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Naissance de la passion pour l’Histoire de France et du monde : Une rencontre humaine atypique, un témoignage romanesque

Naissance de la passion pour l'Histoire : La rencontre dans un village malgache, celui de Dzamandzary à Nosy-Bé (Madagascar) au début des années 80, entre un enfant innocent mais passionné ayant une certaine soif de de culture et un mendiant malade, cultivé mais oublié de la Décolonisation française à Madagascar.

Ecrit par Tamim KARIMBHAY – le mercredi 22 avril 2015 à 09H55

Chapitre X

« -Les rails allemands bismarckiens sont encore là ! Fis-je remarquer à Roger, désignant du doigt les vestiges, les empreintes d’un passé ni trop proche, ni trop reculé.
Le village de Djamandjar semblait désert.
-Tu sais Amith, m’informa Roger, le village s’est vidé de plus en plus avec le temps, à cause de l’exode rural. L’usine de canne qui faisait vivre ce village, a fermé ses portes en 2005. Les habitants sont allés chercher du travail et une illusion de confort de vie en ville, à Hell-Ville et à Ambatoloaka ».

Je constatais silencieusement et me rappelais que le village de Djamandjar, situé à 12 km de Hell-Ville, ne ressemblait plus en cette année 2043 à la bourgade de mon enfance où s’est inscrite de 1976 à 1979, puis de 1983 à 1990, une partie de mon histoire. Le temps était passé par-là, et avait emporté une partie de la beauté des paysages et des mentalités avec lui.

« -Allons voir la maison où tu as grandi papa ? disent en chœur Kareena et Vijay, trépignant d’impatience, tels de jeunes enfants
– Allons-y alors jusqu’au bout de nos émotions ! Allons voir si elle est encore là au moins, cette maison où je faisais mes premiers devoirs d’école, où j’ai appris mes premières tables de multiplications, mes premières récitations, mes premières auto-dictées, parfois à la lueur d’une petite bougie ! »

Je stoppais pendant quelques secondes mes pas, pour me remettre en tête l’image intacte de la maison de mon enfance, comme si je voulais inconsciemment retarder la vue d’une nouvelle réalité. Paradoxalement, plus j’avançais, plus je la cherchais les yeux à demi-fermés. Je sentais que ma joie et mon enthousiasme à l’idée de la revoir après tant d’années d’absence, diminuaient, fondaient. Ça y est ! Le moment de vérité est arrivé. J’ouvris doucement mes yeux et fus stupéfait de la nouvelle réalité qui s’offrait à moi, faisant disparaître, précipitamment – tel un caillou lancé dans un lac – la vision du passé que j’avais gardée dans mes souvenirs. Ma vue se brisa brutalement sur une nouvelle construction. Malheureusement il n’y avait plus de maison. Le terrain était là, et là-dessus était construit un immense hôtel de dix étages, qui lui aussi, semblait en ruine et à l’abandon.
Nous avons vu le concierge, à moitié endormi sous un ventilateur qui tournait au ralenti total…Nous l’avons presque dérangé et réveillé de sa somnolence. Il a été réveillé en sursaut, et a saisi naturellement sa fronde et le sabre qui lui servent d’armes de défenses en cas d’agression par les voleurs.

« -Bonjour vazahas ! nous dit-il, à demi-mots.
-Bonjour monsieur ! Cet hôtel, il date de quand s’il vous plaît ?
-De l’année 2010… dit-il en bégayant un peu. L’usine sucrière a vendu ses champs de canne à un Français qui s’est lancé dans les plantations de cabosse de cacao. Les autres habitations ont été vendues à un vieux promoteur italien du nom d’Arnolfini. Cet hôtel lui appartient… mais ça fait dix ans qu’on ne l’a plus revu… On n’a plus de nouvelles de lui…personne n’a entretenu cet hôtel depuis 2033, et il est devenu le refuge des personnes pauvres et des sans-abris…Moi je travaille pour lui, je l’attends toujours depuis dix ans. Il m’a embauché en 2010. J’ai toujours été bien payé, en euros en plus…mais là, j’attends impatiemment mes dix années de paye !  »

Entendant ces propos, je me suis dit : soit ! Si l’endroit où j’ai vécu mon enfance – et où j’ai appris mes premières leçons et fait mes premiers devoirs, parfois, à la lueur d’une lampe pétrole – sert à reloger les pauvres, les mendiants et les sans-logis, alors, tant mieux ! Mon cœur se réjouissait à entendre que ce lieu symbolique dans ma trajectoire de vie, servait à abriter des gens nécessiteux et oubliés, des va-nu-pieds, des exclus de la société malgache.

 » -Mais, dites-moi monsieur ! Il y avait une arrière-cour où se trouvaient un vieux poulailler et un puits. Existent-ils toujours ? J’ai quitté involontairement, ce village en 1990, et depuis, je n’y ai pas remis les pieds.
-Oui, le vieux poulailler est entièrement pourri, il ne lui reste que les tôles… le puits lui, est encore là, mais il est totalement sec.
-Ah, d’accord !… »

Ma famille et Roger lisaient de la tristesse sur mon visage, ils ne rajoutèrent nul mot sur ce constat, afin de ne pas alourdir ma déception. J’étais à la recherche de preuves concrètes de l’existence du petit garçon que j’étais, et qui est resté un peu au fond de moi, car j’ai grandi et mûri très vite. J’ai pris le temps de leur raconter de nouvelles anecdotes.

