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Moralisation : l’interminable opération mains moites

La transparence dans le brouillard   L’affaire Ferrand qui empoisonne le nouveau président de la république quelques jours après son élection étaient un boomerang inévitable. Les équipes et les soutiens d’Emmanuel Macron dont Richard Ferrand était une pierre angulaire ont abondamment utilisé l’affaire Fillon quand ils ne l’ont pas organisée. Ce qu’il est légitime de […]

Ecrit par Régis De Castelnau – le vendredi 02 juin 2017 à 11H27

La transparence dans le brouillard

 
L’affaire Ferrand qui empoisonne le nouveau président de la république quelques jours après son élection étaient un boomerang inévitable. Les équipes et les soutiens d’Emmanuel Macron dont Richard Ferrand était une pierre angulaire ont abondamment utilisé l’affaire Fillon quand ils ne l’ont pas organisée. Ce qu’il est légitime de qualifier de « coup d’État judiciaire » avait pour but de fausser l’élection présidentielle en disqualifiant le candidat de droite républicaine. Quelle meilleure cible que celui qui portait la soi-disant exigence de probité du nouveau pouvoir. Et bien évidemment, ce qui permet de faire des gorges chaudes, c’est moins le fond du dossier de la mutuelle que la duplicité arrogante du secrétaire général d’En Marche. Comme pour Cahuzac, chargé dans le premier gouvernement Ayrault de la lutte contre la fraude fiscale…
D ’habitude, ce genre d’affaire produit dans la classe politique, gauche et droite confondues, un étonnant mélange de sidération, de panique, et de zèle presque enfantin. Vite vite, une loi, une nouvelle réglementation. Sauf que cette fois-ci, le candidat Macron ayant fait du renouvellement son cheval de bataille, et surfant sur le scandale Fillon, avait inscrit dans son programme une « loi de moralisation politique ». Et l’on peut dire qu’Emmanuel Macron a de ce point de vue commencé fort. Outre quelques girouettes sans principe venues du camp d’en face, il a fait rentrer au gouvernement des gens particulièrement vulnérables, et en particulier son Garde des Sceaux qui devait être le porteur de la fameuse nouvelle loi (!).
Il faut trouver des choses à dire, des choses à faire, mais aussi parce que la rupture avec ceux qu’on représente, avec les citoyens et les électeurs est génératrice d’une vraie souffrance. Comment restaurer la confiance ? Fébrilement, on se trompe de diagnostic, et par conséquent de remède. En fait, les Français se défient de leurs représentants politiques, moins parce qu’ils seraient malhonnêtes, que parce qu’ils sont médiocres et impuissants.
Comme d’habitude, il est probable qu’il ne se passera rien d’intéressant ni d’utile. Le problème n’est pas une histoire de mots ou de textes. Il ne sert à rien d’ajouter à un arsenal déjà largement suffisant. C’est simplement une question de volonté politique. Alors comment expliquer ce feuilleton des « affaires » qui dure maintenant depuis près de 25 ans ? Comment se fait-il que l’on assiste aux mêmes indignations, que l’on entende les mêmes discours, que l’on lise les mêmes articles qu’il y a 20 ans, 15 ans, 10 ans, 5 ans ?

 

Le poison des années fric
 
Les années 80, que l’on a aussi appelées « les années fric » virent l’explosion simultanée de deux phénomènes. Tout d’abord l’inflation des dépenses politiques liées à l’adoption des méthodes de la communication commerciale. La corruption de la décision publique ensuite. Les partis politiques existent depuis longtemps dans notre pays et sont reconnus par la Constitution comme contribuant à l’expression du suffrage universel. En application d’un principe de liberté, ils ne faisaient l’objet d’aucune organisation juridique. La question de leur financement était taboue. Et ils vivaient tous d’expédients. La fin des partis de masse avec l’effondrement des grandes idéologies et l’inflation des besoins ont amené une forme d’industrialisation des expédients. L’essentiel de la décision publique (marchés, autorisations administratives) faisait l’objet  de contreparties au profit des organisations politiques. Cela s’appelle la corruption.
La fin des années 80 a vu l’éclatement d’un certain nombre de scandales, montrant que ce système n’était plus « socialement acceptable ». Tout le monde a compris qu’il fallait passer, comme dans d’autres pays (Allemagne, Italie), au financement public des partis. Une loi essentielle fut adoptée en 1990 sous le gouvernement Rocard.
Le texte reposait sur trois principes : financement public en proportion du poids électoral, limitation drastique des dépenses de campagne, contrôle strict, assorti de sanctions, à la fois des campagnes électorales mais aussi de l’activité  financière des partis. Il s’agissait, je le répète, d’une véritable révolution copernicienne dans l’activité politique. Qui a eu des conséquences très positives, mais également des effets pervers. La loi et la réglementation ont évolué jusqu’à aujourd’hui, toujours dans le sens d’une plus grande rigueur, parfois d’ailleurs ridicule. La jurisprudence a pris le relais et on pourrait considérer que le système est aujourd’hui stabilisé. Malheureusement, les dernières élections présidentielles ont montré que le respect des textes était à géométrie variable et que le candidat Macron avait bénéficié outre, de la disqualification de son concurrent par la justice, d’une singulière mansuétude des organes de contrôle de la régularité du scrutin.

