
Cette sale guerre nous aura livré son lot d’images insoutenables : otages égorgés, corps calcinés, prisonniers décapités, temples antiques annihilés... Mais ton petit corps gisant sur cette plage de Bodrum au petit matin à quelque chose qui dépasse l’horreur et me bouleverse au plus profond. Tu es là, la tête dans les vagues, avec tes petites chaussures aux pieds…..
Tu ressembles tellement à mon fils lorsqu’il dort. Mais tu ne dors pas, la mort t’a cueilli sur ce frêle esquif qui devait t’emmener loin de la barbarie. Je pense à toi, et à ce que furent les dernières minutes de ton existence, la terreur que tu as du ressentir en glissant du bateau dans l’obscurité avec ton frère et ta mère... Je pense à ta courte vie, qui n’aura connu que les bombes, la peur et l’exil. Je sais que tu aurais dû rentrer à l’école cette année et apprendre autre chose que le bruit des obus de mortier, des cris et des sirènes. Hélas, combien y en a-t-il d’autres comme toi ?
Je pense à tout cela et les larmes qui roulent sur mes joues sont chargées d’une indicible colère, car, je sais… je sais que tu as du fuir Kobané à cause de la politique menée par mon pays et ses alliés. Je sais que tu gis aujourd’hui sur cette plage par la faute de la politique criminelle et tératogène menée par mon Gouvernement, dont le plus sinistre représentant s’exclamait encore il y a peu : « Ils – ceux qui t’ont fait fuir ta patrie et à qui nous livrons des armes – font du bon boulot sur le terrain ».
Des voix s’élèvent aujourd’hui, ton petit corps symboliserait « l’échec de l’Europe face à l’afflux des migrants »... Foutaises ! TU ES LA SYRIE. Tu es la Syrie qu’on assassine méthodiquement depuis 4 ans et qui gît échouée sur un rivage hostile.
Adieu petit ange, petit dormeur du val, petit cheval blanc… Puisse ton image arracher autre chose que les larmes de crocodiles de nos dirigeants, les gémissements pusillanimes des « Jesuischarlie - Notinmymame » ou les gesticulations pathétiques d'un BHL de pacotille. Puisse ta mort dessiller les yeux des citoyens qui restent en état d’agir !
Jean d’Ibelin