Le temps semble figé à Djamandjar depuis 1990. Rien n’a changé depuis maintenant 53 ans. En voyant ce village désert et le poulailler ainsi que le puits, seules preuves de mon vécu ici, je me suis rappelé une anecdote qui a été à l’origine de ma passion pour les livres, et plus particulièrement, l’étincelle qui a donné naissance à ma passion pour l’Histoire de France, et par conséquent, à ma vocation d’enseignant qui a vu le jour, en 1983, dans ce village…je n’avais alors que 7 ans…C’était il y a 60 ans de cela ! Ma mémoire est encore intacte malgré mes 67 piges ! Quand j’ai quitté la maison de mon grand-père Selman-Raja-Chahar Khan, je suis allé vivre chez mes parents. Je venais de passer en CE1 en 1983. Mon grand-père en guise de cadeau de départ, m’avait alors offert deux gros et lourds cartons poussiéreux. Il m’avait recommandé de ne les ouvrir qu’une fois arrivé chez moi au village à Djamandjar. C’est là, que j’ai vécu une enfance certainement pauvre matériellement mais très riche et heureuse en événements et en valeurs humaines, de 1983 à 1990. Mon père Rajesh tenait une petite épicerie. Ma mère était une splendide et élégante femme. Elle aimait s’habiller honorablement en sari et portait toujours un sourire et de la bonne humeur à tous ceux qui la croisaient. Elle s’appelait Sanya-Indira. Elle était arrivée à Diégo-Suarez en 1970, car elle était la fille d’un père militaire français ayant servi à Pondichéry et d’une mère portugaise, native de Goa, en Inde. Elle vit le jour à Pondichéry en 1953, et, avait ensuite passé quelques années de sa vie à Dakar au Sénégal, à Brazzaville au Congo, où son père avait obtenu ses différentes mutations. Ayant perdu sa propre mère très tôt, elle avait suivi son père militaire de carrière sur la base française de Diégo-Suarez en 1970. Mon père et ma mère se sont rencontrés sur un bateau au large de la mer des Emeraudes, au Nord de Madagascar lors d’une sortie entre jeunes le 25 décembre 1973. Ils ne se sont plus quittés…jusqu’à la fin de leur vie.
J’ai donc ouvert parmi les miens, les deux cartons qui contenaient à ma grande surprise, une quantité prodigieuse de livres d’histoire et de français, tous, datant des décennies 1940-1960. J’ai donc découvert ces manuels scolaires, ces pavés illustrés et lithographiés, qui ont permis à tant de générations d’élèves d’être au contact d’un savoir précieux, tout au long de la période coloniale à Madagascar. Ces livres étaient magnifiques d’autant plus qu’ils étaient décorés de lettres peintes ou miniatures ornant les anciens manuscrits médiévaux que l’on appelle les enluminures. Certains étaient écrits par Albert Malet et Jules Isaac. D’autres étaient mis en valeur par Alain Decaux, André Castelot, Gabriel Monod ou encore Ernest Lavisse, Fernand Braudel et Ernest Labrousse…

A la même époque, un monsieur d’un certain âge, je dirais une quarantaine d’années, fréquentait la boutique de mon père. En apparence, il faisait presque la soixantaine car sa barbe et sa maladie le vieillissaient davantage. Il venait solliciter de l’argent à mon père quotidiennement, pour soi-disant aller boire un café bien chaud dans le seul bar du village. En réalité, Il oubliait son quotidien dans un verre de consommation de rhum. Ce monsieur qui s’appelait Fida, était un paria miséreux de la société, mais dans mon cœur, il est resté un grand homme brave et courageux, généreux et très cultivé. Il était un de ces oubliés de la décolonisation qui avait eu la chance d’obtenir son baccalauréat français sous la période coloniale. Il faisait néanmoins partie de tous ceux que la période postcoloniale avait mis sur la route et sous les ponts, malgré leurs excellents diplômes…Il vivait dans un cabanon qu’il avait construit à la sortie du village. Il était atteint de diabète, et la gangrène était en train de ronger son pied et son mollet droits. Il était exclu de la société, mais dans mon cœur, il restera grand ! Il buvait beaucoup et était usé par la vie et les soucis. Il n’avait aucune attache familiale, ni femme, ni enfants, ni mère, ni père. Il avait une voix grave, une de ces voix qui vous font peur et qui semble sortir d’outre-tombe.
Un jour de l’année 1983, c’était au mois de septembre, la saison des pluies avait débuté. Il pleuvait des cordes. Fida rentra dans l’épicerie de mon père. Cette fois-ci, il a demandé de l’eau fraîche. (Il ne faut pas oublier que dans ce village, tout le monde n’avait pas l’électricité, ni l’eau courante). Moi, ce jour là, j’étais assis, un livre ouvert à la main, observant ainsi toute la scène, sur les marches de la véranda de la boutique. J’étais en train de lire, un de ces livres d’histoire de France magnifiquement lithographié que mon grand-père m’avait offerts. Fida, en jetant un œil sur la page que je lisais, me demanda, soudainement de sa voix grave.

