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Madagascar Résistance : Se préparer à l’après crise

Madagascar Résistance Lettre numéro 62 – mai 2011 Se préparer à l’après crise (suite) : la recherche d’un contre-pouvoir Ainsi que nous l’avions écrit à plusieurs reprises, tôt ou tard, cette parenthèse tragique dans l’histoire malgache que constitue l’existence du pouvoir illégal se fermera. C’est pourquoi il est nous apparaît important, en dépit des circonstances […]

Ecrit par Les inconditionnels de Madagascar – le vendredi 20 mai 2011 à 12H01

Madagascar Résistance
Lettre numéro 62 – mai 2011

Se préparer à l’après crise (suite) : la recherche d’un contre-pouvoir
Ainsi que nous l’avions écrit à plusieurs reprises, tôt ou tard, cette parenthèse tragique dans l’histoire malgache que constitue l’existence du pouvoir illégal se fermera. C’est pourquoi il est nous apparaît important, en dépit des circonstances actuelles, de préparer dès à présent la phase de reconstruction à venir, en vue d’un pays plus démocratique et plus prospère.
Il ne peut y avoir de démocratie sans contre-pouvoir.
Cette affirmation relève de l’évidence, tant les détenteurs du pouvoir, sur tous les continents et à travers les siècles, ont tous fait montre d’une fâcheuse tendance à élargir leurs domaines de contrôle et à prolonger leur mandat initial.
Les pays de tradition démocratique sont dotés de plusieurs contre-pouvoirs dont la puissance est en mesure de limiter les dérives des tenants du pouvoir, à défaut de les empêcher totalement. Le parlement, représentant institutionnel des citoyens, constitue le premier contre-pouvoir face au pouvoir exécutif. Dans ces pays de libre expression, les journalistes constituent un autre contre-pouvoir en contribuant fortement au façonnage de l’opinion publique, et donc du vote des électeurs, par les informations qu’ils diffusent. Un troisième contre-pouvoir est constitué dans ces pays démocratiques par la société civile regroupant les associations et organismes non gouvernementaux ainsi que les syndicats.
L’une des raisons de la fragilité des avancées de la démocratie à Madagascar est l’absence de contre-pouvoirs effectifs.

Premier contre-pouvoir : Le Parlement
 
Depuis le retour de l’indépendance en 1960 et jusqu’au coup d’Etat de 2009, l’assemblée nationale malgache n’a jamais joué le rôle qui lui a été assigné par les différentes constitutions qui se sont succédées : celui de contrôler, et le cas échéant, de sanctionner l’action gouvernementale. Et cela parce que les députés, dans leur immense majorité, ont toujours été sans légitimité réelle. Le drame a été que, malgré les vrais progrès dans la lutte contre les fraudes électorales réalisés sous la Troisième République, l’assemblée nationale a continué de faire montre de cette même faiblesse face au pouvoir exécutif, en raison notamment des mœurs politiques qui, elles, n’avaient pas évolué : mercenariat se traduisant par l’adhésion quasi systématique au parti du président de la République pour se faire élire, changement d’étiquette politique en cours de mandat pour rejoindre le groupe parlementaire au pouvoir, monnayage des votes etc.

Ainsi, face à des présidents de la République dotés de grands pouvoirs dans un système constitutionnel imsité de celui de la Cinquième République française, l’assemblée nationale malgache est demeurée, sous les régimes successifs, une simple chambre d’enregistrement entièrement soumise à l’exécutif.
Le fait que ces pratiques aient perduré sous les trois constitutions explique en grande partie la non résolution des conflits politiques dans le cadre constitutionnel, et les explosions de mécontentement populaire ayant conduit à des changements de régime en lieu et place de changements opérés dans le cadre constitutionnel.

Fallait-il, pour autant, suspendre l’assemblée nationale ?
Non, mille fois non ! Car cette assemblée, en dépit de ses faiblesses, constitue un élément essentiel de la démocratie malgache naissante, fût-elle imparfaite et encore en construction: la possibilité pour le peuple, propriétaire du pouvoir, de disposer de représentants et de porte paroles au plus haut niveau de l’Etat.
Se passer d’une assemblée nationale élue constitue ainsi la négation suprême de la démocratie. Il ne s’agit ni plus ni moins que de dénier aux citoyens la possession légitime du pouvoir, pouvoir qu’ils ne devraient que déléguer à tout élu, y compris le chef de l’Etat.

