A écouter Suzelle parler de ses journées, il y a un avant et un après-Arast. A 75 ans, la voix de la dame reste jeune même si la vieillesse commence à peser sur son corps. Deux prothèses à la hanche, une à l’épaule : ses os fragilisés ont déjà nécessité 17 opérations, raconte-t-elle. Son mari, 84 ans, porte aussi une prothèse à la hanche et a été victime d’un accident vasculaire au début de l’année. Autant de problèmes de santé qui empêchent le couple d’effectuer les tâches de la vie quotidienne. «Mi gagne pu pencher, mi gagne pu bouger avec douleur lé dans ma jambe jusque là», gémit-elle en désignant ses chevilles.
La septuagénaire de Petite-Ile ne peut ni balayer, ni repasser ses vêtements. Et ne peut plus compter sur l’aide de son mari, qui ne se déplace qu’avec l’appui de son déambulateur. Depuis une hospitalisation de Suzelle, il y a six ans, le couple bénéficiait d’une aide ménagère à domicile envoyée par l’Arast (Association régionale d’accompagnement social territorialisé). Henry*, deux fois par semaine, effectuait diverses tâches chez eux. Suzelle s’émerveille encore des prouesses de son ex-homme de ménage : « C’était plus qu’une grande aide, li té grand et vif. Avec li, le travail té bien fait, et té quelqu’un de très agréable. Li té fait partie de la famille ».
Depuis le mois de décembre, plus rien. Les employés de l’Arast licenciés par le Conseil général, c’est à elle seule de s’occuper de la maison et de son mari.
« Si personne i nettoye pas, i laisse comme ça »
Henry continue à passer de temps en temps bénévolement. Ceci n’empêche pas le dépit de percer chez cette femme d’agriculteur qui a toujours mené une vie active. « Mes enfants ou mes ti zenfants quand i passe i nettoye un peu, mais si personne i vient pas, ben i laisse comme ça« , laisse échapper l’arrière-grand-mère.
Certes, la solidarité est d’usage dans le quartier, mais sa voisine, qui lui donne parfois un coup de main, a…83 ans. « I fait mal a moin voir ça…« , se désole Suzelle.
Son linge, elle se « débrouille » pour qu’il soit présentable : « Mi mette dans la machine à laver ; quand lé sec, mi assois sur le fauteuil et tout l’après-midi mi plie le linge. Mi lisse un peu avec la main…« . Quant aux repas, elle les cuisine deux fois par semaine, les congèle, et les réchauffe. « Des choses simples, comme la soupe ou sosso, parce que Christian i gagne pas bien manger sinon« .
Le couple a sollicité une nouvelle aide ménagère. Mais la visite du contrôleur du Conseil Général, pour constater l’état des personnes et déterminer le nombre d’heures d’aide, se fait attendre. Depuis plus d’un mois, leur requête est restée lettre morte, laissant les deux gramounes subir seuls les aléas de leurs vieux jours.
Malgré ses soucis, Suzelle tient à rester digne et à se faire belle. « Quand mi sorte mi aime bien mon ti rouge à lèvres et mon ti fond de teint, i veut pas dire mi lé pas malade !« .
Et lorsqu’on évoque leurs presque 60 ans de mariage, c’est Christian, qui répond, d’une voix que sa maladie rend à peine audible : « Nous va fêter, si ma pencor arrive en l’air là-bas ! »
*nom d’emprunt
En attendant, le chômage pour Henry
Même si une grande partie des ex-employés de l’Arast a été sollicitée par des structures privées, certains restent sur le carreau.
Henry, au chômage depuis le 26 décembre dernier, perçoit les Assedic. Il réfléchit à un nouveau projet professionnel : il ambitionne de passer son diplôme d’aide médico-psychologique. L’ancien auxiliaire de vie sociale jette un regard désolé sur la situation de Suzelle et Christian. « Ces gens ont besoin d’un système d’aide personnalisé. Ce n’est vraiment pas évident, surtout pour le monsieur, depuis son AVC« .
Henry continue de visiter régulièrement la famille et a noué des liens avec elle. Mais il prévient : « On s’attache plus ou moins, mais il faut faire attention à rester professionnel… »
Article tiré du journal Info-Com Varangue, n°232, Université de la Réunion [http://departements.univ-reunion.fr/infocom/]url:http://