 » -Grand garçon ! en quelle année Christophe Colomb a-t-il découvert l’Amérique ?
– En 1492, le 12 octobre, un jeudi, lui avais-je répondu.
-Bravo pour la précision dit-il ! Et moi, je peux aussi te dire que ce fut un marin qui s’appelait Rodrigo de Triana qui – du haut du mât de la caravelle la Santa-Maria – annonça la nouvelle en criant « Terre, Terre à l’horizon !  » ajouta Fida.
-Les deux autres caravelles, c’étaient la Pinta et la Nina, dis-je alors.
-Colomb était convaincu de la rotondité de la Terre, compléta Fida ! Il voulait aller en Inde par l’Ouest car les Portugais dominaient le Cap de Bonne Espérance et tout l’océan indien. Quand Colomb – ce navigateur génois au service des Rois d’Espagne, les Très Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon- arriva à l’île d’Haïti dans les Caraïbes, qu’il baptisa Hispaniola, il croyait être…  »

Je coupais alors la parole à Fida, pour terminer son explication.

 » -…arrivé aux Indes ; c’est pour cela que les habitants – de ce nouveau continent encore ignoré à l’époque, et auquel un certain Amérigo Vespucci, va donner son nom – ont été nommés les Indiens d’Amériques ! Colomb, quant à lui, terminera sa vie malade et rejeté par les grands de l’époque qui n’ont vu en lui qu’un simple navigateur. Le seul pays qui portera son nom, ce sera la Colombie ! Toute sa vie, le vieil amiral de la mer océane avait cru qu’il était arrivé en Inde. Il n’a jamais reconnu ouvertement à sa mort en 1506, l’existence du nouveau continent qu’il venait de découvrir.

Après lui, d’autres explorateurs comme Ferdinand de Magellan, John Cabot, Jacques Cartier, Vasco de Gama, James Cook, Bougainville ou La Pérouse découvriront et exploreront bien d’autres contrées de plus en plus lointaines et différentes. Ces aventuriers vont essayer, par leurs découvertes et leurs conquêtes, d’apporter des réponses multiples à la curiosité humaine, d’inventer d’une manière savante, de nouvelles visions du monde par les explorations extrêmes ; d’alimenter cette soif de l’inconnu qui va emmener, au fil des siècles, l’humanité à toujours aller au-delà de nouvelles frontières, franchir de nouvelles limites jusqu’à arriver à faire ses premiers pas sur la Lune, le 21 juillet 1969 et même, à explorer l’Univers par la suite !
-Mais, dis-moi petit bonhomme ! poursuivit Fida, très captivé, comme je vois que tu es un historien en herbes, et un petit garçon qui semble passionné par la culture générale, dis-moi pour assouvir ma curiosité, quel lien y avait-il entre les rois de France Henri III de la famille de Valois et le roi Henri IV de la famille des Bourbons ?
– Eh bien, cher monsieur Fida, répondis-je alors : les deux rois étaient des cousins !
-Ah oui ? Explique-moi tout cela en détail continua Fida.
– Tu vois Fida, lui dis-je subséquemment : Henri III avait comme père Henri II qui lui-même était le fils du grand François 1er. Et Henri IV était, quant à lui, fils de Jeanne d’Albret, elle-même fille de Marguerite d’Angoulême, l’auteure du recueil de nouvelles intitulé l’Heptaméron des nouvelles de la reine de Navarre.
-Eh alors ? répliqua Fida.

– Marguerite d’Angoulême, plus connue sous les noms de Marguerite de France ou Marguerite de Navarre et François 1er étaient frère et sœur. C’est la raison principale pour laquelle, Henri III n’ayant pas eu d’enfant, c’est donc par collatéralité masculine, selon les règles de la loi salique, que son cousin Henri de Bourbon devenu Henri IV lui succéda en tant qu’héritier, à la couronne de France en 1589. Ce sera le début de la dynastie des Bourbons et la fin de celle des Valois.

– Ah ! Je comprends mieux maintenant grâce à toi me répondit Fida…tu en connais des choses à ton âge…Un jour peut-être, tu seras professeur et certainement un bon pédagogue !
– Merci Monsieur Fida.  »

Fida, dont la barbe dégageait une certaine sagesse et de nombreuses expériences m’applaudit ce jour là, sous le regard concentré et majestueux de mon père, mais aussi des autres clients de l’épicerie du village, qui restèrent étonnés par les répliques du dialogue entre le vieux sage marqué par la vie et le curieux et innocent enfant que j’étais, rêvant de la vie.