La suspension de l’assemblée nationale élue vide de son sens le mot « République ». Si donc Madagascar doit rester une République, l’assemblée nationale élue doit continuer à exister. Mais pour que la démocratie soit plus effective, elle doit sortir de cette situation de faiblesse face à l’exécutif.
Pour qu’une telle situation de faiblesse évolue, il faut une évolution positive d’autres paramètres : moins de pauvreté chez les électeurs que les difficultés du quotidien rendent très vulnérables à toutes les manœuvres anti-démocratiques; alphabétisation des adultes afin de les désenclaver mentalement ; renforcement de l’éducation citoyenne afin d’éclairer et défendre les choix des électeurs; généralisation de l’accès aux informations. Il serait bien évidemment irréaliste de penser pouvoir faire évoluer simultanément tous ces paramètres. Mais ils sont interactifs entre eux. Il faut donc porter d’abord les efforts sur celui ou ceux qu’il est possible de modifier à plus court terme, ce qui facilitera le travail à faire ensuite sur les autres.

Moins de pauvreté
Malgré les progrès enregistrés entre 2002 et 2008 (7,5% de croissance moyenne) et salués par tous les partenaires multilatéraux et bilatéraux de Madagascar, le niveau du développement économique n’a pas permis d’améliorer suffisamment le quotidien de l’ensemble de la population malgache. C’est l’un des reproches faits à Marc Ravalomanana par certains sympathisants du putsch, comme le père Pedro : il y avait encore trop de pauvreté à Madagascar en 2009. Certes ! Qui pourrait le nier ? Mais les questions plus honnêtes à poser sont celles-ci : l’économie nationale était-elle ou non en croissance ? Etait-il possible, en sept ans, d’améliorer de façon significative le quotidien de l’ensemble de la population malgache quand, dans des pays émergents comme l’Afrique du Sud, la moitié de la population vit encore sous le seuil de la pauvreté vingt ans après la fin de l’apartheid ? Il est significatif que ce chantre de la lutte contre la pauvreté soit aujourd’hui étrangement silencieux devant l’augmentation exponentielle du nombre de Malgaches plongés dans la misère depuis deux ans.
Il n’en demeure pas moins que pauvreté et démocratie ne font pas bon ménage.
La pauvreté dans laquelle vit encore la majorité des Malgaches explique ainsi en partie la persistance au sein de l’assemblée nationale de pratiques politiques contraires à son rôle de contre-pouvoir, y compris pendant la présidence de Marc Ravalomanana.
Mais l’exemple de l’Afrique du Sud mentionné plus haut, valable pour de nombreux autres pays émergents ou en voie de développement, montre que le recul de la pauvreté ne peut être obtenu à court terme, ni même à moyen terme, mais à long terme. Aussi, c’est sur les autres paramètres qu’il conviendra d’agir vigoureusement dès le retour de l’ordre constitutionnel à Madagascar.

Alphabétisation des adultes
Si l’alphabétisation des enfants a été une préoccupation constante des dirigeants successifs, avec une volonté politique plus marquée se traduisant par des moyens plus grands et un accroissement important du taux de scolarisation entre 2002 et 2009, l’alphabétisation des adultes est restée le parent pauvre de l’éducation à Madagascar. Le fait qu’elle ait été non pas confiée au Ministère de l’Education Nationale, mais à un ministère traditionnellement dénué de pouvoir et de ressources comme celui de la Population, parfois réduit à une simple direction générale, illustre le faible intérêt porté à l’alphabétisation des adultes. Et cependant, le lien entre l’analphabétisme, l’extrême pauvreté et l’incapacité qui en résulte de jouir des droits civiques et politiques du citoyen relève d’une évidence. A l’avenir, l’alphabétisation des adultes devra figurer parmi les grandes priorités nationales, au même titre que la scolarisation des enfants, si on veut voir reculer plus rapidement la pauvreté et augmenter le nombre d’adultes accessibles à l’éducation citoyenne. D’autant qu’il est l’un des paramètres de renforcement de la démocratie qu’il est possible de faire évoluer positivement à court terme et à un coût moindre. En effet, des méthodes rapides ayant fait leurs preuves existent ; les moniteurs peuvent être formés rapidement ; et il est tout à fait envisageable d’introduire un volet d’alphabétisation des adultes dans chacun des projets ou programmes de développement, d’amélioration de la santé ou de préservation de l’environnement ciblant les communautés de base, ce qui permettrait à la fois la multiplication des actions d’alphabétisation, leur dissémination sur l’ensemble du territoire, et une économie appréciable sur les dépenses.

