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Les oligarques russes : les capitalistes les plus prédateurs

C’est une image qui préfigure les prochaines crises climatiques. Les ultrariches font sécession. Alors que la guerre fait rage en Ukraine et que le bas peuple s’écharpe sous les bombes, les oligarques russes fuient la tempête à bord de leurs yachts et de leurs jets privés, en quête d’eaux turquoise et de terres hospitalières. Face […]

Ecrit par Bruno Bourgeon – le vendredi 29 avril 2022 à 15H00

C’est une image qui préfigure les prochaines crises climatiques. Les ultrariches font sécession. Alors que la guerre fait rage en Ukraine et que le bas peuple s’écharpe sous les bombes, les oligarques russes fuient la tempête à bord de leurs yachts et de leurs jets privés, en quête d’eaux turquoise et de terres hospitalières. Face à la menace d’une saisie de leur fortune, en Occident, ils se planquent dans les paradis fiscaux.
Aux Maldives, embouteillages dans les ports. Le Titan, le yacht de quatre-vingts mètres de Roman Abramovitch, propriétaire du club de football anglais Chelsea, est arrivé la semaine dernière, rejoignant d’autres navires (https://www.forbes.fr/business/guerre-en-ukraine-ou-se-trouvent-les-yachts-des-milliardaires-russes-deja-2-navires-doligarques- immobilises/ ): le My Sky, propriété d’Igor Kesaev, le Clio de l’oligarque Oleg Deripaska et le Nirvana, yacht de quatre-vingt-huit mètres appartenant à l’homme le plus riche de Russie, Vladimir Potanine. Sauve-qui-peut général. Les milliardaires russes désertent.

Le Galactica Super Nova de Vaguit Alekperov est parti de Barcelone pour le Monténégro. Le Nord — 140 mètres de long, 500 millions de dollars — d’Alexei Mordashov se cache aux Seychelles avec le Sea Rapsody d’Andrey Kostin. Anticipant les sanctions à venir, le Boeing 787 de Roman Abramovitch, propriétaire du club de Chelsea (avoir gelé), a décollé de Nice le matin de l’offensive russe.

Comme le yacht de Poutine, estimé à 100 millions de dollars, qui a disparu du port de Hambourg mi-février alors que ses réparations n’étaient pas terminées. «Poutine, ce multimilliardaire, est l’archétype de l’oligarque cupide, a réagi Bernie Sanders. Avant de déclencher une guerre qui risque de tuer des milliers de personnes et d’en déplacer des millions, il devrait davantage se préoccuper des peuples ukrainiens et russes, et moins de son précieux superyacht.»

L’exil de ces milliardaires n’a rien d’anecdotique. Les oligarques russes incarnent l’ordre capitaliste dans sa version la plus ostentatoire: course au gigantisme, yachts toujours plus énormes, sommes colossales allouées aux biens de luxe, avec leurs piscines en verre, leurs bars en cristal et leurs pied-à-terre sur la Côte d’Azur achetés plusieurs centaines de millions d’euros. Leur mode de vie est insoutenable. Les navires de luxe qu’ils affectionnent consomment jusqu’à 2000 litres de fuel à l’heure. 300 yachts émettent autant de CO2 que les dix millions d’habitants du Burundi. Dans une étude de 2019, deux anthropologues de l’Université de l’Indiana (États-Unis), Beatriz Barros et Richard Wilk, se sont intéressés aux milliardaires qui polluent le plus. Loin devant, on retrouve l’oligarque Roman Abramovitch qui détient la pire empreinte carbone sur Terre. Chaque année, il émet 33 859 tonnes de CO2 alors qu’en moyenne un citoyen russe n’en émet que 11. Il possède une collection de yachts et un jet privé qui comprend une salle de banquet pouvant accueillir trente personnes. Cette consommation de combustibles fossiles devrait être qualifiée de crime, vendu comme idéal de vie. Le crime est aggravé par le fait que la principale source des émissions de luxe — l’hypermobilité des riches, leur débauche de déplacements en avion, en yacht, en hélicoptère — est ce qui leur permet de ne pas avoir à se soucier des conséquences, puisqu’ils peuvent toujours se mettre à l’abri ailleurs.

En la matière, les oligarques russes sont parmi les plus forts. Leurs incroyables frasques ne connaissent pas de frontière. Avec leurs villas en bord de mer, leurs chalets à Courchevel, leurs manoirs à Londres, ou leurs hôtels particuliers à Paris, cette caste vit complètement hors-sol. Un exemple: le magnat du gaz, Gennady Timchenko, dont la fortune est estimée à 22 milliards de dollars, se rend presque chaque week-end dans sa somptueuse propriété du Lavandou dans le Var. Il possède des biens en Suisse, un yacht qui sillonne la mer Méditerranée, un jet privé, etc.

Il y a encore quelque temps, les oligarques russes étaient bien accueillis en France. Gennady Timchenko a été décoré du grade de Chevalier de la Légion d’honneur en 2013, tandis qu’Iskander Makhmudov – seizième fortune en Russie qui possède des domaines de chasse en Sologne (1300 hectares) — pouvait bénéficier de la sécurité d’un certain Alexandre Benalla alors que ce dernier travaillait à l’Élysée. Plusieurs politiques français ont fricoté avec eux, sans vergogne. François Fillon était administrateur du groupe d’hydrocarbures Zaroubejneft et du géant de la pétrochimie Sibur, contrôlé par Leonid Mikhelson, l’un des hommes les plus riches de Russie. L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a vendu ses conseils pour 3 millions d’€ à une société d’assurance russe possédée par les deux milliardaires Sergey et Nikolay Sarkisov. À Monaco, l’avocat désormais garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, avait comme client l’oligarque Dimitri Rybolovlev.

Les oligarques sont à la botte de Vladimir Poutine : ils ont bénéficié de 15 ans de complaisance politique en Europe. Pendant des années, ils se sont enrichis sous l’œil bienveillant des élites occidentales, grâce au grand pillage de l’Histoire: le dépeçage de l’industrie soviétique et sa privatisation. Pétrole, minerai, gaz… Au moment de la dislocation de l’URSS, ils ont accaparé les richesses et ont réalisé de super-rentes grâce aux exportations d’hydrocarbures et au secteur extractiviste ultra-polluant. Selon le Boston Consulting Group (BCG), les cinq cents plus grosses fortunes russes contrôlent 40 % de la richesse nationale. Une dérive kleptocratique sans limite, selon Thomas Piketty. La Russie a abandonné toute ambition de redistribution. L’argent accumulé est dilapidé ailleurs: 60% de la fortune des résidents russes les plus riches (10000 personnes) est détenue dans des paradis fiscaux. On estime à 1000 milliards de dollars le montant des Russes détenu à l’étranger. La moitié du PIB russe.

La guerre en Ukraine peut faire changer les choses. Le gel des avoirs des oligarques est inédit par son ampleur et les images des saisies montrent qu’une régulation internationale est possible. Pour Thomas Piketty, il est temps d’imaginer un nouveau modèle de développement, avec la mise en place d’un cadastre financier international pour contrôler les flux d’argent à travers le monde et mieux réguler le secteur financier. Et gagner la bataille face aux autocraties, montrer que démocratie et justice ne sont pas des mots creux.

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