C’est à ses six mois que Luc Jean a quitté notre île direction la métropole, dans le Maine et Loire, où il a été adopté. « J’ai grandi dans une famille aimante et attentionnée en zone rurale, près d’Angers. Mes premières difficultés ont été liées à la différence physique, à l’école « , raconte celui qui vit aujourd’hui encore dans la même région.
Mais le secret entourant sa naissance reste un fardeau, dont il aimerait enfin se libérer. « Comme je n’ai pas connaissance de la vérité, j’imagine mille possibilités », confie-t-il. Et parmi les hypothèses qui le taraudent, celle d’avoir été « volé » pour être déporté.
Deux lieux de naissance
Rappelons en effet qu’entre 1963 à 1982, sous l’égide du député Michel Debré, le Bumidom (le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) a envoyé près de 1600 enfants réunionnais vers l’Hexagone. Un déplacement forcé qui visait à repeupler les départements ruraux de métropole et alléger la démographie de l’île.
Les documents en sa possession le confortent dans cette idée. « J’ai deux actes d’état civil », explique-t-il. Un premier extrait de naissance, édicté le 29 octobre 1976 et identifié par le N°1670 le déclare né à Saint-Pierre (une information qu’il a pu obtenir en 1999, en demandant un nouvel acte de naissance, prétextant avoir perdu ses papiers). Cinq mois plus tard, le 9 mars 1977, un extrait de naissance établi à Sainte-Marie le déclare né à Sainte-Marie, et porte le n°52.
« Tous les enfants déportés ont deux actes d’état civil. Ça brouille les pistes et c’est une méthode qui arrangeait le pouvoir de l’époque, car les cartes d’identité étaient faites à Sainte-Marie, la semaine, voire le jour même du départ par avion, des enfants vers la France. Pour mon cas, la carte a été faite le jour du départ », explique celui qui est adhérent à Rasinn Anler, l’association des « Réunionnais exilés de force ». Et en dressant un nouvel acte, « ils s’assuraient peut-être contre des recherches, en les rendant difficiles », suppose-t-il.
Deux bébés nés sous X à trois jours d’intervalle
Quelques jours après l’extrait de naissance établi 9 mars à Sainte-Marie, un papier adressé par le maire de Saint-Pierre au service de l’aide à l’enfance indique que la mention d' »acte de naissance provisoire » a été réalisée sur un acte. Il est ici fait référence celui d’une petite fille née le 24 octobre. Et juste en-dessous, on aperçoit une ligne barrée. Sous les ratures, on devine la date de naissance et le premier numéro d’acte de Luc Jean.
« Ce papier prouve qu’il y a eu au mois d’octobre, deux naissances, soi-disant sous X, à 3 jours de différence. Est-ce vrai ? Ou est-ce des bébés arrachés à leur mère ? », se questionne-t-il, imaginant une mère mineure. « Je suis en contact avec l’autre enfant, les tests ADN nous on permis déjà d’éliminer l’hypothèse d’être jumeaux. »
Toutefois, pour l’instant, rien ne confirme qu’il ait été arraché de force à sa mère. Selon le rapport de la commission temporaire d’information et de recherche historique, « pour comparaison dans le temps, on compte pour l’année 2000, 8 pupilles admis dans les services de l’ASE qui sont nés sous X, ce qui est du même niveau que les pics enregistrés entre 1975 et 1977 pour ceux qui ont été transplantés », ce qui pourrait « infirmer le recours planifié à ce moyen pour alimenter un trafic d’enfants transplantés ».
« J’ai un amour certain pour mes géniteurs »
« Je me fais peut-être de fausse idées », exprime-t-il. Mais avec les pratiques de l’époque et le mystère entourant ses premiers mois de vie, Luc Jean ne peut qu’avoir un sérieux doute. « Ne suis-je pas le fruit d’un viol ? J’y pense aussi ».
Aujourd’hui âgé de 42 ans, il souhaite tout simplement connaître la vérité sur son histoire. « Ne plus rien imaginer, n’être plus triste chaque 27 octobre. Et puis j’ai un amour certain pour mes géniteurs », confie-t-il. En lançant un appel à témoins, il espère ainsi lever le voile sur son passé, et pouvoir enfin sereinement se tourner vers l’avenir.