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Merci aux Samaritains

Lundi 28 Décembre 2020. 4h45. Des coups à la porte. Quelqu’un frappe. Qui est- ce ? Ma mère, déjà éveillée, se dirige vers l’entrée. Elle n’ouvre pas. Des coups, encore. Et si c’était urgent ? Elle n’ouvre pas, ne se signale pas. Le grand-père lui disait toujours : « n’ouvre jamais si tu ne sais […]

Ecrit par Thierry Laude – le mercredi 06 janvier 2021 à 08H33

Lundi 28 Décembre 2020. 4h45. Des coups à la porte. Quelqu’un frappe. Qui est- ce ? Ma mère, déjà éveillée, se dirige vers l’entrée. Elle n’ouvre pas. Des coups, encore. Et si c’était urgent ? Elle n’ouvre pas, ne se signale pas. Le grand-père lui disait toujours : « n’ouvre jamais si tu ne sais pas qui frappe, et n’allume pas la lumière ». Conseil d’un ancien qui ne sert souvent jamais, ou qui ne sert qu’une fois dans la vie, pour sauver la vie. « Ouvre, mi tue ! » C’est un cri, un hurlement. La mort est là. Le cauchemar commence. Il durera plusieurs dizaines de minutes. Les coups sont plus agressifs, l’homme veut forcer la poignée. « Ouvre, mi tue ! »

Dehors, derrière la porte, l’homme, absolument inconnu, hurle qu’il tuera tout le monde dans la maison, saccage la terrasse, brise tout ce qu’il peut briser. Il a un grand couteau qu’il utilise sur la porte, déterminé. Alors ma mère hurle. « Comme c’est mon dernier souffle, autant qu’il serve à hurler ». Des passants passent. Ma mère trouve la force d’appeler par téléphone l’infirmière, qui est déjà sur la route, pour les soins au beau- père, malade d’Alzheimer. Le pauvre homme ne peut plus ni parler ni se mouvoir. Sans défense pour lui-même, sans défense pour sa femme. Elle continue à hurler, appelle à l’aide. Les cris de la victime répondent aux cris du furieux. Le voisin accourt, voit l’agresseur, croise un regard qui dit la détermination. L’homme a en effet un grand couteau. Ils se toisent, à distance. Le furieux est déterminé.

Pendant ce temps, l’infirmière a eu la présence d’esprit d’appeler les gendarmes. Ils arriveront à temps pour interpeller l’homme qui surveillait non loin le moment de revenir. Sur la porte qu’il n’a pas réussi à forcer il a laissé une inscription macabre avec son couteau, qu’il vaut mieux laisser le soin à la justice et à la médecine d’interpréter. L’affaire leur appartient désormais.

Ma mère vit toujours sous le coup de ce traumatisme. Elle vit dans l’angoisse, la maison demeure fermée. Elle a peur du moindre bruit, et même d’un trop grand silence. Le médecin lui conseille d’aller à l’hôpital, mais elle doit s’occuper de son mari malade. Cependant elle tient a ce que des remerciements sincères soient adressés à tous ceux qui l’ont assisté et l’assistent encore dans l’épreuve. René Char dans son poème « Qu’il vive ! » écrit ces mots simples : « Dans mon pays, on remercie ». Oui, il faut remercier. Il faut remercier ceux que nous pouvons appeler les « Samaritains » selon la description qui en est faite dans le beau récit biblique. Le Samaritain est un homme dont on ignore le nom (on ne connaît que sa région, la Samarie) et qui porte assistance de façon désintéressée à un pauvre inconnu agressé et laissé nu, pour mort, sur un chemin. Il le recueille, le soigne, lui donne même de quoi rentrer chez lui, se privant pour un étranger. Oui, il faut remercier les Samaritains.

Il faut remercier le voisin qui, armé de son courage, a su accourir quand les passants passaient pour faire face seul au danger. Il a entravé le malheur qui s’écrivait. Il faut remercier l’infirmière qui a su appeler les gendarmes et arriver au plus vite pour porter assistance à ma mère, pour lui apporter soin, amour et présence. Il faut remercier tous les proches, de sang et de coeur, qui ont su apporter le plus grand des remèdes au mal et à l’angoisse : l’amour. Il faut remercier le docteur, qui a su comme toujours trouver les mots et le temps pour amoindrir le mal du traumatisme. Il faut remercier les pharmaciens pour leur écoute, leur aide, leur prévenance.

Il faut remercier le Maire de Bras-Panon, M. Jeannick Atchapa, qui, dans la matinée même, sitôt informé, a rendu visite à ma mère, a su ensuite l’appeler régulièrement, la joindre à chaque fois pour la rassurer, l’assurer de son soutien, et pour mobiliser les moyens en sa possession pour que l’affaire soit prise avec le plus grand sérieux afin de mettre à l’abri une citoyenne de sa ville. Il faut remercier aussi les autorités judiciaires qui ont agi avec la plus grande célérité et pris la mesure d’une affaire qui aurait pu mener au pire.