Généralisation de l’accès aux informations et renforcement de l’éducation citoyenne
Depuis la fin des années quatre vingt, de louables efforts ont été fournis par des associations ou des organismes non gouvernementaux, notamment le KMF/CNOE ou Justice et Paix, pour renforcer l’éducation citoyenne à Madagascar. Entre 2002 et 2009, l’éducation civique a retrouvé une place dans les programmes scolaires aux niveaux primaire et secondaire. Toutefois, les résultats obtenus restent insuffisants à la fois en terme de pourcentage de population touchée et en terme d’intégration durable des valeurs républicaines.
Les enseignants, notamment ceux des écoles publiques devant déjà gérer des conditions inhumaines de travail (classes surchargées, inexistence de moyens pédagogiques, salaires de misère), ne sont pas toujours en mesure de donner à l’éducation civique de leurs élèves la place qu’il conviendrait.
Quant aux associations, leurs ressources humaines et financières limitées les obligent à intervenir essentiellement pendant les périodes électorales, ce qui est important, mais leurs actions d’éducation sont ensuite suivies de longues périodes d’absence du terrain, d’où la faiblesse de l’intégration durable de l’éducation citoyenne.
Pour une intégration plus durable de l’éducation citoyenne, c’est-à-dire l’acquisition de véritables réflexes démocratiques, il serait nécessaire que la constitution et l’importance de la respecter, mais aussi tous les textes ayant un impact direct sur la vie quotidienne de la population, ainsi que les grands enjeux économiques qui devraient être débattus, fassent l’objet d’explications en continu et dans des formes adaptées aux différents groupes sociaux. Afin que la propagande politicienne soit contrebalancée par une campagne civique permanente. Pour ce faire, les médias les mieux adaptés à la situation socioéconomique malgache seraient les radios de proximité.
Mais il ne faut pas attendre des gouvernants, qui tirent bénéfice de l’ignorance ou de l’indifférence de la population par rapport à ces sujets, qu’ils prennent l’initiative de cette campagne civique permanente. Ceci d’ailleurs est vrai dans tous les pays du monde. Toutefois, dans les pays de tradition démocratique et économiquement avancés, il est possible aux populations d’avoir accès aux informations, en dehors des canaux officiels. Ce qui est très loin d’être le cas pour les Malgaches.
C’est pourquoi il est important pour l’avenir de la démocratie à Madagascar où les effets du coup d’Etat font reculer dans un futur encore plus lointain la possibilité d’une baisse de la pauvreté, que la société civile se prépare, dès à présent, à cette tâche d’éducation citoyenne permanente, et à l’entreprendre dès le rétablissement de l’ordre constitutionnel.

Deuxième contre-pouvoir : Les journalistes
 
Bien que la presse à Madagascar puisse s’enorgueillir d’être plus que centenaire, et que la liberté de presse y soit devenue une réalité avec la fin de la censure en 1989 et la multiplication des télévisions et des radios privées depuis 1992, les journalistes malgaches n’ont pas joué le rôle de contre-pouvoir positif et de catalyseur de la démocratie qui était attendu d’eux, à quelques rares exceptions près. Et cela même avant le coup d’Etat de 2009 dont les auteurs ont supprimé, depuis, la liberté de presse et fermé des dizaines de médias.
Au contraire, en tant que détenteurs d’un pouvoir dont ils ne respectaient pas en contrepartie les règles déontologiques, la majorité de ces journalistes a activement desservi la démocratie.
Parmi les nombreuses causes à l’origine d’une telle situation, on peut relever notamment la faiblesse des salaires, non seulement dans les médias publics mais également dans les médias privés et l’insuffisance de formation. A cela s’ajoutent, pour les journalistes des médias privés le manque de moyens logistiques mis à leur disposition, les obstacles que constituent chez les responsables gouvernementaux, le réflexe du secret d’Etat hérité de la longue période socialisante et l’absence d’une culture de la communication. Pour toutes ces raisons, l’émergence d’un journalisme d’investigation est extrêmement difficile.
Ainsi, le rétablissement de la liberté de presse à Madagascar, exigé à juste titre par tous les tenants de la démocratie, ne suffira pas à faire du journalisme malgache un contre-pouvoir effectif. De plus, la faiblesse du marché intérieur lié au pouvoir d’achat, encore dégradé par cette longue crise, ne permettra pas aux patrons de presse d’améliorer dans un futur proche les conditions de travail de leurs journalistes, et l’exercice de leur profession sera aussi difficile, sinon plus difficile qu’auparavant. Aussi n’est-ce pas faire preuve de pessimisme de dire qu’il faudra beaucoup de temps encore avant que les journalistes malgaches puissent constituer un contre-pouvoir effectif face à ceux qui gouverneront leur pays.
Mais, à l’instar de ce qui a été dit plus haut pour l’assemblée nationale élue, la liberté de la presse est un élément essentiel de la démocratie, et à ce titre elle doit être préservée, même si l’usage qui en est fait par les journalistes doit encore être amélioré.