Mon père Rajesh – qui avait une certaine haute idée de l’Ecole – était fier de moi. Il avait une haute vision des institutions scolaires françaises. Comme ses autres camarades, il avait vu De Gaulle en 1959, lorsque l’Homme du 18 juin était venu, en tenu militaire, et ses galons et médailles brillantes, à la rencontre des élèves de l’école mission catholique de Hell-Ville.
Lors de cette conversation fructueuse entre Fida et moi, j’ai pu observer un sourire et une fierté sur le visage de mon père comme celui que j’avais l’habitude de voir quand je lui montrais mes évaluations scolaires trimestrielles. Il a toujours cru en ma réussite scolaire et il avait vraiment confiance en moi. Cette confiance était évidemment réciproque. J’ai toujours adoré mon père qui avait tant travaillé pour me voir réussir. Il a vu que Fida pouvait m’apporter des connaissances car c’était un homme de grande culture. Et il a vu juste ! C’est donc, en écoutant la conversation entre Fida et moi que tout naturellement, il lui vint l’idée de demander à celui-ci, de venir tous les soirs aux alentours de dix huit heures pour me faire lire, une à une, avec les explications qu’il faut, les pages du livre que je tenais dans mes mains. Et c’est comme ça, que grâce à Fida et à mon père, que l’étincelle pour l’Histoire de France qui était née en moi, est devenue une flamme, puis une passion du cœur, qui a donné naissance à la vocation, je dirais presque l’amour de devenir professeur de cette noble matière.

Et Fida venait tous les jours, il recevait en échange des vêtements, des pièces de monnaie ou de la nourriture. Infatigables, Fida et moi avions lu, relu, parcouru et mémorisé des pages et des pages, des chapitres des livres que mon grand-père m’avait offerts. Et c’est comme ça, qu’âgé à peine de 7 ans, j’ai été mis au contact – au cours de ce jour béni de 1983 – des grandes et petites anecdotes qui ont marqué l’histoire de notre pays, de notre nation.

Je n’oublierai jamais cette rencontre entre Fida et moi, cette amitié, cette main tendue exemplaire et symbolique entre, d’un côté la pauvreté, la maladie, l’errance, l’alcool, la misère et de l’autre côté, la soif des connaissances, l’innocence liée à l’enfance, l’envie de découvrir le monde qui nous entoure, la haute idée de l’école. C’était une rencontre et un échange d’idées formidables. C’est une histoire exceptionnelle qui a changé et orienté le destin d’un petit garçon, et qui a donné un sens à la vie de ce vieil homme condamné par la maladie, usé par la misère et rejeté par la société. Ce grand cadeau qui a changé ma vie, qui m’a donné cet élan d’apprendre encore et encore, je le dois à mon cher père. Mon père, dans ma mémoire et mes souvenirs, restera un grand héros et un grand modèle tout au long de ma vie et Fida restera un grand homme qui m’a beaucoup appris. Il m’inspire le respect. Cela s’est passé au petit village de Djamandjar sur l’île de Nosy-Bé ! Les lithographies et les gravures présentes dans les livres m’ont permis de mémoriser plus facilement et visuellement, le contenu. Ce sont des vraies images d’Epinal qui m’ont guidé, m’ont fait rêver et aimer vingt siècles d’Histoire de France ! Ces lithographies m’ont permis de vivre les différentes périodes de l’Histoire comme si je les avais moi-même vécues. J’ai, par exemple côtoyé : les huttes gauloises sur pilotis construites sur des cités lacustres, la cueillette du gui par les druides, Vercingétorix sur son beau cheval blanc se rendant à César à Alésia, les gallo-romains en train de paver les routes de Lyon, le massacre de Blandine dans la fosse aux lions, Clovis élevé sur un pavois par ses guerriers, ou ce même roi franc se vengeant du vase de Soissons, Charles Martel arrêtant les Arabes à Poitiers, Charlemagne visitant une école, les drakkars vikings attaquant Nantes.

 » -Faute de pouvoir vous montrer toutes ces reproductions, excusez-moi, mais ça me brûle la langue l’envie de les énumérer presque toutes. Toutes ces images ont développé grandement mon imagination et je revois Roland brisant son épée Durandal dans le col de Roncevaux, en faisant sonner son cor, La prise du Château-Gaillard par Philippe Auguste, Blanche de Castille enseignant la bible au jeune Louis IX, Saint-Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes, les troubadours chantant pour les seigneurs, le siège d’un château-fort, la peste pulmonaire et bubonique détruisant des villages durant la guerre de Cent ans, Du Guesclin battant les Anglais, Jeanne d’Arc gardant ses troupeaux de brebis à Domrémy, et faisant son entrée par la suite, à Orléans, puis Jeanne d’Arc brûlée vive par les Anglais. Je continue pardonnez-moi d’être un peu dans le catalogue et l’énumération (ne serait-ce que pour rafraîchir la mémoire historique de certains !)