Il faut remercier les forces de l’ordre, enfin, les gendarmes de garde de Sainte-Marie, les gendarmes de Bras-Panon, la police municipale de Bras-Panon. Il peut paraître étrange à certains de voir dans les gendarmes et les policiers des Samaritains. Paul Ricoeur dans Histoire et vérité, analysant la situation de la France au lendemain de la guerre, compare l’employé des postes, le facteur, précisément à un Samaritain. Un Samaritain de notre temps. Celui qui accomplit une mission de service sans distinction des citoyens est en effet analogue à ce Samaritain. Il faut remercier les gendarmes et les policiers, qui sont des Samaritains. C’est devenu une détestable coutume aujourd’hui de les blâmer, voire de les insulter, avec des formules honteuses et stupides telles que : « tout le monde déteste la police », ou encore l’horrible formule « ACAB » (« All cops are bastards ») doublement stupide, car elle fait passer une stupidité d’un autre pays pour un effet de mode dans le nôtre. Les gendarmes et les policiers sont des fils et des filles, des pères et des mères, des êtres dont la mission est d’être un rempart pour les humains face aux inhumains.

Que ceux qui hurlent les slogans haineux se le disent : lorsque leur enfant, leur parent, aura face à eux un furieux avec un couteau, il sera heureux de savoir qu’un policier ou un gendarme sera assez fou ou assez héroïque pour se mettre en travers, affronter le danger pour sauver une autre vie que la sienne. C’est l’un des gestes les plus nobles que de risquer sa vie pour un autre, de risquer de faire de ses propres enfants des orphelins pour que les enfants d’un autre aient toujours des parents, de risquer de faire de ses propres parents des éplorés pour que d’autres parents n’aient pas à pleurer leurs enfants. Personne, absolument personne, pourvu qu’il y pense, pourvu qu’il ait un coeur, pourvu qu’il soit humain, ne saurait détester ceux, hommes ou femmes (car le courage n’a pas de sexe) qui sont capables de donner leur vie pour qu’un autre vive, comme le Colonel Beltrame, qui a troqué sa vie contre celle d’une otage, comme les trois gendarmes récemment tués pour être venus à l’aide d’une femme menacée.

Oui, il faut remercier les policiers et les gendarmes, qui sont des Samaritains. Merci aux gendarmes de Sainte-Marie, de garde à ce moment, qui sont intervenus rapidement pour interpeller l’individu. Merci aux gendarmes de Bras-Panon, qui sont venus sur les lieux, ont prolongé l’enquête. Merci aussi à la police municipale pour ses visites, son soutien, sa vigilance et ses rondes. Merci à tous pour avoir su intervenir et ensuite trouver les mots, faire preuve d’humanité, prendre le temps de rassurer une dame traumatisée et terrifiée.
Que se serait-il passé ce jour-là si les choses avaient été différentes ? Si la porte avait cédé, si elle avait été ouverte ? Il vaut mieux ne pas y penser.

Une femme d’un certain âge, avec une prothèse de hanche, qui se dévoue pour soigner jour et nuit son mari malade, aurait fait face à la mort. Ricoeur a encore une très belle formule pour décrire la lutte entre le bien et le mal. Que cette formule soit vraie, fausse, peu importe ; elle est sublime. « Là où le mal abonde, la grâce surabonde ». Ce jour-là, qui aurait pu être maudit, il y avait peut-être un peu de grâce derrière cette porte. Une étoile était là, peut-être. Une étoile et des Samaritains. Remercions l’étoile, remercions les Samaritains.

Nous vivons une époque terrible où, par-dessus tout, la première chose qui nous manque c’est l’espoir. L’espoir est le premier vaccin dont nous avons besoin. C’est l’espoir qui nous fait nous lever le matin en oubliant hier, c’est avec espoir dans le lendemain que nous nous couchons le soir. Sans espoir, l’avenir est analogue au mauvais passé, et le présent est piégé dans ce cercle. Mais il reste un espoir. À bien y penser, il n’y a guère qu’une chose qui donne de l’espoir : c’est l’humain lui-même. C’est le même humain qui nous fait désespérer qui est aussi celui qui peut refonder l’espoir. Au risque de produire les plus étranges vœux, formons le vœu que l’année qui vient soit celle de l’avènement des Samaritains. Ce sont des Samaritains qui soignent, ce sont des Samaritains qui secourent, ce sont des Samaritains qui enseignent, Ce sont des Samaritains qui nourrissent, qui écoutent, qui distribuent le courrier, qui nettoient nos rues. 2020 a survécu grâce aux Samaritains. Il faut souhaiter à tous, ici, ailleurs, d’avoir dans sa vie des Samaritains, d’être des Samaritains. Alors l’humain sera sauvé, alors le monde sera sauvé. Voici l’espoir.

Quand à l’agresseur, il n’y a rien à lui dire, seulement espérer encore ceci. L’homme est un animal qui sort du néant à la naissance pour entrer dans le néant à la mort. Entre ces deux néants il y a un voyage qu’on appelle la vie. Ce voyage peut être beau et en valoir la peine, si on consacre sa vie au Bien. Ce voyage peut aussi être vain, si on se consacre au Mal, qui est encore un néant. Sortir du néant pour vivre dans le néant avant de plonger dans le néant n’a aucun sens. Je garde un espoir. Si au fond du Bien il y a toujours la tentation du Mal, au fond du Mal il y a toujours la tentation du Bien. Ce sont les Samaritains qui se laissent tenter par le Bien et donnent à ce petit espace de temps entre le néant quitté et le néant rejoint le sens de toute une vie. Se laisser tenter par le Bien, c’est la seule digne façon de vivre.

Merci aux Samaritains.

 

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