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Mayotte : l’enquête du juge Karki contre deux gendarmes « reposait sur du sable »

Les deux gendarmes du GIR de Mayotte suspectés de trafic de stupéfiants ont été relaxés mercredi dernier au terme d’un chapitre judiciaire extrêmement long qui s'est détricoté au fil des années. L’épilogue "fait honneur à la justice", évoque Me Jean-Jacques Morel, avocat d’un sous-officier mis en cause.

Ecrit par zinfos974 – le lundi 06 septembre 2021 à 06H26

« Un dossier qui fait pshitt ». La célèbre formule employée par Me Francis Szpiner, ancien avocat de Jacques Chirac, a trouvé sens mercredi dernier dans le tribunal judiciaire de Mamoudzou. Aux côtés de Me Jean-Jacques Morel, il venait de faire relaxer leurs clients : deux gendarmes accusés de trafic de stupéfiants. 

A la barre du tribunal judiciaire de Mamoudzou, le capitaine Gérard Gautier, ancien chef du Groupement d’intervention régional de Mayotte (GIR), défendu par Me Szpiner, et le gendarme maritime Christophe Le Mignant défendu par l’avocat réunionnais Jean-Jacques Morel. 

Voilà dix longues années qu’ils attendaient que leur honneur soit rétabli. Et contre toute attente, ce mercredi au cours de huit heures d’audience, les avocats des militaires ont vu le vice-procureur aller dans leur sens : celui de la relaxe. 

Les deux gendarmes risquaient gros, jusqu’à 10 ans de prison pour le volet trafic de stup’.
 
Le capitaine Gautier, chef du GIR au moment des faits, et le gendarme maritime Le Mignant avaient été mis en examen pour deux délits : l’aide à l’entrée illégale sur le territoire français de clandestins puis détention et importation de « bangué », le nom donné au cannabis à Mayotte. 

C’est en février 2011 que l’affaire prend forme. Les gendarmes interceptent deux kwassa kwassa avec à leur bord un passeur, un dealer, des clandestins, et 22 kilos de bangué. Mais quelques mois plus tard, le réseau de filière clandestine accuse l’officier et le sous-officier de gendarmerie d’avoir provoqué la saisie des 22 kg de bangué en contrepartie de la promesse d’obtention de titres de séjour.

L’affaire ADI, reprenant les initiales du passeur, est alors enclenchée et trouve une caisse de résonance immédiate au sein de la population puisqu’elle s’inscrit dans la continuité des doutes sur les méthodes employées par le Groupe d’intervention régional.

C’est un certain Hakim Karki qui est nommé juge d’instruction dans cette affaire. « il va déclencher l’arme atomique contre le GIR, mener une enquête à charge », retrace Me Jean-Jacques Morel.

« Une affaire qui reposait sur du sable »

C’est d’ailleurs les deux autres juges d’instruction qui ont succédé au juge Karki qui vont commencer à détricoter l’enquête à charge. lls abandonneront l’infraction numéro 1 : celle de l’aide à l’entrée illégale sur le territoire. Le parquet ne retiendra que l’infraction n°2, celle de la détention et d’importation de bangué dans les kwassa kwassa de février 2011.

Pour la défense des gendarmes, Mes Szpiner et Morel ont axé leur travail sur une conclusion en nullité de l’affaire, sans savoir que le parquet allait changer son fusil d’épaule à l’audience. Les deux avocats ont ainsi convoqué la Convention européenne des droits de l’homme qui, en son article 6, consacre le « délai raisonnable » pour juger une affaire. Avec dix ans de procédure au compteur, l’affaire ADI entrait clairement en violation de ce principe. 

La deuxième riposte était de faire valoir le caractère inéquitable du procès, du fait de l’enquête du juge Hakim Karki. Une enquête qui, « au lieu d’être objective, était menée avec le préjugé que les gendarmes étaient coupables, coupables de tout ! » , s’en désole Me Morel.

« J’ai plaidé que cette affaire reposait sur du sable. On voyait bien dans ce dossier qu’il n’y avait pas de preuves. On a compris que le juge Karki instrumentalisait la justice. Me Francis Szpiner a quant à lui dénoncé le scandale en disant que, dans ce dossier, il n’y avait pas de charges et a conclu que l’affaire avait fait pshitt, pour reprendre la célèbre formule de Jacques Chirac. »

Quelques heures après l’audience qui a vu la relaxe des deux gendarmes, Me Jean-Jacques Morel a tenu à saluer le travail du vice-procureur Bruno Amouret qui. « Avec beaucoup d’ouverture d’esprit », il a affirmé que dans cette affaire il « ne voyait pas la preuve de la culpabilité de ces militaires ». Une lecture « motivée » par le fait que, « non seulement il n’y a pas d’élément matériel et que d’autre part, ils n’ont fait que leur travail », a soutenu Me Morel. Au cours de l’audience, il a ainsi rappelé que les passeurs en kwassa kwassa étaient venus avec 22 kg de bangué, ce qui avait mis les gendarmes devant le fait accompli. 

« L’enquête complètement à charge du juge Karki »

« On a remercié l’intégrité intellectuelle du procureur car ce n’est pas tous les jours qu’un magistrat reconnaît que la justice a été trompée », ajoute Me Morel. « Et j’ai dit : « vaut mieux tard que jamais ». Il n’y a rien de déshonorant de confirmer que deux gars sont innocents », exprime-t-il en repensant à « l’enquête complètement à charge du juge Karki » qui voulait placer les gendarmes en détention provisoire après leur mise en examen. Au final, le juge des libertés les avait simplement placés sous contrôle judiciaire. 

Ce « jugement exemplaire », qui n’a demandé que 45 minutes de délibéré, « honore la justice », selon Me Morel. Ce dossier atypique à l’issue favorable pour son client l’amène à deux commentaires. 

« Il faut souligner toute la difficulté pour les services d’enquête qui doivent manœuvrer jusqu’à la limite. Bien sûr, le code de procédure pénale est là mais parfois il faut prendre des risques avec des indicateurs, avec des coups d’achat réglementés, avec des opérations complexes et parfois dangereuses. Surtout que dans ce dossier le procureur a toujours été informé. Si on veut des résultats, il faut accepter de laisser travailler les services sous le contrôle du procureur, et c’était le cas », rappelle la robe noire.

Enfin, « ce qui est spectaculaire dans ce dossier, c’est qu’on a dix ans de procédure ! Et qu’en une heure de plaidoirie environ, le procureur et la défense ont pu convaincre le tribunal, et la justice a été rendue à la vitesse du vent puisqu’il n’y a eu que 45 minutes de délibéré. On a un jugement de relaxe qui honore l’institution judiciaire. »

Ce jugement de ce 1er septembre 2021 vient en tout cas clore un chapitre très préjudiciable pour les deux accusés. « Moralement, ils ont été plombés pendant dix ans, avec des difficultés familiales,  personnelles, et pour tous les deux des périodes de dépression grave. Il faut les comprendre : ils traquaient le trafiquant de drogue, le clandestin et le voleur et ils se sont retrouvés de l’autre côté de la barrière du jour au lendemain… », retrace Me Morel.  

Si l’officier Gautier avait pris sa retraite quelques mois après les faits, son co-accusé a poursuivi sa carrière à Tahiti et maintenant en Bretagne.

 

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