Les élections de ce week-end ne sont sans doute pas pires que les précédentes. Et il n’est pas question pour moi de vouloir faire croire que les pratiques que je vais dénoncer sont l’apanage d’un parti. Non, toutes les organisations politiques agissent de cette manière et celle qui va gagner sera celle qui saura le mieux les appliquer en détournant la loi sans se faire attraper.
Non, si j’en parle aujourd’hui, c’est parce que j’ai le sentiment que dans certaines communes, ce système mafieux a atteint son rythme de croisière et que notre démocratie est en danger.
Pour gagner aujourd’hui, il n’est plus besoin de présenter un programme. Il y a peu encore, on promettait du travail et un logement en cas de victoire. A ces promesses hypothétiques, liées à la victoire de votre candidat, les électeurs préfèrent aujourd’hui exiger du concret : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras« .
Prenons un exemple : un canton (ou une commune) (toute ressemblance avec un cas existant ou ayant existé n’est pas une pure coïncidence…) dans lequel se déroule une campagne électorale. Le fait qu’il soit de Droite ou de Gauche n’a pas d’importance, les mêmes pratiques se retrouvant dans tous les camps,
Les forces en présence se répartissant à peu près à égalité, qu’est ce qui va faire la différence? La capacité pour tel ou tel candidat à payer en liquide la facture de GSM ou un loyer en retard, et la distribution de contrats précaires ou d’un logement. Et depuis peu, les aides en nature délivrées par le CCAS de la commune. Pour ce faire, mieux vaut donc avoir la mairie avec soi, ou bien une grosse collectivité telle que le Conseil régional ou général.
Un contrat distribué à un chef de famille équivaut à trois ou quatre voix récupérées sur l’adversaire. Et idem pour un logement. Tout le jeu consiste dès lors à repérer les militants de l’adversaire qui seraient dans les difficultés et de leur promettre ce dont ils ont le plus besoin. Rares sont ceux qui résistent.
Un candidat avouait en fin de semaine dernière à un de mes amis, sous le sceau du secret, qu’il était certain de la victoire car jamais il n’avait eu « autant de moyens » : emplois, logements… Comment lutter dans ces conditions? Pour lui, c’était normal. Il n’avait même pas conscience que le système qui allait lui permettre de retrouver son siège n’avait plus rien à voir avec la démocratie. Ça porte un nom : Achat légal de voix.
Sauf qu’en l’espèce, c’est avec l’argent des contribuables (dans le cas des aides des CCAS ou des emplois distribués) ou avec l’argent de la corruption (« aides » en liquide) que l’on joue. Et si la multiplication des emplois finit par plomber les comptes de la collectivité, quelle importance? C’est ce même candidat qui proclamait fièrement que l’augmentation des impôts locaux n’allaient avoir aucune incidence sur son élection : « Mes électeurs ne paient pas d’impôts« … Et comme dans le même temps, ceux qui payent préfèrent aller à la plage les jours d’élections, la boucle est bouclée…
Mes critiques ne vont pas uniquement en direction des politiques, car chacun trouve son compte dans ce système mafieux et souvent ce sont les électeurs qui sont demandeurs. Combien de fois n’ai-je pas entendu des phrases du style : « Si mi vote pou ou, kosa mi gaign?« , « Main droite i lave main gauche » ou encore : « Ou na un ti graton pou moin?« . D’où ma question, comme pour l’oeuf et la poule : Ce sont les demandes des électeurs qui amènent les « cadeaux » des candidats? Ou bien ce sont les largesses des élus qui amènent les électeurs à demander toujours plus?
Mais comme tout le monde ne s’appelle pas Serge Dassault, qui faisait profiter ses électeurs des largesses de sa fortune, il convient toujours de se demander d’où vient tout cet argent en liquide qui circule pendant les campagnes électorales… La corruption est omniprésente à la Réunion et la Justice -et donc l’État- ont également leur part de responsabilité en ne se donnant pas les moyens de la combattre. Multipliez par dix les effectifs de gendarmes et policiers spécialisés en enquêtes financières et vous verrez qu’on verra moins d’argent circuler. Interdisez à tout élu déjà condamné de se représenté, et vous verrez que les mœurs commenceront à changer.
Enfin, dernier constat : ce système a également comme conséquence de geler la situation politique. Un maire qui peut jouer avec le CCAS de sa commune, et distribuer nombre d’emplois et de logements, a entre les mains les moyens de conserver sans grande difficulté sa commune. Il faut être nul comme René-Paul Victoria, avoir fait autant d’erreurs qu’Alain Bénard ou être usé comme Jean-Paul Virapoullé, pour perdre alors même qu’on a une telle machine de guerre entre les mains…