"L'enfant jeté" (Dominique Gonthier/Alain Bled)
Ceux qui ont la flemme de lire seront aux anges : ce livre ne fait que 92 pages. Ça se dévore en deux petites heures. Mais ces pages sont d'une densité, d'une richesse d'évocation, d'une telle dose de vie, d'une si forte charge émotionnelle, qu'on n'en ressort pas intact.
Au fil des évocations, on découvre avec stupéfaction, souvent avec horreur, mais aussi avec admiration pour un tel instinct de survie, comment un enfant rejeté, battu, humilié, torturé, sans amour, trouve au fond de lui assez de force pour contrer un destin au départ funeste, voire inéluctable.
Cette course au malheur, ce challenge de l'abominable, ces quasi concours d'inhumanité, cette formidable inventivité dans l'art de faire du mal aux jeunes victimes, des dizaines d'enfants réunionnais les ont vécus. Si aujourd'hui, les gosses ont des « numéros verts » à leur disposition, s'ils ont des assistantes sociales prêtes à les entendre, à les protéger, s'ils ont le droit de frapper à la porte des gendarmes sans se faire enguirlander (et c'est tant mieux !), il fut une époque, longue, trop longue, où le sort dévolu aux gosses de familles indignes n'intéressait personne.
Le pire est que Dominique Gonthier explique le pourquoi de cette "non-révolte" des suppliciés : "ça paraissait normal et d'ailleurs, eux aussi, bien souvent, avaient été des martyrs".
"Jeté" par sa mère, le "héros" (?) de ces choses horrifiantes se retrouve dans une famille d'accueil où, au début, ça se passe très bien. Puis, ça se barre en couilles, comme on dit. Foyers officiels, centres de formation, galères, révoltes larvées... et la rue pour seule échappatoire aux coups qui font mal au corps et à l'âme. L'errance, la drogue, l'alcool, la délinquance, la taule...
Et enfin, une volonté de fer qui permet à Dominique de retrouver une vie normale. Chapeau, gars !
Alain Bled, dans cette affaire, n'a joué que les « prête-plume », comme il dit. Oté, Alain, mwin la connu a ou plus courageux. Ou la peur dir « in Nègre » ? Mwin aussi i fé ça tazantan. C'est pas en changeant les mots qu'on change les choses. Bref...
Ce petit livre est très très bien écrit et composé. Il débute par une très belle « Lettre à la vie » de notre ami Gilbert Pounia. Je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer quelques fleurons : "Ne me laisse pas comme ça/Tu fais partie de moi/.../Je te donnerai mon âme en flammes/.../Je te donnerai mon corps trempé sur le bord de tes yeux/..."
Ainsi que le précise avec finesse Arnold Jaccoud dans son avant-propos, "Ce récit de vie reflète la volonté de redonner la parole à ceux qui en sont habituellement privés, à ceux dont on pense qu'ils n'ont de toute façon rien à dire".
Dominique Gonthier voulait, c'est manifeste, expulser cette grosse bouffée d'amertume, se débarrasser de ces tonnes de non-amour, de haines matérielles, d'ignorance de la part des "gens bien", d'indifférence des pouvoirs publics, d'années passées à se demander si l'on est encore un être humain, si l'on vit ou si l'on ne fait qu'exister !
Mais il fait plus : il donne une grosse leçon d'espoir aux milliers de jeunes victimes dans le même cas. Car il y en a encore ; et beaucoup trop. Avec l'aide de ce grand finasseur qu'est Alain Bled, il réussit à faire de l'humanisme, comme monsieur Jourdain, sans le savoir. Ça, on aime.
"L'enfant jeté"
Dominique Gonthier/Alain Bled
L'Eclipse du temps
En librairie, 11 euros.
Ceux qui ont la flemme de lire seront aux anges : ce livre ne fait que 92 pages. Ça se dévore en deux petites heures. Mais ces pages sont d'une densité, d'une richesse d'évocation, d'une telle dose de vie, d'une si forte charge émotionnelle, qu'on n'en ressort pas intact.
Au fil des évocations, on découvre avec stupéfaction, souvent avec horreur, mais aussi avec admiration pour un tel instinct de survie, comment un enfant rejeté, battu, humilié, torturé, sans amour, trouve au fond de lui assez de force pour contrer un destin au départ funeste, voire inéluctable.
Cette course au malheur, ce challenge de l'abominable, ces quasi concours d'inhumanité, cette formidable inventivité dans l'art de faire du mal aux jeunes victimes, des dizaines d'enfants réunionnais les ont vécus. Si aujourd'hui, les gosses ont des « numéros verts » à leur disposition, s'ils ont des assistantes sociales prêtes à les entendre, à les protéger, s'ils ont le droit de frapper à la porte des gendarmes sans se faire enguirlander (et c'est tant mieux !), il fut une époque, longue, trop longue, où le sort dévolu aux gosses de familles indignes n'intéressait personne.
Le pire est que Dominique Gonthier explique le pourquoi de cette "non-révolte" des suppliciés : "ça paraissait normal et d'ailleurs, eux aussi, bien souvent, avaient été des martyrs".
"Jeté" par sa mère, le "héros" (?) de ces choses horrifiantes se retrouve dans une famille d'accueil où, au début, ça se passe très bien. Puis, ça se barre en couilles, comme on dit. Foyers officiels, centres de formation, galères, révoltes larvées... et la rue pour seule échappatoire aux coups qui font mal au corps et à l'âme. L'errance, la drogue, l'alcool, la délinquance, la taule...
Et enfin, une volonté de fer qui permet à Dominique de retrouver une vie normale. Chapeau, gars !
Alain Bled, dans cette affaire, n'a joué que les « prête-plume », comme il dit. Oté, Alain, mwin la connu a ou plus courageux. Ou la peur dir « in Nègre » ? Mwin aussi i fé ça tazantan. C'est pas en changeant les mots qu'on change les choses. Bref...
Ce petit livre est très très bien écrit et composé. Il débute par une très belle « Lettre à la vie » de notre ami Gilbert Pounia. Je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer quelques fleurons : "Ne me laisse pas comme ça/Tu fais partie de moi/.../Je te donnerai mon âme en flammes/.../Je te donnerai mon corps trempé sur le bord de tes yeux/..."
Ainsi que le précise avec finesse Arnold Jaccoud dans son avant-propos, "Ce récit de vie reflète la volonté de redonner la parole à ceux qui en sont habituellement privés, à ceux dont on pense qu'ils n'ont de toute façon rien à dire".
Dominique Gonthier voulait, c'est manifeste, expulser cette grosse bouffée d'amertume, se débarrasser de ces tonnes de non-amour, de haines matérielles, d'ignorance de la part des "gens bien", d'indifférence des pouvoirs publics, d'années passées à se demander si l'on est encore un être humain, si l'on vit ou si l'on ne fait qu'exister !
Mais il fait plus : il donne une grosse leçon d'espoir aux milliers de jeunes victimes dans le même cas. Car il y en a encore ; et beaucoup trop. Avec l'aide de ce grand finasseur qu'est Alain Bled, il réussit à faire de l'humanisme, comme monsieur Jourdain, sans le savoir. Ça, on aime.
"L'enfant jeté"
Dominique Gonthier/Alain Bled
L'Eclipse du temps
En librairie, 11 euros.