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Lettre à F. De Rugy, Ministre de l’Écologie

Objet : demande d’une expertise globale indépendante portant sur l’option digue de la Nouvelle Route du Littoral à La Réunion

Ecrit par Jean-Pierre Marchau Secrétaire Régional EELVR – le jeudi 20 juin 2019 à 09H42

Monsieur le Ministre d’État,

Dans son avis du 21 décembre 2018, M. Serge Muller, le Président du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), souhaite que l’État demande au Conseil Régional de La Réunion la réalisation d’une « expertise prenant en compte tous les aspects (y compris l’exploitation des carrières) de l’option digue sur remblais » choisie par le pétitionnaire pour la construction de la Nouvelle Route du Littoral (NRL). En effet, cette option de la variante viaduc + digue suscite aujourd’hui des débats et des controverses telles que la question est désormais publiquement posée de savoir si la construction d’une digue monumentale est réellement pertinente pour achever cette infrastructure qui constitue, je le rappelle, le plus grand et le plus coûteux chantier jamais engagé sur cette île de l’Océan Indien.

Pour mémoire, l’Autorité Environnementale, dans son avis du 12 octobre 2011 sur le projet de NRL, recommandait d’inclure dans l’étude d’impact « l’analyse de l’extraction et du transport des matériaux » qui permettrait disait-elle, « de faire une meilleure comparaison des deux variantes » qui étaient en débat, la variante tout viaduc et la variante viaduc + digue, la première nécessitant six millions de m3 de matériaux, la seconde, dix millions de m3. L’AE recommandait aussi un « examen approfondi et argumenté du choix à effectuer entre les deux variantes au regard de leur différence d’impact environnemental, des estimations et incertitudes de leur coût, et des textes en vigueur ». L’AE rappelait que la variante viaduc + digue, choisie par le Conseil Régional de La Réunion, avait un impact environnemental beaucoup plus important que la variante tout viaduc et qu’elle comportait nombre d’incertitudes quant à l’approvisionnement et à l’extraction des matériaux nécessaires.

Le 24 juin 2013, le CNPN avait déjà émis à l’unanimité un avis défavorable qui succédait aux avis, eux aussi défavorables émis par le Conseil Scientifique Régional de la Protection de la Nature et par le Conservatoire Botanique national de Mascarin.

L’avis du CNPN du 21 décembre dernier est donc parfaitement cohérent avec celui du 24 juin 2013 et ceux émis par les instances locales mais il est beaucoup plus développé en ce qui concerne les impacts environnementaux qui résulteraient de la construction de la digue, laquelle n’est toujours pas édifiée alors que la partie en viaduc est sortie de l’eau.

Car à cette problématique de l’impact environnemental s’ajoute désormais comme l’avait bien prévu l’AE dans son avis du 12 octobre 2011, la question non résolue de l’approvisionnement en matériaux. Le CNPN revient sur ce sujet qui domine aujourd’hui toute l’actualité relative au chantier de la NRL. Le Préfet de La Réunion a modifié en 2014 le Schéma Départemental des Carrières validé en 2010 afin d’y inclure de nouveaux espaces de carrières de roches massives, lesquelles n’existent pas dans notre département, la ressource étant pour l’essentiel, alluvionnaire. Mais en 2018, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux a annulé l’arrêté préfectoral, ce qui fait que nous sommes revenus au Schéma de 2010 et la Nouvelle Route du Littoral est toujours dans l’impasse pour la partie en digue. L’État s’est pourvu en cassation en août 2018 contre l’annulation prononcée par la Cour d’Appel de Bordeaux mais dernièrement le rapporteur public a demandé confirmation de l’annulation. Nous sommes donc bien dans une impasse juridique qu’entrevoyait bien le CNPN dans son avis lorsqu’il s’interrogeait sur la stratégie de l’État en la matière.

Mais l’impasse n’est pas seulement juridique. Dès 2015, confronté à une pénurie de matériaux, le Conseil Régional de La Réunion a eu recours à l’importation de roches de Madagascar ainsi qu’au prélèvements massifs d’andain sur les terres agricoles réunionnaises.