Troisième contre-pouvoir : La société civile

`La crise politique actuelle a donné une plus grande visibilité à la société civile malgache.
Pour la première fois, des regroupements et des plateformes représentatifs de cette société civile ont revendiqué le droit de jouer un rôle dans la recherche d’une sortie de crise politique. Mais le fait qu’une entité comme la Coordination des Organisations de la Société Civile (CNOSC) ait pu être délibérément et à plusieurs reprises écartée de la médiation, aussi bien par une partie de la classe politique que par les médiateurs internationaux et ce, lors de phases cruciales, montre que la société civile malgache doit encore se renforcer afin de pouvoir se faire entendre. Toutefois, elle dispose dores et déjà de plusieurs atouts qui devraient faire d’elle le contre-pouvoir le plus susceptible d’être effectif dans un laps de temps relativement court.
Son premier atout est le nombre impressionnant d’associations et d’organismes non gouvernementaux enregistrés depuis 1993, date de la libéralisation de la vie associative à Madagascar. Son deuxième atout est de disposer, à la tête de certaines plateformes civiles, de personnalités très compétentes. Son troisième atout est constitué par une expérience, pour certaines de ses composantes, de près de deux décennies de travail sur le terrain, et donc d’une réelle connaissance des réalités du pays. Enfin, la société civile est susceptible de bénéficier d’un appui financier des bailleurs de fonds internationaux plus important que par le passé, en particulier après cette crise qui aura montré le peu de confiance que l’on peut accorder à une classe politique malgache aussi prolifique que non représentative.
Pour l’avenir de la démocratie à Madagascar, compte tenu du temps qu’il faudra aux médias pour jouer un rôle de contre-pouvoir effectif, et au vu de l’importance ainsi que de l’urgence du renforcement de l’éducation citoyenne, il est essentiel que la société civile malgache se prépare dès à présent à être le contre-pouvoir véritablement effectif à court terme. Il est essentiel que, dans un premier temps, elle consacre tous ses efforts à la mise en place d’un système permanent d’information et d’éducation des citoyens. Il sera essentiel, dans un deuxième temps, qu’elle puisse acquérir une force de mobilisation des citoyens autour de la défense des valeurs de liberté et de justice sociale.
Ce sera effectivement faire de la politique, expression encore taboue dans de nombreuses associations, mais dans le sens le plus noble du terme.
Partout, dans le monde, les associations civiles qui se font entendre sont celles qui ont la plus grande capacité de mobilisation de leurs membres et de l’opinion publique.
En défendant publiquement leurs idées ou en s’opposant publiquement à des décisions prises par les dirigeants, elles font de la politique, mais dans le sens le plus noble du terme.

Pour s’être au début de cette crise, interdites de mobiliser leurs membres contre les atteintes à la légalité constitutionnelle et aux libertés, au prétexte de préserver un rôle de médiation que les putschistes n’étaient pourtant pas, et ne sont toujours pas disposés à leur accorder, certaines associations civiles aujourd’hui membres de la CNOSC ont privé cette coordination de la seule carte maîtresse qui aurait pu lui permettre d’être respectée et entendue : la capacité éventuelle de mobiliser autour de sa position républicaine un nombre suffisamment grand de Malgaches pour impressionner certaines chancelleries et les médiateurs internationaux.

Pour exister en tant que contre-pouvoir dans les grands enjeux à venir, la société civile malgache devra cesser de confondre non appartenance à un parti politique et neutralité non efficiente.

La société civile malgache cessera d’être pusillanime ou elle ne sera pas.

Les Inconditionnels de Madagascar,
À l’Ile de la Réunion

 

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