Louis XI simplement habillé, circulant dans les rues de Paris, le corps de Charles le Téméraire gisant dans la neige après sa défaite à Nancy, Bayard le chevalier sans peur et sans reproches adoubant François 1er chevalier, au soir de la bataille de Marignan, Gutenberg actionnant son imprimerie, Christophe Colomb avec ses trois caravelles arrivant en Amérique, François 1er se baladant avec sa cour itinérante de château en château, François 1er prisonnier de Charles Quint à Pavie, la nuit du massacre de la Saint-Barthélemy, Henri IV allant à l’arsenal avec le duc de Sully, son assassinat dans le carrosse, par Ravaillac, Louis XIII et le cardinal de Richelieu visitant la construction de la digue de la Rochelle, Louis XIV encore enfant, grelottant de froid durant la Fronde des Princes, Louis XIV se baladant dans la galerie des Glaces à Versailles, jouant aux billards, ou encore présidant le conseil des ministres, le Roi-Soleil visitant la manufacture des Gobelins, Colbert au travail, Louvois au combat, la mort du maréchal Turenne touché par un boulet de canon, l’arrestation de Fouquet au château de Vaux… Ouf ! Toutes ces images sont là ! Vauban inspectant ses fortifications, La Fontaine écoutant un corbeau et un renard dans la forêt de Château-Thierry.
-Papa, s’il te plaît ! C’est toute une palette complète de diapositives dans ta tête ? Ça défile ! M’interpella alors Vijay. C’est un grand hommage que tu adresses aux livres des années 1950-1960 et à cet idéal de l’Ecole que tu as eu !
-Oui, mon fils ! Ces images resteront, même après tant d’années écoulées, ancrées dans ma mémoire. Tu sais, c’est grâce à elles que j’ai pu voyager dans des pays et des époques lointaines. De plus, je peux encore te dire la suite des lithographies qui m’ont accompagné jusque là :
– Il y avait aussi, Louis XIV, sur son lit de mort en train de faire des aveux et donner des conseils à son arrière-petit-fils, Louis XV poursuivant un sanglier à la chasse, Louis XVI et Turgot faisant face à la Révolution, la Bastille en flamme, l’arrestation du roi et de Marie Antoinette à Varennes, Louis XVI face à la guillotine, l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, la mort de Danton, l’arrestation de Robespierre, Napoléon inspectant ses troupes à Austerlitz et aussi au milieu de la débâcle à Waterloo, Rouget de Lisle chantant la Marseillaise, Lamartine prononçant fougueusement un grand discours, Gambetta quittant Paris en ballon, Jules Ferry prononçant son discours sur l’instruction publique gratuite, laïque et obligatoire, Louis Pasteur en train de vacciner un enfant atteint de la rage, Charles Darwin écrivant sa théorie sur l’évolution, les poilus dans les tranchées, De Gaulle et son appel du 18 juin, l’entrevue de Montoire entre Hitler et Pétain, l’attaque de Pearl Harbor, la bataille de Stalingrad, De Gaulle défilant sous les Champs-Elysées, la deuxième division blindée de Leclerc rentrant dans Paris, le paquebot France et Normandie…et bien d’autres images encore qui m’ont marqué en tant que gamin…Toutes ces images sont les semis, les racines et surtout par la suite, les fils conducteurs de ma vocation d’enseignant… Une étincelle, une flamme, un amour, une passion, une obsession…sont nées…A 12000 kilomètres de la France, dans un tout petit village de l’île de Nosy-Bé, j’étais ce petit gamin qui était fasciné par les différents châteaux de la Loire, les châteaux forts médiévaux, et Versailles que je dessinais durant mes moments de libres…c’était au début des années 1980. Tous les jours, j’apprenais des nouvelles choses grâce aux livres dont j’avais hérité de mon grand-père et grâce aux longues explications de Fida. J’avais appris que Fida est mort en 1992. Ça m’a fait de la peine. Aujourd’hui, il existe dans la mémoire et dans mon cœur pour la vie ! Je lui rends hommage aujourd’hui en pensant à cet homme, un laissé pour compte de la décolonisation, qui n’avait ni enfants, ni fortune, ni maison et qui m’a tant marqué, il y a maintenant presque soixante années de cela ! Fida venait tous les jours. Il était un peu devenu un professeur d’histoire ambulant car d’autres enfants du village qui n’avaient pas la chance de pouvoir aller à l’école française et l’école tout court, s’asseyaient à mes côtés pour l’écouter. Le duo était devenu une classe en plein air. Eux aussi, ils ont suivi les éclaircissements de Fida ! Le village avait 7000 habitants. J’étais le seul à aller à l’école française. Ah ! Que ma mémoire est pleine de souvenirs comme disait l’Humaniste, Michel Eyquem de Montaigne ! Toutes ces personnes, ces êtres chers aujourd’hui disparus et qui vivent chaudement dans mon cœur, et sourient dans ma mémoire ! Je pense à eux souvent, car en pensant à eux, je les immortalise et les grave pour toujours. Sans eux, mes chers enfants, je ne serais peut-être jamais devenu ce que je suis devenu par la suite ! Ma passion de la vie, je la leur dois, mon amour pour l’Histoire et la Littérature aussi… et surtout ma vocation d’enseignant. Ils ont fait de moi un humaniste, un savant, un intellectuel amoureux de la Vie. »
Vijay et Kareena avaient des larmes aux yeux et n’ont pu contenir leurs émotions !
C’est à ce moment là que Roger me dit !
 » -Amith, veux-tu aller faire un tour sur le site de l’ancienne usine de Rhum ?
-Oui, naturellement ! Lui répondis-je »

Et nous sommes arrivés – après un kilomètre de route, par une bifurcation à droite – devant les restes d’une locomotive à charbon datant de 1931. Le site était en ruine. C’était désolant de voir ce spectacle. Plus loin, des vestiges, des ruines d’une usine sucrière, sans doute, la plus ancienne usine de Madagascar faisaient leur apparition. La première chose qu’on a vue c’est un train d’une autre époque. Il était là, comme un monstre noir abandonné, regardant les visiteurs en retenant ses larmes. Cette locomotive anglaise date de 1931. Je me souviens que les coupeurs de canne l’avaient surnommée « le fou noir » car une fois lancée, on avait du mal à la freiner. Elle était là, exclue et abandonnée à son sort, servant de premier décor aux visiteurs, elle, dont les villageois avaient entendu les sifflements, et elle, qui avait tiré des milliers de wagons chargés de cannes, pendant des années, était laissée tristement à son propre sort, réfléchissant en silence sur la cruauté de la nature humaine.

