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Mme Desbassayns, pionnière de la révolution sucrière

A l’île Bourbon, la culture de la canne à sucre débute en même temps que la colonisation. Le sucre et l’alcool de canne sont extraits manuellement. Certains habitants, les pirates et les marins de passage savent où trouver l’arack ou le fangourin, ce fameux vin de canne. La fabrication du sucre se mécanise et devient inséparable de la vie des grandes « habitations ». Au début du XIXe siècle, la culture du café subit de grosses pertes à causes des cyclones successifs et des avalasses de 1806 et 1807, est progressivement remplacée par celle de la canne à sucre, plus résistante aux intempéries. Cette nouvelle culture demande une main-d’œuvre abondante qui est fournie par l’esclavage jusqu’à son abolition. L’économie de l’île tend vers la monoculture de canne à sucre.

Ecrit par Sabine Thirel – le samedi 13 juin 2009 à 09H04

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La maison de Villèle représente encore aujourd’hui, la vie dans une Habitation coloniale à l’époque de l’esclavage avec sa maison, ses dépendances, ses champs, son moulin à sucre et ses camps d’esclaves. En plus de l’architecture coloniale, l’implantation des dépendances et  de l’usine, ce lieu a connu comme maîtresse la célèbre Madame Desbassayns.
Ombline Gonneau-Montbrun, est la fille unique de Julien Gonneau-Montbrun et de Marie-Thérèse Léger des Sablons. Arrière petite fille de Françoise Chastelain, une des mères des Réunionnais, sa mère meurt en la mettant au monde le 3 juillet 1755 à Saint-Paul, elle hérite ainsi de la totalité du patrimoine familial. Riche héritière,  elle épouse à 15 ans (en 1770), Henri Paulin Panon, dit Desbassayns, de vingt-trois ans son aîné, ils auront neuf enfants. 
 

 

Propriétaire de 3 domaines à Saint-Paul,  Chaussée Royale, St-Gilles-les-Hauts, et  Bernica, M. Panon-Desbassayns est souvent en France et à Boston où ses enfants étudient. Le surnom de Desbassayns lui vient du fait qu’il hérite des terrains traversés par la Ravine Saint-Gilles qui comporte plusieurs bassins (Cormorans, Bleu, des Aigrettes…). Bien avant la Révolution Française de 1789, les domaines et leurs 400 esclaves sont sous l’autorité de son épouse qui applique le code Noir, adapté à l’île Bourbon en 1723, à la lettre. Sa personnalité est appréciée par ses pairs reconnaissant son sens des affaires et d’hôtesse de la bourgeoisie réunionnaise et des visiteurs de passage. D’ailleurs le gouverneur Milius qui a été un de ses hôtes, la nomme « la seconde providence ».

 

Travailleuse, volontaire et organisée, elle assure fermement la bonne marche des  Habitations. C’est ce qu’elle continuera à faire en 1800 après le décès de son époux, lorsqu’elle se retrouve seule à la tête de son empire agricole. En 1829, un navire à vapeur la Cornélie, construit aux Chantiers navals du Havre, s’ajoute à la fortune des Desbassayns.

En plus des voyages à l’île Maurice et à Madagascar, la Cornélie transporte des marchandises et des passagers entre Saint-Paul et Saint-Denis.

 

Afin d’augmenter la production, elle s’entoure des meilleurs techniciens sucriers comme  l’ingénieur Wetzell, ancien professeur au collège Royal de Saint-Denis. Ombline Desbassayns met l’usine de Saint-Gilles-Les-Hauts à  son entière disposition, pour ses expériences et les améliorations qu’il juge nécessaires. Son objectif est développer la mécanisation de la culture de la canne et de fabriquer un sucre de qualité dans les meilleures conditions, donc à moindre coût. Entre 1830 et 1840, pionniers eux aussi en la matière, les fils Desbassayns Joseph et Charles, comme Montrose Bellier et Ferdinand Pajot, testent dans leurs moulins à sucre de La Ravine des Chèvres, de la Rivière des Pluies et du Chaudron, les ingénieux procédés de leur invention et aussi ceux de Stanislas Gimart et de Martial Wetzell. A Bourbon, la révolution industrielle est en marche.

 

Considérée et respectée par les autres propriétaires terriens, elle ne l’est pas moins de ses esclaves. Aimée et crainte à la fois, elle ne les laisse pas indifférents. Fervente croyante, elle fait ériger la Chapelle Pointue pour sa famille et ses esclaves qu’elle espère soumettre. Mme Desbassayns sait largement récompenser les esclaves qui la servent avec dévouement mais elle sait aussi punir sévèrement ceux qui à son goût ne travaillent pas assez. C’est alors que le chabouc claque. Elle est réputée pour sa cruauté et son mépris malgré la construction du seul hôpital des esclaves de Bourbon.  Lorsque l’idée de l’abolition de l’esclavage s’élève de plus en plus dans l’opinion publique et localement grâce aux « Francs-Créoles » abolitionnistes, Mme Desbassayns en rejette le principe en créant la  » Société des chevaliers ou amis du bon ordre ».

 

Le 4 février 1846, soit 2 ans avant l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, Mme Ombline Desbassayns décède à l’âge de 91 ans. D’abord enterrée au cimetière marin de Saint-Paul auprès de son époux, elle repose maintenant dans la Chapelle Pointue sous une plaque de marbre fendue, touchée 2 fois par la  foudre.  Elle laisse une empreinte inéluctable dans la mémoire collective des habitants de l’île…
La production de sucre de canne continuera à augmenter, la main-d’œuvre esclave est remplacée par les
engagés, puis par bon nombre de leurs descendants jusqu’à la fin du XXe siècle.

Sources : Dictionnaire Biographique de la Réunion n°2, Editions CLIP,1995. L’Album de la Réunion, Antoine Roussin, 1860 à1869.Jean Barassin, La vie quotidienne des colons de l’île Bourbon à la fin du règne de Louis XIV , Saint Denis, 1989.Jean-François Géraud, Wetzell : une révolution sucrière oubliée à la Réunion, Revue historique des Mascareignes n° 1 p,113-156 AHOI/ Archives départementales de la Réunion 1998 . Sudel Fuma, Une colonie île à sucre-économie de La Réunion au XIXème siècle, La Réunion, Océan éditions,1989.

 

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