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Musique créole d’hier à aujourd’hui : Du meilleur au pire !

Le mois dernier, on a parlé du Mémorial. Aujourd’hui, je vous livre mes impressions sur un domaine essentiel de notre culture, la création musicale. C’est assez long mais vous avez tout votre temps. Amitiés à tous, JULOT. Les mânes de Fourcade, Madoré, Pitou, Donat, Arlanda… doivent s’en retourner dans leurs tombes. Comment a-t-on pu passer, en deux décennies, de " Tite fleur aimée " à " Ma counisse ton nénène " ? De " Ti Angélo " à " Mi aime rougail tomate " ? Du meilleur au pire de la musique réunionnaise. A la recherche des causes d’une catastrophe culturelle de grande envergure.

Ecrit par Jules Bénard – le mardi 09 août 2016 à 10H09

Beaucoup de parents se lamentent à juste titre. Leurs rejetons désertent les cantines scolaires aux repas équilibrés, souvent savoureux, pour se retrouver à déguster d’insipides sandwiches américains chargés de faux jambon, de faux gruyère, de fausse mayonnaise et de vraie graisse. Le tout arrosé de milk shake ou de splash gras ou sucrés (ou les deux) ; autant dire des intraveineuses de cholestérol et sucres saturés. Effet de mode, effet de groupe ? Le rougail saucisse est battu d’avance par le  » bouchon gratiné « .

Il en va de même de notre musique. Le mauvais goût tient le haut du pavé. Les auditeurs et amateurs de concerts se trémoussent sur des chansons privilégiant le contretemps, la rime débile, la vulgarité et l’ineptie, au détriment de vraies compositions, car il y en a, fruits d’une recherche passionnée et tatillonne. La bonne musique ne se vend plus ; les aberrations font des cartons chez les disquaires et sur les ondes de radios démagogues vendant de la stupidité à la louche.

Un évident respect du public

Il n’y a pas si longtemps, on assistait encore à une compétition vers l’excellence entre des auteurs et des compositeurs qui tous, tenaient le haut du pavé. Que l’on prenne les enregistrements de Loulou Pitou, Luc Donat, Fred Espel, Vinh San, Jules Arlanda et tant d’autres, on n’y trouvera pas de déchet.

Ces artistes (on peut également citer Madoré, Fourcade, Tropina, Roselly, etc.) ne publiaient rien du jour au lendemain. Leurs musiques étaient le fruit d’un travail acharné, de recherches passionnées, le tout combiné à un évident respect du public. C’est ce que continuent de faire quelques rares artistes comme Max Lauret ou Dominique Barret.

Pour les autres, c’est la désolation à tous les étages. A force de n’entendre que ça, le public s’est pris de passion pour des airs qui n’ont de musique que le nom. Que l’on peut qualifier de  » musique hamburger «  : vite faite, vite avalée, vite régurgitée, vite oubliée.
Il en va du séga comme des succès et des pseudo-vedettes de la Star’Ac. Exception faite de Jénifer ou Nolwenn Leroy, qui peut encore citer les noms des six premiers gagnants ? A qui la faute ? A ceux qui composent, ceux qui diffusent, à ceux qui écoutent, refusant les comparaisons et allant vers le plus facile, le plus démagogique, le plus vulgaire.

 » Not’ colombe la coupe son z’aile don ? « 

Demandez à un artiste quel est son métier. La réponse fuse, invariable : « autèr compositèr interprète ». C’est son prix d’excellence, son titre de gloire, son Rubicon. Ca le fait b… !

Pas une seconde il n’imagine que tout le monde ne peut être Brassens, Aznavour, que chacun ne peut avoir tous les talents. Fourcade n’était que l’auteur de  » Tite fleur aimée « . Le compositeur était Fossy. Ils n’en ont cure. Se gargariser de tous les talents (imaginaires le plus souvent) les pose auprès du public.

L’exemple qui me vient immédiatement à l’esprit est celui d’un groupe portant le nom d’un quartier de Saint-Denis, dont le chanteur fonctionne aujourd’hui en solo. Je ne cite pas le nom par pure charité chrétienne. Voilà des gens qui s’entraînent longuement, qui produisent une musique de qualité, qui peaufinent leur jeu de scène. Mais qui s’acharnent à vouloir tout faire à la fois. Or, on peut être excellent musicien et piètre auteur. Max Lauret l’a bien compris, qui interprète le plus souvent les textes de son cousin Christian. C’est une preuve d’intelligence pour ce compositeur hors pair.