C’était une de ces vieilles locomotives à vapeur et fonctionnant au charbon de bois. A l’époque, quand j’étais petit, on entendait son sifflement cadencé lorsqu’elle rentrait à la gare. A l’aube, alors que les coqs chantaient en chœur pour sonner l’alarme, ses sifflements mélangés aux sonnettes des vélos, des klaxons des rares taxis, des premiers tracteurs John Deer et Caterpillar et de la fourgonnette 3 CV Citroën du livreur de pain qui faisait son entrée triomphante dans mon village, réveillaient les campagnards quotidiennement, à la même heure. C’était une des ces vieilles machines noire et délabrée par le temps, rappelant par sa forme et son élégance, les premières révolutions industrielles du XIXème siècle où l’on remplacera la traction animale par la mécanisation et la vapeur, comme celle de Richard Trevithick qui fut le réalisateur de la première locomotive en 1804 ou la Rocket de Robert Stephenson datée de 1814.

Oubliée à Djamandjar, elle a la nostalgie du temps d’avant, un temps irréversible et révolu, où les hommes avaient une certaine valeur dans le monde du travail. Elle rappelle un peu la Lison de la Bête Humaine d’Emile Zola qui décrivait en 1857,
« ce monstre de fer, d’acier et de cuivre » et qui pour la première fois devenait un personnage romanesque. Le cœur de cette locomotive à vapeur était sa chaudière. En principe elle utilisait le charbon comme énergie mais, elle a aussi parfois utilisé le pétrole, le bois, les déchets de canne à sucre et la tourbe. Le combustible brûlait sur la grille à l’intérieur du foyer.

La carcasse extérieure, qui est encore là, renfermant des tuyauteries totalement en ruine, était entourée d’eau, dont le rôle consistait à absorber la chaleur émise par le feu. L’air nécessaire à la combustion arrivait par des extrémités différentes. L’air primaire arrivait en dessous de la grille et l’air secondaire arrivait au dessus via la porte du foyer. La vapeur circulait alors, dans une tuyauterie qui permettait d’obtenir de la vapeur réchauffée. Sa température était d’environ 316 à 376 °C puis traversait les soupapes jusqu’aux cylindres. C’est cette mécanique qui déclenchait les barres, où étaient reliées les roues. Les gaz chauds ainsi expulsés, provoquaient une vapeur d’échappement des cylindres, qui arrivait à grande vitesse dans la cheminée. Le train exigeait évidemment la présence de personnels, tels que mécaniciens, agents contrôleurs, machinistes, personnel fixe et aiguilleurs.

Mais tout cela est tellement loin à Djamandjar, tout est oublié, sauf cette locomotive noire comme le charbon, qui demeure là, passive, mélancolique, errante, pauvre, condamnée et abandonnée par le monde cruel des hommes qui avance dans un monde illusoire et virtuel, comme des tentacules d’une pieuvre avalant tout sur son passage. Cette locomotive rappelle un peu aussi la Pacific qu’on voyait dans le film de Jean Renoir de 1938. Dans cet ancien village sucrier où l’on peut sentir – à travers les odeurs rouillées des ruines de la chaudière, du châssis et des roues massives dormant sur les rails endeuillées – les métiers pénibles de ces mécaniciens et chauffeurs qui rappellent merveilleusement le film, où ces rôles furent interprétés, par Jean Gabin (Jacques Lantier) et Julien Carette (Pecqueux). Cette locomotive, aujourd’hui en ruine, tirait des énormes wagons de cannes brûlées.

Ces dernières, une fois à l’usine, allaient être transformées en rhum ou en sucre roux tant réputés à Madagascar. Je me souviens encore de ce temps, où quand j’étais petit, j’allais avec les copains du village, extraire quelques tiges de cannes des wagons qui défilaient à toute vitesse comme des vagabonds. On se faisait entraîner par la force du monstre noir qui les tirait. Le plaisir était pour nous, enfants du village, de mâcher ces cannes dures comme fer, avec nos petites dents qui sentaient la mélasse.

La vue de cette usine en ruine et ses vestiges qui dorment éternellement, me rappelaient aussi son époque de gloire. La canne était encore coupée, à l’époque, à l’ancienne manuellement dans les champs. Un peu comme la culture du riz, c’était un travail manuel, épuisant, harassant et rarement mécanisé, effectué par les villageois de la tribu des Antandroys, qui étaient, par ailleurs aussi, des éleveurs de zébus. La canne à sucre avait, comme le riz, besoin de soleil, d’eau et de chaleur. Là où l’eau manquait, les champs de canne étaient irrigués, tout au long de la route périphérique et littorale de Djamandjar, grâce aux pompes qui puisaient l’eau dans les différents lacs millénaires et quelques réservoirs rouillés de Nosy-Bé ; ces derniers dataient certainement de l’époque coloniale. La canne est une plante vivace, c’est-à-dire qu’elle n’a pas besoin d’être replantée tous les ans.

