Revenir à la rubrique : Courrier des lecteurs

Mayotte : Le traitement politique de la crise

Mayotte, ces cinq dernières semaines, a retenu l’attention des médias nationaux et internationaux. L’insécurité dans l’île a soulevé le mécontentement de la population et provoqué un déplacement de plusieurs jours, de la Ministre des Outre-Mer. Ce qui retient mon attention dans le présent article, c’est la façon dont le problème est traité politiquement. Je prie […]

Ecrit par Paul Hoarau – le lundi 19 mars 2018 à 14H06

Mayotte, ces cinq dernières semaines, a retenu l’attention des médias nationaux et internationaux.

L’insécurité dans l’île a soulevé le mécontentement de la population et provoqué un déplacement de plusieurs jours, de la Ministre des Outre-Mer. Ce qui retient mon attention dans le présent article, c’est la façon dont le problème est traité politiquement. Je prie les lecteurs d’excuser le dépassement exceptionnel d’une demi-page, de l’article d’aujourd’hui. Je n’ai pas pu contenir le sujet dans les deux pages habituelles.

L’insécurité à Mayotte est un problème. 10 000 crimes et délits ont été recensés pour l’année 2015. La population pointe du doigt les immigrés comoriens illégaux. Sans papiers, les jeunes venus des Comores ne peuvent pas fréquenter l’école. Ils traînent et le reste suit. Une partie de la jeunesse mahoraise au chômage, traîne oisive et violente elle aussi.

Dans son roman « TROPIQUE DE LA VIOLENCE », Nathacha Appanah, une romancière d’origine mauricienne vivant en France, a très bien raconté cette « plongée dans l’enfer d’une jeunesse livrée à elle-même sur l’île française de Mayotte ».

De La Réunion, mon impression est que les Mahorais ne comptent que sur l’action de l’État. Sous la pression de la crise, des maires, des conseillers départementaux se sont réunis, pour rédiger « une plateforme revendicative » avec des représentants du monde associatif, la démarche est informelle politiquement.
Comme à La Réunion, les politiques, dans le désordre – tantôt un parlementaire, tantôt un maire, tantôt un président de collectivité – donnent leur avis ou avancent des propositions devant les micros et les caméras.

Mais qui, localement, est politiquement responsable ?  Quelle instance locale est le partenaire de l’Etat pour le traitement de la sécurité à Mayotte, par exemple ?  Quel projet global à négocier avec le Gouvernement, présente la région-département de Mayotte pour assurer la sécurité dans l’île ?

L’État, de son côté, joue le même jeu. Apparemment, formellement, officiellement, institutionnellement, il n’a rien demandé à l’assemblée départementale et régionale.

Le Gouvernement se déplace, vient, voit et… gagne ou perd. Il n’y a pas de lieu où, en partenaires, ouvertement, clairement, gouvernement et autorité politique locale qualifiée sont autour d’une même table pour voir ensemble la marche à suivre, les décisions à prendre. Dans le camp français, c’est à deux – Paris et Mamoudzou, pas seulement Paris – que l’on doit sortir de ce genre de crise.

S’il n’y a pas d’autorité politique locale responsable clairement désignée pour le dire, nous savons, à travers les informations que nous rapportent les médias, quelles sont les revendications mahoraises concernant la sécurité des biens et des personnes. Ils veulent que l’Etat « renforce les forces de l’ordre » sur le territoire et consacre plus de moyens maritimes pour brider l’immigration comorienne clandestine.

Les Mahorais savent mieux que moi les tenants et les aboutissants des difficultés qu’ils traversent et il leur revient d’assumer leurs responsabilités. Mais il m’est permis, à partir des éléments que je possède, d’une certaine expérience personnelle et du point de vue où je me trouve, de formuler quelques remarques. Je me le permets d’autant plus, que les événements de Mayotte pourraient comporter des leçons pour nous autres Réunionnais. Mes remarques peuvent se classer en trois grandes orientations.

