Cette île, il la doit à son père, américain, qui l’a achetée aux trois-quarts à la fin de la Guerre mais n’y a jamais remis les pieds. C’est là que s’exile notre héros qui a bien une voisine, une romancière qui n’a commis qu’un seul ouvrage, au succès mondial et qui, depuis, n’écrit plus rien. Considérant sans doute, comme Forrester (incarné par Sean Connery, film admirable), qu’elle a commis l’oeuvre parfaite et ne sait donc plus quoi dire. Cherchant aussi l’inspiration dans l’alcool, lequel coule plus facilement que l’encre de son stylo.
Les deux seuls habitants de cette île ne se sont rencontrés qu’une fois depuis des années. Mais là, pour le coup, ils vont devoir faire cause commune face à un inattendu épouvantable. Et c’est là que monsieur Maalouf fait montre d’une prescience, d’une prémonition époustouflantes : dès les premières lignes de ce livre, pourtant écrit voici deux ans, Amin Maalouf nous plonge dans les affres d’une guerre qui pourrait être celle de l’Ukraine !
Le héros se réveille un matin désorienté : plus de radio, plus de téléphone, plus d’électricité. Sa première réflexion est de se dire : « Non ! Ils n’ont quand même pas osé le faire ».
Faire quoi ? Mais atomiser notre planète, voyons, car comment expliquer ces pannes subites et impossibles ?
Voici nos deux solitaires bien obligés de se concerter, de cohabiter, de faire front en se demandant s’ils ne sont pas les derniers habitants de la planète.
Comme toujours, je ne vous en dis pas plus : je vous laisse l’ineffable plaisir de l’effroi et de la découverte.
Chaque livre d’Amin Maalouf est une surprise et un plaisir immense. Je ne les ai pas tous lus, mais aucun d’eux ne m’a laissé indifférent. « Les croisades vues par les Arabes », tenez, où l’on se rend compte que les fables racontées par nos livres d’Histoire ne sont souvent que de vastes conneries ; des héros, les Croisés ? Pouf ! Des pillards, des voleurs, des violeurs, des massacreurs soi-disant partis délivrer le tombeau de Jésus. Et ont accumulé d’invraisemblables trésors derrière d’épouvantables massacres de masse. Et ces « Jardins de lumière », vie et mort du philosophe persan Muni, propagateur de la foi bahaïe exécuté parce qu’il prônait une croyance autre au Moyen-âge. Sans doute mon préféré…
Ne vous privez surtout pas de cet immense cadeau que nous offre ce très grand monsieur qu’est Amin Maalouf.
« Nos frères inattendus »
Amin Maalouf, chez Grasset
En librairie