La canne repousse après chaque récolte. Après cinq ou six « repousses », les vieux plants étaient arrachés et une « canne vierge » était replantée. La canne à sucre se multipliait par bouturage de portions de tiges que les paysans enterraient horizontalement. Au fil de la croissance, le sucre s’accumule dans les tiges jusqu’à un maximum, appelé « maturité » : C’était le moment optimal pour la récolte qui se déroulait entre juin et octobre. La récolte consistait à couper les tiges en laissant la partie basse, la « souche », pour permettre à la plante de repousser.

La coupe des tiges se faisait traditionnellement à la main, à l’aide d’une machette ou d’un sabre, ce qui nécessitait une main-d’œuvre importante. C’était une opération difficile, car la tige de canne était dure, les feuilles étaient coupantes, la chaleur était forte et les insectes pullulaient. Une fois coupées, les tiges devaient être apportées à l’usine dans les deux jours, car la teneur en sucre baissait rapidement. La récolte était donc une étape capitale. Elle demandait beaucoup d’organisation dans l’approvisionnement des usines qui élaboraient le sucre, le rhum, et bien d’autres produits.

Un homme malgache pouvait couper quelques kilogrammes de tiges par jour, alors qu’une « coupeuse-tronçonneuse » pouvait dans les pays industrialisés, récolter jusqu’à 60 tonnes de tiges par heure. A Nosy-Bé, pour faciliter la coupe, on brûlait souvent le champ, mais cette pratique a été progressivement abandonnée car elle était polluante, elle diminuait la qualité des tiges et elle détruisait les équilibres biologiques, sans oublier que ce procédé causait des incendies, pouvant faire disparaître des villages malgaches et leurs maisons traditionnelles en pailles sur pilotis. Une fois que la canne préalablement « brûlée » fût coupée manuellement, elle était ensuite chargée, après la pesée, dans les remorques des tracteurs ou dans les wagons des locomotives, au moyen d’un Cane Loader Bell à trois roues. Les cannes étaient ensuite acheminées jusqu’à l’usine de Djamandjar, où elles étaient déchargées dans la cour à canne en attendant leur broyage. Des grappins attrapaient ensuite les cannes déjà gerbées pour les envoyer à l’aide des chaînes à canne, dans l’usine pour y être broyées. Après, on parlait de l’épuration par rapport à la bagasse : le jus issu du broyage (le vesou) était ensuite traité par la chaux. Ce qui transformait les acides en sels insolubles. Après chaulage, le jus était porté à ébullition dans des réchauffeurs. Une fois porté à ébullition, le jus était ensuite envoyé vers les clarificateurs. Par décantation, le jus clair était séparé des impuretés. Alors que le jus continuait sa progression dans le processus de fabrication, les boues étaient filtrées par des filtres rotatifs sous vide. Avant la cristallisation, arrivait l’évaporation. Cette opération consistait à enlever l’eau du jus clair grâce à l’action de la vapeur. A la sortie du dernier évaporateur, le jus avait perdu jusqu’à 75% d’eau et devenait sirupeux et prenait le nom de la cassonade. Les résidus s’appelaient la mélasse. Le sirop qui sortait de la dernière caisse d’évaporation était amené à sursaturation dans les chaudières de cuite, ainsi la cristallisation était amorcée au moment opportun, elle se développait et se généralisait. Le sirop de canne était introduit dans l’appareil à cuire dans lequel il permettait le grossissement de petits cristaux de sucre. Il en restait la mélasse qui pouvait servir à fabriquer le rhum blanc très réputé sur l’Ile Rouge. Enfin, venaient le malaxage, le turbinage et le séchage : le contenu était déversé dans un bac de malaxage où, par agitation régulière, sa température était ramenée aux environs de 45°c; les cristaux se refroidissant achevaient de grossir aux dépens de «liqueur-mère» qui les entoure. L’achèvement des opérations consistait à séparer les cristaux de la liqueur-mère qu’on appelait aussi sirop d’égout. Le sucre humide issu du turbinage passait dans un sécheur, puis le produit sec était ensuite acheminé par un transporteur vers les unités d’ensachage. Le sucre roux obtenu était souvent vendu dans des gros sacs gounis de 50 à 100 kg. Le sucre roux pouvait être consommé tel quel. Par contre, pour obtenir le sucre blanc, le sucre roux devait subir une dernière série d’opérations de raffinage en usine. Il s’agissait d’un travail très difficile, mais de nombreux ouvriers, mécaniciens, agriculteurs trouvaient du travail dans cette usine sucrière qui a fait la splendeur du village de mon enfance. Toutes ces personnes avaient un pouvoir d’achat qui leur permettait d’acheter des produits de première nécessité dans la petite épicerie de mon père. Même si les gens achetaient toujours à crédit, en signant rarement les bons de reconnaissance de dettes ou surtout, en déposant leurs empreintes digitales sur les « carnets dits de bons », l’usine de canne payait ses ouvriers à des salaires modiques. Ils venaient ensuite faire leurs achats dans notre épicerie. Cela permettait à mes parents de subvenir aux besoins de notre famille, d’acheter les rares et magnifiques livres qui m’ont permis de me cultiver. On vendait un peu de tout et les ouvriers et les agriculteurs étaient nos premiers clients car, en plus, ils pouvaient payer leurs achats en plusieurs fois.

