient, qui signent des accords, des conventions, des contrats ; qui offrent des services et des produits, et à qui la mairie demande des services et des produits.  
 
Les SEM sont à la limite de l’acceptable, les associations créées par les collectivités ne le sont pas : c’est la négation de la nature même de l’association. Les associations, lorsqu’elles sont créées par les collectivités, permettent à celles-ci d’échapper aux règles sévères et encadrées de la comptabilité publique, de placer des « amis » politiques, qui n’ont pas toujours les compétences nécessaires (on l’a vu et on continue de le voir à travers les déboires de certaines associations qui ont défrayé la chronique). Ces pratiques, par-dessus tout, contribuent à figer, à « fonctionnariser » (au mauvais sens du terme) le travail ; à entraver la diversité, l’initiative, la créativité, l’esprit d’entreprise des acteurs quand ils sont indépendants. Elle crée des discriminations entre les acteurs accrédités par la collectivité ou dépendants d’elle, et qui sont bien servis ; et les autres qui ont des miettes ou rien du tout. Je reconnais qu’il ne sera pas facile de trouver de nouvelles règles et de nouvelles pratiques. Mais il faudra quand même ouvrir un chantier de réflexion politique sur cette question. Et voilà une bonne introduction à la deuxième partie de ma présente réflexion
 
Comme maire, la priorité est donc à votre commune. Mais vous faites partie des responsables politiques de l’île, parce que vous êtes un élu du suffrage universel. Dans la nouvelle gouvernance régionale (gouvernance qui aurait dû déjà fonctionner depuis la décentralisation), vous aurez une responsabilité dans la définition des politiques réunionnaises et bien entendu dans la gestion de leur application.
 
Ce n’est pas à Paris, comme c’est le cas aujourd’hui, que doivent être conçues la politique générale et les politiques particulières pour La Réunion, mais ici. Depuis la décentralisation, cela est la Loi, non pas une loi spécifique aux DOM de surcroît, mais le droit commun pour toutes les régions françaises.
 
Les politiques nationales, européennes, indianocéaniennes, pratiquement, pourront et devront souvent, faire l’objet d’adaptations ; des politiques régionales originales devront également être conçues, expérimentées. Ces adaptations des politiques nationales, européennes et indianocéaniennes, et l’émergence de politiques régionales, tout ensemble, s’imposent pour tenir compte des réalités locales et de la nécessaire liberté-responsabilité des habitants dans la conduite des affaires de leur pays. 
 
Qui a la charge de tout cela, politiquement ? La Région. 
 
La loi Defferre de 1982, « relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions » est claire : « Le conseil régional, dit-elle, a compétence pour promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région, l’aménagement de son territoire et pour assurer la préservation de son identité. .. » Cette compétence recouvre tout le panel des secteurs d’activités. On peut donc se demander quelles sont les compétences qui restent pour les autres collectivités. La réponse est simple. Cette définition de compétences attribuées à la région, que l’on ne retrouve pas aux chapitres des communes et des départements dans cette loi, signifie qu’il s’agit de compétences politiques, celles de « promouvoir le développement », à la différence des compétences administratives qu’exercent toutes les collectivités (région comprise), par exemple : lycées à la région, collèges au département, écoles à la commune ; l’économie pour la région, le social pour le département.
 
Mais le texte que je n’ai pas cité en entier, ajoute : « … dans le respect de l’intégrité, de l’autonomie, des attributions des départements et des communes. » Cela signifie que l’exercice de ses compétences politiques par la région ne peut se faire qu’en concertation avec le département et les communes. Sinon nous risquons de voir apparaître des politiques contradictoires entre les collectivités ou des doublons nuisibles ou coûteux.
 
Qui a donc la charge de définir des politiques de développement pour La Réunion ? Réponse : la région en concertation avec le département et les communes, et, bien entendu, en partenariat avec les assemblées consulaires, les organisations professionnelles et syndicales, les associations et les acteurs. Une bonne politique ne peut pas sortir du cerveau, fût-il génial, d’un élu isolé dans son bureau. Le conseil économique et social sera l’outil technique de ce travail.
 
 La Réunion – et non pas tel ou tel Réunionnais en électron libre – ayant  dit ce qu’elle veut, elle-même, librement, en toute responsabilité, les aspirations qui seront exprimées et les propositions qui seront formulées seront  négociées avec le gouvernement, avec la commission européenne, avec la COI. Et les accords qui résulteront de ces négociations seront appliqués, concrétisés, mis en musique par les exécutifs nationaux, les parlements, les institutions diverses, les collectivités, les acteurs, etc. Ce sont ces accords, ratifiés par les instances compétentes lorsque cela sera nécessaire, qui constitueront le cadre de la politique générale et des politiques particulières, à La Réunion. 
 