1. En arrière-fond de tout ce qui se passe à Mayotte, il y a ce contentieux avec les Comores. Les Mahorais voudraient que les Comores reconnaissent l’appartenance française de Mayotte.

J’entendais un parlementaire déclarer à la télévision, qu’il faudrait que l’ONU reconnaisse une fois pour toutes, le fait français de Mayotte. Il se trouve que les Comores et la majorité de la communauté internationale (l’ONU) ne sont pas prêtes à cette reconnaissance. La sagesse commanderait que les parties prennent acte (prendre acte ne veut pas dire reconnaître) de cette situation et se donnent du temps pour parler, proposer, négocier une sortie de crise. C’est une démarche qui risque d’être longue. L’Histoire ne manque pas d’exemples de contentieux de ce type qui ont mis du temps à se régler pacifiquement.

2. Il faudrait, en effet, que l’affaire se règle pacifiquement. Un climat de guerre ne pourra que cumuler une haine qui grandira au fil du temps. Et cette haine est propice à la violence dans les pays concernés. L’amélioration du niveau de vie matériel de Mayotte, ne devrait pas se traduire par une volonté de plonger les Comores dans une misère plus grande.

Au lieu de dépenser de l’argent pour augmenter les forces de l’ordre sur les îles et les forces maritimes autour, il serait plus judicieux de consacrer cet argent à punir sérieusement les délinquants ; à démanteler le système mafieux et juteux des kwassa kwassa ; à prendre en charge les immigrés à Mayotte même, aux Comores ou ailleurs : scolarité, formation, insertion ; à développer les équipements publics des Comores.

3. L’Indianocéanie pourrait offrir une issue. Vouloir brider les mouvements migratoires n’est pas la bonne solution. A terme, la circulation des personnes, des biens et des capitaux, en indianocéanie devrait être libre. Dans l’immédiat, les règles devraient être assouplies. Cela aurait pour première conséquence, de casser le système mafieux des kwassa kwassa, non indianocéanien de surcroît.

Les Mahorais, Malgaches, Mauriciens, Réunionnais et Seychellois devraient pouvoir investir n’importe où en Indianocéanie et donc à Mayotte et dans les autres îles comoriennes, et, vice versa, les Mahorais et les autres Comoriens devraient pouvoir investir dans les autres îles indianocéaniennes. L’important serait que chaque Etat conserve la maîtrise de l’organisation de cette ouverture, chez soi. Cette clause et les modalités de son application, seraient, bien entendu, contenues dans les accords. Ce qu’il faut voir, c’est l’élan que cette politique d’ouverture pourrait donner au développement de toutes nos îles et de leurs peuples.

La mise en œuvre de ces trois orientations, suppose, dans un premier temps que l’État français, les responsables politiques mahorais qualifiés et l’État comorien se mettent autour d’une table, pour d’abord prendre acte des désaccords sur le fait français de Mayotte ; et pour mettre en œuvre, en attendant une sortie de crise à ce sujet, une politique commune de développement réel et important de toutes les îles comoriennes. Dans un deuxième temps, la mise en œuvre des trois orientations évoquées devrait réunir les pays de la Commission de l’Océan indien pour un développement communautaire intégré de toutes les îles, dont Mayotte et les Comores.
Le problème de l’insécurité à Mayotte, comme on le voit, ne peut pas être réglé uniquement par l’État français et seulement par des mesures techniques de répression.

Paul HOARAU

 

Thèmes :
Message fin article

Avez-vous aimé cet article ?

Partagez-le sans tarder sur les réseaux sociaux, abonnez-vous à notre Newsletter,
et restez à l'affût de nos dernières actualités en nous suivant sur Google Actualités.

Pour accéder à nos articles en continu, voici notre flux RSS : https://www.zinfos974.com/feed
Une meilleure expérience de lecture !
nous suggérons l'utilisation de Feedly.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Dans la même rubrique