Franz-Olivier Giesbert, directeur du Point, a un nom connu dans le milieu du journalisme. Il n’empêche qu’il s’est comporté hier comme un « beauf« , en affirmant sur i-Télé que les DOM coûtaient cher à la France. Ce faisant, il n’a fait que répéter comme un perroquet ce qu’il entend autour de lui, histoire d’aller dans le sens de ses lecteurs.
Sentiment très à la mode en ce moment puisque par exemple repris dans un article du Figaro selon lequel « [les DOM coûtent près de 7 milliards à l’Etat]urlblank:http://www.lefigaro.fr/economie/2009/02/11/04001-20090211ARTFIG00602-l-outre-mer-coute-pres-de-sept-milliards-a-l-etat-.php « …
Non M. Giesbert, les DOM et la Réunion en particulier ne coûtent pas cher à la France.
Avant de développer mes arguments, permettez moi cependant de vous dire à quel point je suis choqué, en tant que Réunionnais, par vos propos. Oseriez-vous poser la question de savoir combien coûte la ville de Marseille qui compte à peu près autant d’habitants que la totalité de la Réunion? Ou combien coûte le département de l’Ardêche, ou celui d’Ile-et-Vilaine? Si vous ne le faites pas pour ces collectivités, pourquoi le faites-vous pour nous?
Certains, un peu plus extrémistes que moi, y voient un relent de colonialisme, de racisme et de mépris à l’égard de nous, DOMiens. Je n’irai pas jusque là, mais il n’en demeure pas moins que je suis extrêmement choqué. Et que je ne suis sans doute pas le seul. Les commentaires des internautes vous permettront de vous faire une idée de ce que nous pensons de ce genre de propos.
Je pense qu’il conviendrait que vous veniez plus souvent à la Réunion. Cela vous permettrait de vous apercevoir par vous même à quel point est fausse l’image qu’ont beaucoup de Métropolitains des Réunionnais qu’ils imaginent paresseux, passant leur temps à la plage et vivant des aides sociales.
Certes, nous battons les records en terme de chômage, de nombre de RMIstes ou encore de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Mais en même temps, nous pourrions être un modèle pour vous, Métropolitains donneurs de leçons… Nous avons le record de France de croissance, de créations d’entreprises et d’emplois. Nous sommes souvent au « top » dans nombre de secteurs.
Nos retards sont souvent structurels : éloignement des marchés et des sources d’approvisionnement, environnement de pays dans l’océan indien pas assez riches pour nous acheter nos produits, absence de réelle concurrence, SMIC égal à celui de la Métropole, etc…
Et dans ce domaine, force est de reconnaître que nous, pauvres Réunionnais, n’y pouvons pas grand chose. Tous ces problèmes sont dans les mains de vos amis politiques qui se sont succédés aux postes de secrétaires d’Etat à l’Outremer depuis des années et des années, des hauts fonctionnaires qui les entourent et les conseillent, et des préfets et de leurs collaborateurs qui se sont succédés ici.
Dans une économie « normale« , dans laquelle règne la liberté des prix, le « juste prix » est fixé par la concurrence.
Dans une économie insulaire comme la notre, les règles sont totalement différentes car cette concurrence n’existe pas.
Prenons quelques exemples.
