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Muté à La Réunion, le cas concret d’un professeur alcoolique baladé d’académie en académie

?Quel est le traitement administratif accordé à un fonctionnaire présentant des comportements déplacés ? Derrière les déclarations fracassantes portées sur un plateau télé par une ancienne ministre, il y a parfois des cas concrets près de chez nous. Ils illustrent la difficulté, pour les rectorats et le ministère, à mettre hors-jeu un fonctionnaire répétant, académie après académie, les mêmes comportements.

Ecrit par zinfos974 – le jeudi 13 février 2020 à 11H15

À défaut d’avoir fait toute la lumière sur ces pratiques de mutation dans les DOM, les propos de Ségolène Royal ont le mérite de mettre sur la place publique un sujet tabou qui a traversé l’Education nationale sur plusieurs générations de ministres.

À La Réunion, évoquons le cas d’un professeur qui avait fait parler de lui au sein d’un lycée de Saint-Paul à la fin des années 2000. 

Un cas d’école qui vient ici rappeler à quel point l’administration a décidément du mal à traiter ce genre d’incidents. Pire, comme nous le verrons dans quelques instants, il semblerait que le professeur indélicat aurait été affecté dans un autre département après avoir déjà fait parler de lui dans sa précédente affectation. Comme une patate chaude, le problème semble à chaque fois être « réglé » par le déplacement du mis en cause dans une autre académie… 

L’incident dont nous allons parler s’est déroulé en septembre 2009 au sein du lycée Louis Payen de Saint-Paul. En état d’ébriété manifeste, un professeur de français apostrophe l’une de ses élèves. Cette dernière a le malheur de s’habiller court-vêtu. « Avec une mini jupe comme ça, avec la foufoune dehors, tu fais tout pour exciter les gens », lance-t-il ce jour-là à l’adresse de cette lycéenne. L’enseignant lui-même s’amusera de son état d’ébriété en avouant à ses élèves que oui, « [il] carbure au rouge ». Tous les élèves décident alors de boycotter le cours et avertissent leurs parents. 

Un incident qui arrive logiquement aux oreilles de l’association des parents d’élèves du lycée Payen. 

Dans un premier temps, méthodiquement, les parents d’élèves suivent la procédure de signalement auprès du proviseur, tout en ajoutant qu’ils souhaitent que leurs enfants ne soient plus confrontés à ce professeur. Ne pouvant prendre de décision concernant la carrière d’un professeur, le proviseur invite alors les parents à s’en référer au rectorat. Une démarche aussitôt faite, avec en copie le même courrier adressé au ministère de l’Education. 

« Il n’était plus du tout dans un état normal »

Alors que la décision de sanction du professeur malveillant suit son cours, le professeur incriminé prend l’initiative d’appeler deux parents d’élèves vis-à-vis desquels il avait eu des propos déplacés. Au lieu d’en ressortir grandi et de présenter ses excuses, le professeur s’enfonce un peu plus en avouant à une mère de famille qu’il « trouvait son élève très jolie », et qu’il « n’était qu’un homme », mais aussi qu’à cause de sa démarche, il allait faire l’objet de sanctions, tout en lui promettant que « si cette affaire s’arrêtait là, il ne prendrait pas de sanction » contre sa fille.

L’association des parents d’élèves informe également des faits le procureur de la République. Les parents de l’élève qui avait essuyé les remarques déplacées envisagent, à ce moment-là, d’aller plus loin en déposant une plainte. « Le proviseur et son adjoint ont réuni tout le monde et ont pris la décision conservatoire de mise à pied du professeur pendant une semaine », se rappelle un parent.

« À la rentrée de cette année 2009, nous ne connaissions rien de ce professeur. Il avait débarqué de nulle part. C’est après ces incidents que nous avons appris qu’il provenait de Mayotte et qu’il avait été viré d’un lycée de Mayotte car il couchait avec des élèves de 15 ans. Il avait déjà des problèmes d’alcool et de pédophilie, il faut appeler un chat un chat. Et ce qu’ils ont trouvé comme solution c’est de le muter à La Réunion », se remémore l’un des représentants de l’association des parents qui, après les déclarations de Ségolène Royal, a décidé d’illustrer la réalité de tels propos généralistes par un cas concret, vécu il y a dix ans. 

« Ce monsieur a disparu du lycée, il a été muté dans un autre lycée, je ne sais pas lequel », retracent enfin ces parents. 

Interrogé sur cette histoire, l’ancien proviseur du lycée Payen confirme que ce professeur avait posé problème, mais uniquement pour ses problèmes liés à l’alcool. Pour ce qui est du passé trouble du fonctionnaire à Mayotte, il dit ne pas en avoir connaissance. 

Rectorat : « Je peux assurer qu’on ne ferme pas les yeux »

« Le problème qui existait au lycée ce n’était pas un problème de pédophilie mais un problème d’alcool. Le professeur avait complètement perdu la raison. Il n’était plus du tout dans un état normal. Avant d’aller en salle, il avait déjà des soucis avec ses collègues dans la salle des profs. Mais je n’avais aucune information, en tant que proviseur, sur les motifs de mutation des enseignants. Nous on est absolument pas dans les dossiers. On nous affecte des enseignants comme on nous affecte des élèves, et on les accueille. Il a été suspendu dans ses fonctions, il est passé devant un conseil de discipline qui s’est déroulé au rectorat et il a été muté en métropole, dans son académie d’origine, à Lyon me semble-t-il », se rappelle Roland Lallemand, proviseur à Saint-Paul cette année-là. 