Roger me donna alors quelques explications supplémentaires…

 » -L’usine a été importée pièce par pièce du Brésil ou de Venezuela dans les années 1923, dit-il. On y cultivait la canne à sucre depuis très longtemps. Cette usine, dont les sirènes d’appel au travail et les sifflements des locomotives ont rythmé toute la vie au village de Djamandjar entre 1930 et 2005, est actuellement, en état de friche industrielle. A l’époque de mon enfance, le village sentait le vesou, la bagasse, la cassonade et la mélasse. Les vaches viennent y paître aujourd’hui, parmi les débris de wagons et de locomotives allemandes, anglaises et françaises, datant des années 1910. C’est aussi là, que l’on produisait le rhum le plus coté de Madagascar :  » le Djam ». Les rails à l’abandon, obligeant les taxis-brousse à ralentir, se confondent dans le paysage, rappelant le passé glorieux de cette usine sucrière, qui a fait vivre de nombreux commerçants, bars, épiciers, ouvriers, mécaniciens et agriculteurs au village de Djamandjar. Toute la vie était régie par le rythme et le fonctionnement de cette usine. Bon, il se fait tard, termina-t-il, le soleil va se coucher, allons rentrer à l’hôtel, après cette fructueuse journée…  »

La nuit commençait à étendre son long manteau noir sur le village de mon enfance, tel un rideau qui tombe quand le spectacle est terminé. Du pare-brise fissuré du taxi, je pouvais observer déjà, les chauves-souris roussettes en train de danser collectivement dans le ciel, et entendre les carillons des cigales et les cris stridents des grillons qui se réveillaient à leur tour. Je me rendais alors compte que, même si le monde avait évolué depuis, il y a des choses qui restent ininterrompues. J’étais content de retrouver cette ambiance paisible et animée – par les petites bêtes de la nuit – que je n’ai plus retrouvée par la suite…

Dans le taxi, au retour de notre tour de l’île, j’ai profité pour raconter une autre anecdote à ma petite famille et à Roger.

« -Il y avait un monsieur qui était coupeur de canne dans cette usine, à l’époque. Il s’appelait Sambou, un Malgache qui, le week-end, vendait des régimes de bananes. Il était toujours habillé simplement, en lambas, sorte de tissu traditionnel malgache. Parfois, durant les périodes où il n’y avait pas de coupe de canne, il allait vendre des beaux coquillages et quelques produits artisanaux, à des touristes sur la plage d’à côté. Les touristes lui donnaient ou troquaient en échange, des pacotilles, des savonnettes, des parfums, des dentifrices, des petits jouets, … et un jour…il est rentré dans la boutique de mon père… le soir tombait… mon père venait d’allumer l’unique ampoule qui éclairait notre petite épicerie et je dirais presque la rue principale du village, créant ainsi, un contraste flagrant, entre la petite lumière et la grande nuit qui arrivait, comme chaque soir, dans ce village de Djamandjar. Alors que les cigales commençaient à chanter, les grillons criaient, les roussettes passaient pour rejoindre leur logis, Sambou fit son entrée dans notre boutique. Il était venu avec un Bled, trois Bescherelles, un livre de grammaire Bordas 4ème et un atlas des animaux du monde.

C’était en 1985. J’avais neuf ans…Mon père acheta pour moi, tous ces livres, qui m’ont, par la suite, aidé à affronter les années collèges et lycée. J’étais l’unique enfant du village à avoir eu accès à l’Ecole française et je m’en rendais bien compte que j’avais de la chance et un privilège magnifique auquel je rends hommage, aujourd’hui des années et des années après ! Mon père avait mis ses moindres économies dans les livres, et je lui dois beaucoup pour cette affection qu’il avait pour moi et les moyens qu’il a mis pour la réussite scolaire de son fils ! Il est à l’origine de ma bibliophilie.  »

Nous arrivâmes enfin à l’hôtel.

 » -La journée a été éreintante. Mes os ne sont plus très jeunes. J’ai besoin de me reposer les enfants. Je vous propose que je me repose quelques jours avant de repartir à l’aventure. Pendant ce temps, vous profiterez pour découvrir par vous-mêmes l’île !

Article CULTUREL rédigé par Tamim KARIMBHAY professeur, historien et romancier auteur d’une monographie culturelle et historique d’un espace culturel et touristique insulaire dans l’océan Indien et le canal du Mozambique : Nosy-Bé : Âme malgache, Cœur français et du roman autobiographique et géopolitique : un hypertexte polyvalent et visionnaire : Année 2043 : Autopsie D’une Mémoire à contre-courant.

Tamim KARIMBHAY

 

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