Naomis s’est découverte femme lors de son exil à Lyon, il y a deux ans. Si on lui avait dit qu’elle allait autant s’épanouir en quittant son île, elle ne l’aurait pas cru.
“Un bon nombre de raisons m’ont poussée à quitter La Réunion mais elles ont fini par se montrer plus que positives pour mon épanouissement personnel. Je suis partie de rien, mais avec un bagage assez conséquent. Pratiquement 11 ans de handball dans les jambes (HBC POSSESSION) et un esprit de battante, des allers et retours pour les compétitions sportives, concours de beauté/concours de mannequins, et même des vacances qui ont marqué mon esprit. Toutes ces raisons ont ouvert mon esprit en métropole et j’en suis plutôt fière en constatant ce que j’ai pu accomplir ici sans tous mes repères”.
Quel genre de personne es-tu dans la vie ? As-tu sauté le pas pour l'opération?
“Dans la vie, je suis une personne assez solaire et sociable, très terre à terre avec un soupçon de sarcasme. Si on rajoute le petit côté piment de La Réunion, ça fait un joli lot n’est-ce pas ?", dit-elle en souriant.
"Je me définis surtout comme une personne humble, qui aime être à l’écoute, et qui n’a pas froid aux yeux quand il s’agit d’imposer ou en imposer. Anticonformiste de nature, je mets un point d’honneur à ce que les injustices qui ont toujours existé et subsisté soient bousculées. Pour ce qui est de ma transition, je ne suis toujours pas hormonée pour le moment, mais ça ne saurait tarder ! Step by step comme on dit si bien. Je n’envisage pas de parler opération pour le moment publiquement, il me tient à cœur d’évoluer avec mon temps et de surtout prendre en compte mes réels besoins en temps et en heure."
Instagram est entré dans la vie de Naomis il y a maintenant cinq ans. À l’époque, elle vivait encore sous cette identité de garçon, qui de plus gay, commençant à envisager une carrière dans le sport après avoir suivi une carrière dans le mannequinat. Même si la question de l’image était déjà une question existentielle pour toute sa génération, elle a toujours véhiculé la good vibes, le smile à toute épreuve et surtout la notion d’acceptation de soi malgré tous les facteurs externes.
“Instagram est un peu devenu mon journal de bord. Aujourd’hui, la jeune femme transgenre réunionnaise que je suis transmets les mêmes choses, les mêmes ambitions, les mêmes combats mais avec quelque chose que je n’avais pas du tout il y a encore un an : la confiance. La confiance de savoir qui je suis et vers où je vais. Dans mes posts, on retrouve souvent des descriptions du type remise en confiance, processus d’acceptation, l’envie de voir plus long et plus haut, et j’en passe. Dans mes vidéos, c’est un autre monde : tantôt ça peut être que de la joie de vivre, de l’humour 974, tantôt je peux dénoncer des comportements qui à mon sens ne devraient tout simplement pas ou plus exister. Le respect est de mise surtout qu'au final nous sommes tous des êtres humains dotés d’émotions et de sentiments, on mange, on boit, on urine ou on fait la grosse commission de la même manière. Ce qui nous différencie aujourd’hui, ce sont nos ambitions et notre personnalité. Pourquoi s’entêter à ce qu’une personne que vous ne connaissez ni d’Adam ni d’Eve soit dans votre perception de la vie alors qu’elle a la sienne à gérer? Les réseaux sociaux sont aujourd’hui importants pour notre évolution à tous. Beaucoup d’informations sont relayées à travers différents comptes d’utilité publique, quoi de mieux que de se déconstruire pour mieux se reconstruire !", explique Naomis.
Une anecdote qui t'a marquée ?
“J’en ai beaucoup en tête mais il y en a bien une qui m’a marquée et qui me marquera toujours. Je vais très souvent travailler à pied, et je me rappelle que ce matin-là, je me sentais très bien, j’étais prête à affronter la journée. À cinq minutes de mon lieu de travail, je vois une voiture arriver en face de moi et s’arrêter au feu. Je me rappelle avoir avalé ma salive et tout de suite me dire 'Naomis continue d’avancer ça va aller'. Je sentais que je n’allais pas rester tranquille plus longtemps. Au même moment, je vois la vitre du côté passager et de derrière se baisser. J’ai pu constater qu’il y avait quatre hommes dans la voiture. Tout s’est passé très vite. L’un deux a commencé à m’appeler 'le travelo' et je me suis stoppée net. J’étais comme tétanisée, incapable de faire le moindre mouvement alors que j’étais en face de personnes transphobes. La seule chose qui a réussi à passer dans mon esprit est que j’étais en danger mais que je n’avais aucun moyen, que ce soit physique ou mental, d’affronter la situation. Pour couronner le tout, les deux hommes qui étaient de mon côté m’ont craché dessus. Ils sont partis juste après cet acte ignoble et inhumain. J’étais couverte de crachats, avec ce sentiment d’avoir été salie et traitée comme une moins que rien. Par chance, une femme passait à ce moment-là et m’a gentiment donné un mouchoir pour que je puisse me débarbouiller comme je pouvais et surtout enfin aller travailler”.
