Où va l’Inde de M. Modi ?
Pour toute une génération dont je fais partie, l’Inde a longtemps fait figure de modèle politique. La lutte contre le colonialisme anglais, menée avec humanisme et finesse stratégique par le mahatma Gandhi, demeure encore aujourd’hui un exemple à suivre. Combinant saty?graha (littéralement « attachement à la vérité »), la résistance à l'oppression par la désobéissance civile de masse, et ahi?s?, non violence, respect de la vie, Gandhi avait su mettre l’occupant devant ses propres contradictions.
Ecrit par Mohamed AÏT-AARAB – le mercredi 10 février 2021 à 10H21
Une décennie plus tard, alors que le monde vivait dans la crainte d’une guerre “chaude” entre les deux super puissances du moment, U.R.S.S. et U.S.A., l’Inde contribue activement à la naissance du mouvement des non alignés. Nehru, aux côtés de Nasser et Tito, est le promoteur d’une troisième voie originale, tant par ses options politiques que de développement économique.
Et à la fin du XXe siècle, l’Inde, malgré de graves déficiences dans nombre de secteurs, est un pays qui s’affirme, économiquement, intellectuellement, scientifiquement.
Pourquoi dès lors poser la question qui donne son titre à ce billet ?
La trajectoire du pays, dirigé depuis 2014 par Narendra Modi, 1er ministre issu des rangs du parti nationaliste hindou BJP (Bharatiya Janata Party), préoccupe non seulement les amis de l’Inde, mais de manière plus générale tous les observateurs.
Depuis le mois de décembre, des agriculteurs venus du Pendjab et de l’Haryana bloquent l’accès à New Delhi. Après deux mois de mobilisation dans leurs provinces et face au silence des autorités, ils ont décidé de faire route vers la capitale pour une grève générale – Bharat Bandh, « Inde fermée », le 8 décembre dernier. En cause, un projet de loi libéralisant les marchés agricoles et qui aura pour effet de fragiliser et d’appauvrir des millions de paysans indiens.
Cet épisode n’est que le dernier d’une longue liste d’agissements du pouvoir central qui inquiète quant à l’état de la démocratie indienne. En août 2019, le statut d’autonomie du Jammu-et-Cachemire était révoqué. Dix-huit mois plus tard, la situation économique de ce territoire est catastrophique, tandis que la répression s’accentue.
Autre motif de crainte d’une dérive “communaliste”, la loi sur la citoyenneté qui risque de transformer l’Inde en une « démocratie ethnique ». Le Citizenship Bill votée en janvier 2019, en accordant, après six ans de vie en Inde, la citoyenneté indienne aux immigrés pakistanais, afghans et bangladais, à condition qu’ils ne soient pas musulmans, plonge les 180 millions de musulmans indiens dans un statut de citoyen de seconde zone. En effet, la rhétorique de Modi et du BJP s’articule autour de la notion d’hindutva, « l’hindouïté », qui voudrait que seuls les hindous soient des citoyens indiens légitimes. À la manière d’Israël qui est devenu, en 2018, sous le gouvernement Netanyahou, « foyer national du peuple juif », excluant de fait les citoyens israéliens chrétiens, musulmans, agnostiques…
La dérive national-populiste de Narendra Modi ne peut que conduire l’Inde vers des lendemains qui déchantent :
– sur le plan intérieur, en réduisant à néant tous les efforts consentis par le peuple indien, tous les progrès réalisés depuis des décennies ;
– sur le plan international, en ravivant les tensions avec les voisins pakistanais (question des minorités religieuses) et chinois (situation du Cachemire).
Et cela, personne ne le souhaite à ce pays autrefois qualifié de « plus grande démocratie du monde ».