Vous voyez bien quelle sera votre place dans le trinôme politique du départ. Et vous pouvez discerner ce que les maires pourront apporter d’expérience de la proximité, de connaissance du terrain, d’écoute de la base, dans la définition des politiques réunionnaises. 
 
 
Monsieur le Maire,
 
Dans ce contexte et dans cette perspective, autant dans votre fonction de maire, que dans celle de co-responsable de la politique pour La Réunion, n’oubliez pas que le développement durable de l’île commence dans votre commune.
 
Le développement durable de l’île, ce sera d’abord le tissu de ces petites et moyennes entreprises d’artisans, d’agriculteurs, de commerçants, de prestataires de services, d’artistes qui produisent ou assurent des prestations sur le territoire de votre commune. C’est par eux que le développement réunionnais s’enracine. Ne les laissez pas tomber. Un vendeur de fruits et légumes qui installe son étal sur le bord d’un chemin, ou d’une rue, c’est un chômeur de moins. Ne laissez personne lui arracher le pain qu’il gagne par son travail. Si cela est nécessaire, s’il n’y a pas de danger avéré pour la vie d’autrui, il faudra trouver, politiquement, des arrangements avec « les normes européennes ».
 
Il ne s’agit pas de rejeter les grosses entreprises – locales ou venues d’ailleurs – elles rapportent des recettes fiscales et  créent des emplois. Mais à la condition qu’elles ne détruisent pas, qu’elles ne puissent pas détruire les éléments du tissu économique enraciné dans votre commune, qui marchent. En dehors de la grande distribution, La Réunion est passée à côté d’implantations de grosses industries d’exportation de nos ressources naturelles ou d’industries de transformation qui lui auraient rapporté  des richesses supplémentaires non négligeables. Cela est regrettable.
 
Le développement durable, c’est aussi, le développement culturel, qui doit participer au développement économique. Le développement culturel, c’est certes, le développement de l’art, de la musique, de la danse, de la littérature, mais aussi, de la manière réunionnaise, de la création réunionnaise dans les disciplines artistiques, techniques, économiques, environnementales, etc. 
 
Vous avez en charge, également, le social de proximité : le logement social, les cantines et les transports scolaires, les transports en commun, les repas à domicile, l’hébergement des sans domicile fixe, les secours d’urgence, les emplois aidés, etc, tout cela vous concerne et prendra beaucoup de votre temps. Là encore ne faites pas le travail des autres : des travailleurs sociaux, des organisations humanitaires et caritatives. Votre CCAS ne doit pas travailler dans un esprit de concurrence avec les organismes sociaux du territoire de votre commune. Il doit tout mettre en œuvre pour que l’action sociale soit menée ensemble par tous les acteurs de la commune. Certaines structures seraient même plus efficaces si elles étaient co-gérées par le CCAS et les organisations caritatives et humanitaires de la commune.
 
Que votre relation avec les acteurs – tous les acteurs : gros, moyens ou petits ;  économiques, culturels, sociaux – de votre commune ne soit pas seulement administrative : attributions de marchés, subventions, autorisations et permis divers. Qu’elle soit aussi, politique, humaine. Comment faire pour développer l’activité dans la commune, pour permettre aux entreprises existantes de vivre mieux, pour encourager les initiatives nouvelles ; comment faire ensemble, la guerre à la misère et à l’exclusion ; comment valoriser le patrimoine tout en le protégeant ? Ce n’est pas enfermé dans la mairie avec seulement vos équipes rapprochées et vos services, que vous ferez cela, mais c’est sur le terrain, avec vos administrés (qui sont vos patrons). 
 
 
Monsieur le Maire,
 
J’ai voulu partager avec vous près de soixante ans de réflexion et d’observation, et un peu d’expérience d’adjoint au maire de Saint-Denis dans les années 90. J’ai souhaité d’autant plus ce partage, que dans les mois qui viennent, lorsque la nouvelle gouvernance régionale se mettra en place, vous aurez, comme maire, une part non négligeable dans l’évolution de la politique à La Réunion. 
 
Dans la crise mondiale, La Réunion dispose de marges de manœuvres que n’ont pas les régions métropolitaines. C’est la manière réunionnaise, qui permettra de faire jouer ces marges de manœuvres. Et cela, personne d’autre que nous peut le faire.
 
Je ne pense pas que de faire jouer la peur soit une bonne politique. Mais je dis sereinement et fermement qu’à continuer de jouer dans le jeu de « La Réunion c’est la France parce qu’elle est française », c’est aller droit au mur. La Réunion est française à égalité avec toutes les autres régions françaises. Mais La Réunion n’est pas la France et n’est pas en France . Toute la politique que nous devons construire ici, doit partir de cela : la manière réunionnaise au pays Réunion qui n’est pas le pays France, au sein de la République française.
Bon courage et bon vent. Votre commune et toute La Réunion comptent sur vous, 

 

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