Sollicité sur ce cas précis, le rectorat de La Réunion nous confirme qu’il n’est pas possible, pour ses services, de répondre sur un cas particulier. 

 

Francis Fonderflick, le secrétaire général de l’Académie de La Réunion, nous répond :
 
Quelle est la panoplie de mesures à la disposition d’un rectorat dans pareil cas de figure ?

Tout d’abord, j’aimerais dire que les enseignants sont soumis, globalement, aux mêmes droits et obligations que tout autre fonctionnaire. Certes, ce sont ceux qui sont le plus en contact avec les enfants.
 
Dès qu’on a un signalement par rapport à un comportement inapproprié, on déclenche une alerte, le temps de voir la gravité du cas. On essaye tout de suite d’avoir la version contradictoire du fonctionnaire pour que lui aussi puisse se défendre. On procède aussi, souvent, à une mesure de suspension de quatre mois, ce qui permet de protéger à la fois les gens qui signalent quelque chose de grave et en même temps le fonctionnaire.
 
Ces quatre mois nous permettent de mener une enquête administrative, et qui peut être doublée d’une enquête pénale. Évidemment, si l’enquête pénale dure plus longtemps que quatre mois – en fonction de la gravité des faits – on prolonge la mesure de suspension tant que le procureur n’a pas pris sa décision. Cela veut aussi dire que la présomption d’innocence vaut aussi.
 
Dans ces cas assez graves, nous au rectorat on attendra toujours l’éclairage du pénal, car c’est une décision sur laquelle on pourra s’appuyer pour prendre une décision administrative.
 
Si le procureur ne donne pas suite sur l’aspect judiciaire, cela ne nous empêche pas de voir si, sur l’aspect administratif, il ne peut pas y avoir de sanctions disciplinaires. Et ces cas de figure, ça arrive.
 
Ensuite, il faut comprendre aussi que pas toutes nos décisions ont été traitées au pénal. Il y a aussi une graduation dans les sanctions. À notre niveau, ça peut aller de l’avertissement au blâme. Dans le cas de faits graves, c’est l’académie qui instruit le dossier, met en place un conseil de discipline et on transmet un avis, mais la décision appartient au ministère pour les faits les plus graves, qui peuvent amener jusqu’à la révocation.
 
Derrière toutes ces interrogations, il s’agit finalement de répondre à l’inquiétude des parents d’élève, et je peux assurer qu’on ne ferme pas les yeux ! Au contraire. Mais on ne travaille pas sur des rumeurs, mais sur le rapport que nous fait le chef d’établissement.
 
Le rectorat est-il mis au courant du passé problématique, dans une autre académie, d’un enseignant que vous accueillez ?
 
Concernant la mutation, un fonctionnaire peut muter comme il veut. Il y a des règles de mouvement. On ne se pose pas la question de savoir pour quelle raison il mute. Par contre, il y a ceux qui ont un dossier disciplinaire ou pénal qui a obligé ou amené à la mobilité. S’il y a eu une sanction pénale, mais qui ne mérite pas la révocation de l’agent, il peut être autorisé à travailler dans d’autres emplois. Généralement, l’administration s’adapte aux décisions de justice. Mais on est pas tout d’un coup innocent ou tout d’un coup coupable et donc systématiquement révoqué. Donc il peut y avoir des agents sanctionnés pénalement et disciplinairement et qui changent d’académie, soit à leur demande, soit parce qu’ils sont invités à changer d’académie. Quoi qu’il en soit, quand il y a dans le dossier une procédure disciplinaire, il y a le signalement qui suit avec la mobilité. On n’ignore rien de ce qui a pu être fait dans l’ancienne académie. En plus on a un réseau qui nous permet de dire : ‘voilà, on a eu tel cas dans notre académie, ça a été traité comme ça administrativement, comme ça pénalement’, et donc l’intéressé a demandé sa mutation, mais ce n’est pas si grave et qu’il est toujours autorisé à travailler avec des élèves. Mais en tout cas il est quand même signalé.
 
Les chefs d’établissement sont-ils tenus au courant du passé des professeurs qu’ils accueillent ?
 
Non, car c’est comme si on fichait les gens. C’est comme une personne condamnée qui aurait purgé sa peine et qui ne pourrait plus trouver de travail parce qu’elle a été condamnée. Mais dans le cas, et je pense que c’est plutôt çà l’inquiétude, de comportements particuliers vis-à-vis des mineurs, c’est-à-dire quelqu’un qui n’aurait pas été révoqué, mais qui aurait eu des attitudes inadaptées face à des élèves, etc., si jamais il devait être encore autorisé à travailler en présence d’élèves et qu’il arriverait dans notre académie, on a, nous, des tableaux de suivi de ces personnes là qui restent en observation académique.
 
Que pouvez-vous nous dire sur le cas de cet enseignant muté à La Réunion après s’être fait remarquer à Mayotte ?
 
Je ne vous parlerai pas d’un cas, car je n’ai pas le droit. Il faut se méfier des rumeurs. Si ce monsieur a fait ça, que ça été signalé et qu’il n’a pas été sanctionné, c’est peut-être qu’il ne l’a pas fait. Donc il faut quand même se méfier, car il faut aussi protéger nos enseignants face aux accusations fausses. Et c’est déjà arrivé.
 
Combien de cas de contentieux doit traiter l’académie chaque année ?

L’académie, sur une année scolaire, c’est environ une dizaine de procédures de discipline en moyenne. Ça peut aller de l’enseignant qui a un comportement bizarre, de deux enseignants qui se battent ou une attitude de fonctionnaire indigne. Il y a de tout, mais, globalement, il y a très rarement de fautes considérées comme graves.

 

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