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Mayotte: Les policiers regrettent que la lutte contre l’immigration se fasse au détriment de la sécurité

Depuis quelques mois, les émeutes et agressions violentes par des bandes organisées se multiplient dans l’île aux parfums. Pour la première fois, un syndicat de police s’exprime sur la situation.

Ecrit par zinfos974 – le samedi 07 mars 2020 à 16H19

Dimanche 23 février, lors d’une banale patrouille, la police tombe sur une violente agression. L’intervention coûtera la vie à l’agresseur,  provoquant par la suite des émeutes dans le quartier. Des émeutes qui se généralisent de plus en plus dans le 101e département. 

Aldric Jamey, délégué départemental d’Alternative Police Mayotte et Abdel Sakhi, délégué départemental adjoint du même syndicat, ont accepté de répondre aux questions de Zinfos974.

 

 

 

Comment sont les contacts entre la Police et la population? 

La population de Mayotte est chaleureuse et accueillante, elle soutient ses forces de l’ordre. Entre problématique sociale et violences, elle a beaucoup de soucis, mais malgré cela, nous travaillons main dans la main. La population mahoraise est en grande majorité coopérante et attentive aux forces de l’ordre. 

Que s’est-il exactement passé à Kaweni?

Une patrouille de la BAC est tombée sur un homme inconscient au sol, en train de se faire taper sur la tête par un individu armé d’une matraque télescopique. C’est un « cas-école ». Notre collègue n’a eu d’autre choix que d’intervenir dans un délai très court afin d’empêcher l’agresseur d’attenter à la vie de l’individu au sol . Malgré les injonctions, l’agresseur a continué de frapper sa victime. Le collègue a donc pris la décision de neutraliser l’agresseur en faisant usage de son arme de service. 

Quelles seront les conséquences pour votre collègue? 

Le collègue a été placé en garde à vue. Le placement en GAV n’est pas une sanction, mais une procédure basique dans le cadre de l’enquête. Les témoins et lui ont été interrogés par les gendarmes, afin de récolter le maximum d’informations à transmettre à la justice et déterminer la légitimité de l’intervention. 

Ici, nous sommes dans le cas de la légitime défense d’autrui (art.122-5 du Code pénal). L’enquête déterminera si c’est le cas ou non. Le collègue a été placé sous le statut de témoin assisté. Le fait qu’il aurait pu être placé en détention nous aurait lourdement choqués. Mais nous faisons confiance à la justice, car les preuves et témoignages actuels montrent qu’il a été très professionnel. D’ailleurs, il est à souligner que c’est un homme très expérimenté, qui travaillait en métropole à la BAC de Seine-St-Denis. 

Ce genre d’émeutes sont-elles fréquentes à Mayotte? 

Les pillages que nous avons vus le soir des faits sont une première à Mayotte. Mais cette histoire n’est qu’un prétexte de la part de bandes de jeunes désoeuvrés. Il est fréquent sur Mayotte d’observer des bandes s’affronter ou bloquer les routes, comme dernièrement à Majicavo. En fait, c’est quasiment quotidien au moment des ramassages scolaires. 

Alternative police 976 dénonce depuis plus de 8 mois une augmentation des faits de blocages et de violences envers les citoyens et policiers. Nous étions intervenus auprès de notre hiérarchie et dans les médias pour réclamer des opérations SLIC comme en métropole. Pour faire simple, ce sont des opérations de riposte aux bandes qui agressent. 

Malgré les chiffres annoncés, Alternative Police dénonce une réelle augmentation des chiffres de la délinquance en 2019, pour atteindre en novembre un chiffre inquiétant de 60% d’augmentation.

Les interventions à Mayotte nécessitent-elles une approche différente de la métropole? 

Les interventions sur Mayotte ne sont pas totalement différentes de la métropole. Mais une grande misère sociale est palpable, ce qui engendre une délinquance totalement différente. On constate qu’une très grosse partie de la délinquance est commise par des jeunes désoeuvrés, pauvres et sans famille. 

Quelles sont les plus grandes difficultés pour les forces de l’ordre dans l’île ? 

Les difficultés sont les mêmes qu’en métropole : le manque de formation, l’état de l’armement et des munitions, les horaires, la fatigue et le gros manque d’effectif, notamment le soir et les week-ends. De plus, le parc automobile est fragile et pas adapté aux conditions mahoraises (forte chaleur, humidité, poussière).

Autres difficultés, le manque de réaction de nos dirigeants face à la délinquance. Ils privilégient les missions LIC (Lutte contre l’Immigration Clandestine) au reste. En 2019, nous sommes plusieurs fois montés au créneau pour dénoncer les agressions et menaces de mort sur les collègues, ainsi que l’augmentation de la délinquance. Nous exigions des réponses rapides et fermes via les SLIC, mais à l’heure actuelle, rien n’est encore proposé par nos dirigeants.

En 2019, nous avons atteint le chiffre record de 35 000 expulsions hors du territoire. Mais dans le même temps, les chiffres de la délinquance augmentent. Il est même demandé à des effectifs du commissariat d’aider à gonfler ces chiffres en participant à la LIC. La CDI (compagnie départementale d’intervention ), qui est normalement basée sur le maintien d’ordre et les violences urbaines, en fait les frais. 

La lutte contre l’immigration clandestine est une mission de la Police aux frontières (PAF). Le temps pris à la CDI pour cela pourrait être utilisé à les former aux violences urbaines, aux techniques d’intervention, mais aussi à patrouiller plus souvent dans les quartiers difficiles. Nous dénoncions encore cela en 2019. 

Enfin, la justice est plutôt laxiste en général. Les collègues se plaignent de souvent revoir les interpellés déjà dehors une heure après. Ce sont des individus souvent mineurs et systématiquement provocateurs. Ils savent qu’ils seront vite relâchés, parfois même avant que le collègue ait le temps de finir sa procédure.

Y a-t-il assez de moyens pour assurer votre rôle?

Les moyens sont là, mais pas suffisants. Notre directeur est à l’écoute, il fait pas mal de choses pour le confort des fonctionnaires, mais il manque de la communication entre les différents partenaires syndicaux et hiérarchiques pour traiter de ces problèmes. Il doit y avoir aussi une volonté politique et judiciaire afin de faire bouger les choses à Mayotte, Alternative police a proposé plusieurs idées et le fera encore. Mais jusqu’à présent nous ne sommes pas écoutés.

 

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