Le résultat, ce sont des choses navrantes que le public plébiscite pourtant. Je pense notamment à l’indicatif de Freedom. Quand elle ne passe pas, le public s’insurge. Cette chanson est bourrée jusqu’à la gueule de contretemps, de textes incompréhensibles, de fautes de français. Alors qu’il en existe de très bonnes versions, c’est la plus mauvaise qui a été choisie. Je précise que je suis un fidèle auditeur de cette station mais que  » qui aime bien… « , n’est-ce pas ?

Pour le reste, Freedom a une excellente programmation. Ce qui est loin d’être le cas de nombre de ses concurrentes. Il s’en faut de beaucoup.

 » Le fond d’un abîme de stupidité… « 

La pauvreté de la rime n’est qu’un épiphénomène. Le plus désolant, ce sont les répétitions.  » Mon tantine « , par exemple. Ou encore  » ma aime a ou toujours/ma pense a ou tous les jours/nous va fait l’amour « . J’en passe et des plus saumâtres.

Dans l’espoir fallacieux de frapper les imaginations, certains choisissent la voie de la vulgarité, de la grossièreté. Ce qui nous vaut des  » sorte dehors ma counisse ton momon «  et autres  » oute ti corps i excite a moin « . Mais ça, ce n’est encore rien auprès des tonneaux de conneries déversés par certains  » autèrs compositèrs interprètes « .

Ainsi, le pléonasme se pratique beaucoup. Sans doute ce goût de la redondance est-il dû à une volonté de frapper les esprits ?
 » Avec out’ consentement, si ou lé d’accord (ça veut dire la même chose), nous va fait l’amour « . Issu de l’imagination très pauvre d’un chanteur qui fait un tabac. Plus c’est mauvais…

Cela me rappelle Dog Bull disant à Kid Ordinn :  » Non seulement tu atteins le fond d’un abîme de stupidité, mais tu grattes avec les ongles pour descendre encore plus bas ! « 

D’autres, plus malins car ça peut rapporter gros, choisissent de badigeonner le public dans le sens du poil, de flatter son mauvais goût en faisant semblant de le valoriser. On met alors en avant le nombrilisme des Réunionnais, cet égocentrisme qui lui fait croire que le poisson rouge pays est meilleur que les autres.

Ce qui en résulte est cauchemardesque :  » La Rénion lé toujours là minm’… Mi aim’ rougail tomate… «  Des monstruosités musicales sur lesquelles, un public en extase se trémousse sur les gradins archi combles du Théâtre de Plein-Air ! Cherchez l’erreur.

 » Le public aime ça ! « 

Lors d’un concert à ce même théâtre, on a entendu un des compatriotes de l’amateur de rougail dire à ce dernier, avec un franc sourire :

 » Alors, ou aussi vini baise l’arzent bande rénionnais ? « 

Qu’ils prennent le fric n’est pas une faute : ils ont compris les défauts du système, qui permet de servir des sandwiches américains au lieu d’un rougail saucisses. Ils ont bien raison d’en profiter : si le public est ravi de se faire plumer, pourquoi se gêneraient-ils ?

La plupart des radios  » exotiques  » ont une programmation qui ne va pas dans le sens de la qualité et ne risque guère d’inciter le public à aimer les belles et bonnes choses. Car il y en a. Sous prétexte que  » le public aime ça « , on lui sert du caca à la louche.

On voit mal ce qui, en l’état actuel des choses, pourrait permettre d’inverser la tendance. Quand on constate les chiffres des ventes, il y a toutes les raisons de se lamenter. Le plus mauvais fait des cartons, les bonnes musiques ne se vendent pas. Exception faite de quelques excellences comme Pounia, Davy Sicard, les très grands musiciens se battent contre des moulins à vent. Opiniâtres, ils continuent de produire, mais nombre d’entre eux finissent par baisser les bras.

 » Après tout, disent certains, les Réunionnais n’ont que la musique qu’ils méritent ! « 

Je suis surpris de constater le nombre de  » fiestas mauriciennes  » organisées ici chaque année. Avec des artistes (?) qui n’ont qu’un lointain rapport avec les excellentes prestations d’Alain Permal, Serge Lebrasse et autres John Kenneth Nelson. Le problème n’est pas là : organise-t-on aussi souvent des  » fiestas réunionnaises  » à Maurice ? Réponse navrante : jamais !

Je suis de ceux qui disent que la musique mauricienne actuelle, que se plaisent à imiter les Séga’el et autres Missty, est aussi mauvaise que la musique réunionnaise d’aujourd’hui. Une musique popularisée par certaine radio très en vogue qui joue sur le mauvais goût en enregistrant ses propres artistes et en les diffusant 24h/24. Musique hamburger.

Jules Bénard
 

 

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