 

Le refus de tourner la page
 
Les années 80 avaient été incontestablement une période de folie, la corruption personnelle se nourrissant aussi de la corruption politique. Mais, qu’aurait-il fallu faire pour tourner la page? D’abord solder le passé. Ce qui aurait permis d’instaurer des mécanismes de contrôles efficaces. La peur du gendarme est une arme qui a ses avantages.
Il y avait trois solutions :
L’amnistie. Avoir le courage du coup d’éponge en choisissant la bonne date. Soit 1995, soit 2000, le temps que les systèmes soient démontés et les mauvaises habitudes abandonnées. Cette solution aurait eu, entre autres mérites, celui d’éviter mélanges et anachronismes. Des faits qui se sont déroulés il y a très longtemps sont comparés avec des affaires d’aujourd’hui comme le démontre la mise en examen d’un vieillard de 88 ans pour des faits non-encore établis qui se seraient déroulés il y a 22 ans. Cela aurait aussi facilité la mise en place des moyens de surveillance nécessaires sans s’en remettre uniquement à la machine judiciaire qui n’en a pas les moyens.
L’opération « mains propres ». Comme le fit l’Italie, et comme le préconisait  Jean-Luc Mélenchon, un coup de balai, une table rase. Mais attention, une vraie «Mani Pulite ». Disparition de tous les partis à l’exception du PCI à peu près indemne, mais au prix une lourde opération de chirurgie esthétique, dont il sortit valide, mais défiguré. L’opération provoquera la disparition prématurée du paysage de 80 % du personnel politique. Le résultat chez nos amis transalpins, ce fut Berlusconi, le transparent Romano Prodi pour finir par Beppe Grillo. De toute façon, c’est trop tard pour faire ce genre de choses ici.
L’opération « mains moites ». La pire des solutions. Qui a été adoptée dans les faits. La décimation. La vie politique dans notre pays est égayée par les affaires depuis 25 ans. De temps en temps, on se passe les nerfs sur les quelques malchanceux qui payent pour les autres. De Gaymard à Ferrand en passant par Woerth, Thévenoud et Fillon. Rappelons-nous aussi Noir, Mouillot, Dugoin qui, douloureusement surpris, se défendaient en disant : « Mais tout le monde fait pareil !» Depuis 1988 – début des hostilités – la proportion des élus touchés est faible. Il y a 450 000 élus locaux et nationaux dans notre pays. En près de 30 ans, sont les chiffres ? Détentions : peut-être une cinquantaine en comptant les provisoires. Mises en examen, disons 300. Jugements ou arrêts de condamnation définitifs : à ce jour moins de 100.  Et en général, ceux qui ont souhaité revenir en politique après ont été triomphalement réélus ! Une opération mains propres lente et molle.
 