Plus de trois millions de tonnes de ces roches qui, pour nombre d’entre elles ont pour fonction de protéger les sols cultivés, ont été prélevées depuis 2015. En 2018, deux tempêtes, Berguitta et Fakir, ont provoqué de nombreux dégâts, inondations, torrents de boue dévastateurs qui ont emporté routes et maisons, etc., conséquences qui ne laissent pas d’interpeller quand on sait qu’il y a eu seize millions d’euros de pertes agricoles pour la seule tempête Berguitta.

Dans son ordonnance du 29 avril 2019, le juge des référés du Tribunal Administratif de Saint Denis a suspendu deux arrêtés préfectoraux autorisant le défrichement et l’exploitation d’une carrière sur le site de Bois Blanc choisi par la Région pour approvisionner le chantier. Le juge administratif rappelle que la Déclaration d’Utilité Publique de la Nouvelle Route du Littoral du 7 mars 2012 « se caractérisait par l’absence d’une réelle réflexion sur les moyens d’approvisionnement à mettre en oeuvre pour réaliser la partie digue de l’ouvrage » et reprend l’avis du CNPN sur la nécessité d’une expertise indépendante.

Enfin, le 11 juin 2019, les commissaires enquêteurs responsables de l’enquête publique relative au projet d’ouverture d’une carrière de roches massives sur le site de Bellevue-La Saline, émettent eux aussi un avis clairement défavorable et, sans se prononcer sur le sujet, rappellent la demande d’une expertise globale indépendante formulée par les opposants au projet. Ils insistent notamment sur le fait que les impacts environnementaux d’une carrière ne pourraient être ni réduits ni compensés et provoqueraient une « cicatrice durable dans le paysage d’une commune touristique après l’achèvement de l’exploitation. »

Dans son avis du 21 décembre, le CNPN conteste points par points nombre d’arguments de la Région Réunion visant à minimiser les impacts environnementaux qui résulteraient de la construction d’une telle digue. C’est pourquoi le CNPN justifie sa demande d’une expertise indépendante en s’appuyant notamment sur l’article 68 de la loi du 8 août 2016 sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Cet article introduit la possibilité de faire réaliser « par une tierce expertise menée à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire une évaluation de l’absence de solution satisfaisante pour que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces protégées concernées dans leur aire de répartition naturelle (article L 411-2-4Åã du Code de l’environnement). »

Le mercredi 30 janvier 2019, en réponse à une question de Mme Huguette Bello, députée de La Réunion, qui demandait une telle expertise indépendante, Mme Elisabeth Borne, Ministre des Transports, annonçait qu’elle solliciterait ses services pour étudier cette proposition. Mme Bello, faute d’avoir eu une réponse, vous a saisi par courrier en date du 3 mai.

Voilà où nous en sommes actuellement. Si cette digue suscite tellement de débats, c’est parce qu’elle nécessiterait l’ouverture d’immenses carrières de roches massives sur une île où il n’y en a pas, c’est aussi parce que les sites où éventuellement on pourrait trouver des blocs rocheux suffisamment gros, sont tous situés près du littoral où réside en grande majorité la population réunionnaise ; mais c’est aussi parce que ces sites sont situés dans des zones touristiques encore relativement préservées par l’urbanisation. Enfin, last but not least, elle suscite une grande émotion car sa construction aurait un impact dévastateur sur le milieu terrestre et marin aussi bien du fait des carrières que du lieu même de la construction de la digue. Or, La Réunion, est indéniablement un des territoires français où la biodiversité constitue un patrimoine inestimable mais où elle est fragile et donc constamment menacée par notre développement.

C’est pourquoi, M. le Ministre d’État, je vous sollicite au nom d’Europe Écologie Les Verts Réunion, afin que vous interveniez pour déclencher cette expertise indépendante sur la pertinence de la partie digue. Il est impératif de savoir rapidement si cette option avec toutes les incertitudes qu’elle implique en termes d’approvisionnements en matériaux, d’impacts environnementaux mais aussi sur le plan juridique avec l’imbroglio résultant du retour au Schéma des Carrières de 2010 et des recours de la préfecture, doit ou non être abandonnée. En ce qui nous concerne, vous connaissez notre réponse, mais il est essentiel que les Réunionnais disposent d’une telle expertise pour pouvoir juger le plus objectivement possible de cette question.

Je vous prie d’agréer, M. Le Ministre d’Etat, l’expression de ma très haute considération

 

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