Vous reconnaitrez avec moi que le prix des carburants est un élément extrêmement important dans la fixation des prix dans une région donnée. Cela fait des années et des années que tous les Réunionnais bénéficiant d’un certain niveau d’instruction et d’un minimum d’informations étaient certains que les pétroliers se « goinfraient » sur leur dos. La concurrence? Il n’y en avait pas puisque les prix sont fixés par le Préfet… Il a fallu des manifestations plus radicales que les autres pour que ce gouvernement décide enfin de nommer une véritable mission d’experts dont les premières conclusions, apparemment, confirment ce que tout le monde savait (sauf les préfets précédents et la répression des fraudes qui avait pourtant fait une enquête sur le sujet…), à savoir que les chiffres fournis par les pétroliers étaient totalement fantaisistes… Et qu’ils se sont enrichis indûment sur le dos des Réunionnais et, par voie de conséquence, qu’ils les ont d’autant appauvris…
Autre exemple. Vous conviendrez également que la fourniture de matériaux pour la construction est essentielle dans une île qui se développe aussi vite que la Réunion. Sur les 5 chaînes les plus importantes de magasins, 4 appartiennent au groupe Ravate (Ravate, Leroy Merlin, Bati Centre, Lapeyre) et la 5ème à un groupe antillais (Mr Bricolage).
Passons à l’automobile. Voilà un secteur dans lequel existait une certaine concurrence, ce qui n’a pourtant pas empêché des prix nettement supérieurs à ceux de Métropole. Et encore plus scandaleux pour les pièces détachées. Depuis quelques années, on assiste à un regroupement à marche forcée, avec l’émergence de deux pôles autour des groupes Hayot et Caillé. Pensez-vous sincèrement que François Caillé va casser les prix sur les Fiat, pour s’imposer à lui même de baisser ceux des Peugeot? Ou sera t-il plutôt tenté d’aligner les prix de toutes ses marques, en se ménageant une marge plus que confortable?
Et je pourrais encore vous parler de nombre d’autres secteurs (grande distribution, téléphonie mobile, transports aériens…) dans lesquels la concurrence n’est que de façade…
Voilà un des problèmes les plus importants de la Réunion. Et qu’on fait les gouvernements successifs et les Préfets, leurs représentants locaux, pour s’attaquer à ces vrais problèmes?
Peut-etre que s’il y avait eu plus de Réunionnais hauts fonctionnaires dans leurs entourages, ces derniers auraient pu leur faire profiter de leur vécu et leur faire part des vrais problèmes ressentis par la population. Mais quand on vit en vase clôs en se recevant les uns les autres, entre « gens de la bonne société« , comment ressentir les préoccupations des populations que l’on administre?
Enfin, pour conclure, je voudrais en finir avec un mythe. Non, la Réunion ne coûte pas cher à la France.
Tout d’abord, je voudrais vous raconter une anecdote que j’ai vécue alors que j’étais jeune journaliste au Quotidien, au début des années 80: le directeur de l’IEDOM de l’époque avait été viré parce qu’il avait osé révéler dans notre journal une information ultra secrète: il y a plus d’argent qui sort tous les ans de la Réunion vers la Métropole qu’il n’y en a qui entre dans le sens Métropole/Réunion. Ce qui signifie que la Réunion produit de la valeur ajoutée, a une activité propre, et qu’au total nous remboursons plus à la France que nous ne lui empruntons.
Car c’est bien sous cet angle qu’il faut voir les choses: l’Etat français nous prête de l’argent que nous lui remboursons, avec intérêts, dans un délai très court. Quand l’Etat verse 1.000 euros à la Réunion, une bonne partie repart la même année sous forme de TVA, d’impôts sur les sociétés, sur les revenus, d’économies virées en Métropole pour acheter la maison pour la retraite, etc… Et le reste sert à acheter des produits d’entreprises françaises qui vont elles mêmes payer des salaires et des bénéfices qui vont générer des impôts…
Au pire, à mon avis et à vue de nez, nous devrions avoir remboursé le « prêt » qu’on nous fait chaque année dans les 3 ou 4 ans qui suivent. Je serais d’ailleurs ravi que des économistes se saisissent de ce dossier et puissent affiner mes estimations.
Enfin, au risque de choquer moi même en retour, je voudrais saluer l’action d’Yves Jego et de notre Préfet actuel. J’ai le sentiment que, pour la première fois, ces problèmes sont pris en compte et que le gouvernement n’est plus décidé à laisser ces situations de monopole perdurer. Espérons que je ne me trompe pas…