Jean-Jacques Morel :
C’est la justice qui devra apporter une réponse à cette question. Les normes de sécurité les plus actuelles étaient déjà en vigueur sur ce bâtiment de construction récente. Or la vitesse de l’embrasement a surpris. Se pose d’abord bien sûr la question de la responsabilité individuelle d’un éventuel pyromane ou d’une propagation involontaire. Mais là n’est pas tout. Se pose ensuite la question de la conception de l’immeuble. Qu’est-ce que l’architecte a préconisé en termes de matériaux utilisés ? Je pense bien sûr au béton, mais surtout au bois dont étaient constituées les passerelles qui se sont, semble-t-il, avérées inflammables. Elles ont piégé mortellement un certain nombre de locataires. La question suivante est celle de la réalisation. A-t-elle été fidèle aux préconisations architecturales ? J’écarte a priori la responsabilité du signataire du permis de construire. Je pense, en revanche, que la gestion de beaucoup de logements sociaux est défaillante comme le souligne d’ailleurs régulièrement Erick Fontaine, président de la CNL (Confédération Nationale du Logement). Voyez ces jours-ci les inondations de logements parce qu’il pleut …Quels sont les autres niveaux de responsabilité possibles ?
Un double niveau de responsabilité doit être envisagé. En effet chacun songe naturellement au bailleur social. Je ne sais pas dans quelle mesure les travaux d’entretien lui incombant ont été menés à bien. Y avait-il des plans d’évacuation à jour ? J’ajoute que la suppression des concierges a été une grosse erreur. Dans ces grands ensembles, le concierge était le garant d’une présence. Il était synonyme d’humanité, de proximité et de sécurité. Ainsi un couloir encombré par des meubles, des déchets ou des objets aurait été immédiatement signalé. Un deuxième niveau de responsabilité se situe potentiellement à la mairie. En effet, la loi, via le code général des collectivités territoriales, attribue au maire des pouvoirs de police sur la ville.
En matière d’habitat collectif, à quoi correspondent ces pouvoirs de police générale ?
Il appartient au maire d’exercer, à travers la police municipale, un pouvoir général de prévention des risques, quels qu’ils soient. Je vais vous donner un exemple. Il y a quelque temps, un immeuble menaçait de s’effondrer dans la rue Jean Chatel à Saint-Denis. La mairie a certes tergiversé mais a fini par réagir en effectuant les travaux au nom et aux frais du propriétaire défaillant. Il en va de même pour la prévention des incendies.
Au lieu de pointer et de critiquer les pompiers qui se sont battus contre le feu courageusement au péril de leur vie, je suis de ceux qui pensent qu’il existe possiblement une abstention fautive de la municipalité qui a concouru à la réalisation du sinistre.
Au lieu de pointer et de critiquer les pompiers qui se sont battus contre le feu courageusement au péril de leur vie, il faut réfléchir à ce qui aurait pu éviter le désastre. Y-a-t-il eu une abstention fautive de la municipalité qui a concouru à la réalisation du sinistre ?
Qu’entendez-vous par abstention fautive ?
Dans les immeubles de grande hauteur, les contrôles nécessaires du bailleur n’enlèvent rien à l’obligation de la municipalité de s’assurer régulièrement de l’accessibilité des parties communes. Est-il normal que des carcasses de voitures aient considérablement gênées les secours car elles encombraient les parkings depuis des mois ? La mairie de Saint-Denis devra communiquer l’intégralité des procédures administratives mises en œuvre avant, comme après le sinistre. Je demande d’ailleurs à la mairie d’engager des vérifications dans les autres résidences de la ville.
Que faut-il selon vous envisager pour le deuxième immeuble de La Marina qui n’a pas brûlé ?
En effet, je ne peux pas ne pas penser aux habitants de l’immeuble qui n’a pas brûlé qui se retrouvent chaque matin que Dieu donne avec, sous les yeux, un bâtiment noirci, théâtre d’un drame. A-t-on pensé aux traumatismes qu’ils ont subis ce soir-là ? Je suis de ceux qui pensent qu’eux aussi doivent être relogés et les immeubles rasés.
Quelles pourraient être les leçons à tirer de ce sinistre concernant la politique du logement social à Saint-Denis ?
Vous avez aujourd’hui près de 23 000 logements sociaux à Saint-Denis, soit presque 45% du nombre de logements du chef-lieu. Je rappelle que la loi fixe le seuil à 25%.
Saint-Denis est, après Le Port, la commune où le pourcentage de logements sociaux est le plus élevé de l’île. Sur certains secteurs comme Bellepierre, le nombre de cités bâties ces quinze dernières années est tellement important que les bailleurs sociaux ne sont plus autorisés à construire. Va-t-on poursuivre cette frénésie de grands ensembles de qualité approximative où les Réunionnais sont entassés dans le mal-être ? Je suis partisan d’un habitat semi-collectif avec des duplex groupés où chaque famille aura sa petite cour. Même modeste, une cour change la vie!
Il reste de grands espaces, par exemple à Saint-Denis entre Bellepierre et Le Brûlé ou vers Saint-François. A La Réunion, plusieurs maires avec qui j’ai échangé sont prêts à réfléchir à des habitats agréables, à mi-hauteur où notre jeunesse pourra s’épanouir. A Saint-Denis comme ailleurs, les règles d’urbanisme doivent évoluer.
Multiplier les grandes cités transformées parfois en ghettos, déshumanisées, insécurisées et abandonnées équivaut à une bombe à retardement. L’incendie de Montgaillard est un coup de semonce dont il faut tenir compte.