Ce qui est arrivé peut arriver à n’importe qui, mais le simple fait de savoir que c’était avant tout un acte transphobe, qui de plus est d’une violence qu’elle ne soupçonnait pas, la bouleverse encore aujourd’hui. Bien heureusement, cela a fini par forger son caractère de manière exponentielle : elle ne laisse plus la moindre occasion aux gens de la faire sentir misérable et illégitime à leurs yeux, mais c’est un événement dans sa construction transidentitaire qui la marquera à tout jamais.
Naomis est serveuse polyvalente et à côté elle a une petite activité de modèle photo. Ce qui, au départ, était un test est devenu une vraie passion !
Tu es modèle pour des marques de vêtements, comment te sens-tu ?
“Lorsque je pose pour une marque de vêtements, malgré les contraintes qu’il peut y avoir au niveau des différentes exigences, je dis toujours que c’est un moment de partage entre toutes les institutions présentes. Je ne pose pas juste pour ces marques, je transmets leur histoire, leur particularité et tout ça avec ma personnalité et ma passion pour la photo.”
Devant l’objectif, Naomis se sent bien et s'exprime devant celui-ci avec toutes les émotions qu’elle dégage et essaie de faire passer à travers ses poses. Elle aime cela. Elle explique : “Les vêtements ont toujours eu une place importante dans ma vie. Je n’ai jamais été dans le but d’être à la pointe du style et de la mode mais avant tout mettre ma personnalité en avant. Mes dernières collaborations m’ont aussi permise de me construire en tant que femme, de pouvoir élargir mon champ de vision et me dépasser. Je me rends compte que poser c’est bien mais poser pour une marque qui partage les mêmes valeurs et principes que vous, ça change toute la donne."
À La Réunion, Naomis n'était pas en position de force. Entre toute la culture réunionnaise, l’ignorance des uns et surtout tout le mépris qui subsiste autour de la communauté LGBTQIA+, il était impossible pour elle d’envisager une suite à sa vie. Elle qui s’’imaginait un métier de rêve, un foyer parfait, un chien, un grand jardin, était incapable de dire ce qu’elle voulait vraiment.
La Réunion, La France, comment perçois-tu les choses?
“Depuis l’âge de 12 ans, j’ai effectué des allers-retours entre l’île et la métropole, que ce soit pour les vacances, le handball ou le mannequinat. Mais au moment de m’installer ici, ma vie a complètement basculé. Mon travail de déconstruction a commencé ici à Lyon, ville où je me suis découverte femme trans mais surtout femme forte. Je ne pourrai jamais comparer mon ti caillou et la métropole car pour moi le mode de vie n’est pas le même. Mais je peux quand même mettre un point d’honneur sur une différence que l'on peut tous constater : une fois que l’on sort de sa zone de confort, tout change !"
La Réunion était son petit cocon, là où elle a débuté sa vie et où elle s’est construite. Mais élargir ses horizons et sortir de ce cocon lui a permis de déceler le bon du mauvais et de voir plus loin avec plus de bagages émotionnels et intellectuels.
Que penses-tu de la mentalité à La Réunion ?
“Je ne peux pas dire non plus que la mentalité est meilleure ici qu'en métropole, mais le travail de représentation et de partage d’informations s’effectue beaucoup plus facilement ici. À La Réunion, même à 10.000 km, j’ai pu constater que le changement commençait à opérer avec la première marche des fiertés et la création d’associations tel que Requeer ou Reborn. C’est une fierté pour moi de voir que mon île évolue ! C’est pour cela que j’aimerais continuer tout ce travail de visibilité, de partage d’informations essentielles au développement personnel et surtout faire en sorte que les jeunes et moins jeunes originaires comme moi de l’île se sentent safe et en accord avec eux-mêmes sans porter atteinte à la vie d’autrui. On doit rester soi-même, que ce soit par la prise de parole, par les différents évènements indispensables à la vie et la survie de la communauté, et ou en posant pour des marques engagées et inclusives”, renchérit-elle.
Quitter son confort n’est que partie remise au bout du compte ! Naomis envisage un retour sur l’île pour continuer sa première passion en équipe féminine et s'épanouir de plus en plus au côté de sa famille qu’elle n’a pas vu depuis son coming out.
Des projets ?
“J’aimerais programmer des shootings aux quatre coins de l’île et surtout continuer d’accompagner et élever la communauté LGBTQIA+ réunionnaise, que ce soit sur mes réseaux ou aux côtés des Réunionnais qui me suivent depuis nout galet.”