Ceux qui ne veulent pas que ça change
 
Et tout ceci va continuer. Pour la bonne raison, que les principaux acteurs n’ont aucun intérêt à ce que ça change. Sinon, ils auraient agi depuis longtemps. Et qui sont ces acteurs ? Les trois sommets d’un triangle vaguement équilatéral : politiques, journalistes, magistrats.
Les politiques : pourquoi faire de la politique quand on peut déshonorer ses concurrents ? L’action politique, sans trop la caricaturer, se réduit aujourd’hui essentiellement à l’assouvissement d’une ambition personnelle, déconnectée de grands projets collectifs. Comment se distinguer de ses adversaires, sans clivages idéologiques et différences politiques ? Tout simplement, en jouant les chevaliers blancs et en essayant de les disqualifier moralement. Mais gardez-vous, chers petits Ivanhoé, gare au retour d’épée !
Les journalistes : La transparence dans le brouillard ? La crise de la presse d’information est une évidence. Elle a des conséquences économiques qui retentissent lourdement sur sa qualité. La popularité des éditorialistes est aussi faible dans l’opinion que celle des politiques. Alors que faire ? Deux choses : d’abord porter au pinacle les « journalistes d’investigation» en prétendant qu’ils sont une des pierres angulaires du contrôle démocratique. Lorsque l’on connaît un peu l’endogamie matricielle qui les lie à la sphère politique nationale, on rigole de bon cœur. Ensuite, profiter de ce qui constitue une niche économique. Quitte à accepter de se faire instrumentaliser par des intérêts qui n’ont rien à voir avec la recherche de la vérité. Aucune affaire politico-financière ne commence pour des raisons juridico-judiciaires. Dissimulé sous l’opacité de la transparence, il y a toujours un facteur extérieur, et souvent un imam caché : rivalités politiques, économiques, industrielles. Et une volonté d’instrumentaliser la justice pour des fins qui ne sont pas les siennes.
Les magistrats : inamovibles, puissants, et encensés par les médias, pourquoi changer ? Dans un pays où la tradition de régulation administrative a largement reculé au profit de la régulation juridique, intégration européenne oblige, la justice est confrontée à des responsabilités nouvelles. Prétendre qu’elle n’a pas aujourd’hui les moyens institutionnels de son indépendance est faux. Ne serait-ce que parce que les politiques en ont une peur bleue. La justice française n’est pas la pire, loin de là. Mais, incontestablement, elle souffre d’abord de son manque de moyens et  d’une difficulté d’adaptation à ses responsabilités nouvelles. Longtemps soumise au pouvoir politique, elle a fait de la recherche de son indépendance un objectif en soi. Or l’indépendance n’est qu’un moyen, celui qui peut garantir son impartialité. Cette impartialité est souvent maltraitée par la magistrature française, où la culture arbitrale est faible. Or, en droit, le juge est là pour appliquer la loi et arbitrer entre des intérêts contradictoires. Le hiatus, c’est qu’il se vit aussi comme garant de l’ordre public. Cela n’est pas déshonorant, mais ce n’est pas sa mission. Inutile de dresser la liste des juges justiciers, tout le monde la connaît. De Thierry Jean-Pierre à Serge Tournaire en passant par Éric Halphen et Eva Joly, combien de fois le respect des règles et l’impératif d’impartialité sont passés au second plan au profit d’objectifs purement politiques, d’ambitions personnelles, d’envie de succès éditoriaux, et de satisfactions d’amour-propre?
 
Changer le scénario ?
 

Et cela durera. Les scénaristes de cette triste comédie ne changeront rien. Ils n’y ont aucun intérêt. Jusqu’à la prochaine clameur. Le soap « Opération mains moites » a de beaux jours devant lui. Les acteurs changent, mais le scénario restera aussi définitivement répétitif que celui des Feux de l’amour.
En attendant, nous allons avoir trois nouvelles « grandes lois de moralisation politique » qui seront aussi inutiles que beaucoup des précédentes, et qui ne restaureront pas plus la confiance. Mais qui vont présenter cette fois-ci l’énorme défaut d’affaiblir les institutions démocratiques. À force d’avoir enfermé les fonctions politiques dans des carcans, on est arrivé au bout. Pour faire plus sévère encore pour les mutiler et les affaiblir, il faut savoir que l’on est arrivé à l’os. Et c’est pour cela qu’on nous annonce la mise en cause des principes : suffrage universel, séparation des pouvoirs, immunité parlementaire etc. etc.
Alors que faire ? Monsieur le Président de la République, si je peux me permettre, abandonnez cette idée des trois grandes lois (dont une révision de la Constitution) dont la rédaction et l’adoption ne vont vous attirer que des contrariétés. Faites réaliser une compilation des textes existants relatifs à la responsabilité personnelle des décideurs publics, ils sont bien suffisants. Et si vous voulez inaugurer une ère nouvelle marquée par l’exigence pour l’avenir de l’irréprochabilité, soldez le passé en utilisant une méthode que votre maître Paul Ricoeur lui-même conseillait : l’amnistie.
« Le philosophe se gardera de condamner les successives amnisties dont la République française en particulier fait grande consommation, mais il en soulignera le caractère simplement utilitaire, thérapeutique. Et il écoutera la voix de l’inoublieuse mémoire, exclue du champ du pouvoir par l’oublieuse mémoire liée à la Refondation prosaïque du politique. À ce prix, la mince cloison qui sépare l’amnistie de l’amnésie peut être préservée. » (1)
 
1.       Paul Ricoeur, La mémoire, l’Histoire, l’oubli, Paris, le seuil, 2000, page 651.
 

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