Christian Roudaut a choisi de se faire plaisir et de nous convier au plus surprenant des festins, la table de quelques tyrans soigneusement triés sur le volet des monstres épouvantables.
Mao, Hitler, Bokassa, Staline, Ceausescu, Saddam Hussein sont au menu. Mais on ne fait pas que déguster des tas de choses succulentes avec ces monstres qui n’ont eu de cesse de déshonorer l’humanité. Avec une connaissance précise et fine de l’histoire mondiale contemporaine, l’auteur nous invite aussi à quelques tables renommées, comme l’Elysée, car les grands tyrans cités ici se sont laissés inviter dans diverses capitales afin de redorer des blasons écornés par leurs massacres.
On ne trouvera pas ici de Pol-Pot, de Haïlé Sélassié, de Kim il Jung, de Pinochet mais vu les menus étalés par ce malicieux Roudaut, on comprend que ces ignobles individus bâfrant à qui mieux mieux quand leurs peuples crevaient littéralement de faim ont fait école à travers la planète. Outre les sanguinaires faisant le sujet de ce succulent livre, on se glisse parfois subrepticement chez leurs confrères en monstruosité, Bokassa, Idi Amine Gros-Dada and so on…
Le talent, l’immense talent de cet auteur fin lettré et grand connaisseur de l’histoire, est de réussir à nous faire péter de rire malgré la gravité des crimes de ses tristes héros.
Il n’est pas évident de plier son lectorat en quatre en parlant d’Hitler ou Staline (entre autres), auteurs des plus grands massacres et génocides. Roudaut y parvient à merveille car manipulant avec une dextérité de virtuose tous les codes de dérision de notre merveilleuse langue française.
Je ne peux qu’approuver, moi à qui l’on a si souvent reproché de jouer de l’humour ou du moucatage en évoquant les sordides affaires évoquées devant un tribunal correctionnel. Je l’ai pourtant dit, redit, répété, ici-même, « l’humour et la dérision sont ce qui nous sauve le mieux de la désespérance« .
Pour vous donner juste une idée, voici quelques lignes concernant Hitler, le monstre des monstres (rappelons l’aphorisme célèbre de Desproges, « on peut rire de tout…« ) :
« Tandis que les Berlinois meurent de faim sous un déluge de feu, les panses des derniers fidèles du Führer restent convenablement remplies… le dictateur a donné pour instruction de faire disparaître sa dépouille dans les flammes. En pleine pénurie, dénicher deux cents litres de carburant n’est pas le plus mince des défis… Les réserves d’alcools forts du bunker feraient l’affaire… Flamber la sépulture du Führer au schnaps ou au cognac, tel un bon gros gigot, manquerait de dignité… La vie digestive du Führer ressemblait plus à un torrent déchaîné qu’à un long fleuve tranquille… Sous Hitler, la cuisine allemande reste aussi légère et subtile qu’une division de Panzers… »
Tout le reste à l’avenant et saluons la performance consistant à faire rire avec de tels monstres. Et nous administrer aussi, au passage, quelques savoureuses leçons sur diverses coutumes culinaires de la Terre. Je gage que Périco Légasse (hebdomadaire « Marianne ») doit déjà s’en pourlécher les babines).
Roudaut ne triche jamais avec la vérité historique et rétablit quelques légendes couramment répandues. Il fait ainsi table rase des histoires de cannibalisme concernant l’empereur-maréchal auto-proclamé Jean-Bedel Bokassa. Rigoler oui ; mentir jamais. On aime cette honnêteté autant qu’une avalanche de phrases que n’aurait pas reniées un Raymond Devos ou un Pierre-Jean Vaillard.
Apprêtez-vous à avoir mal aux zygomatiques ; ça vaut mieux que d’avoir mal au cul !
J.B.
« À la table des tyrans »
par Christian Roudaut, éditions Flammarion
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