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Les machines à sucre de la Roseraye

A Sainte-Rose, la propriété de La Roseraye, domaine sucrier du XIXe siècle, abrite des restes de l’une des premières machines à vapeur de l’île. Enfouie sous une végétation luxuriante, le vieux domaine est, depuis 1899, aux mains des descendants de Francis Adam de Villiers.

Ecrit par Sabine Thirel – le samedi 22 août 2009 à 07H40

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En 1730, le Gouverneur Pierre Benoît-Dumas accorde les premières concessions entre la Ravine Glissante et le Quai La Rose au Sieur Ribenaire dit Saint-Marc. Peu de familles s’installent à Sainte-Rose, cette région mal déservie. C’est pourtant là que les Anglais attaquent en 1806 pour tester les forces militaires en présence. C’est seulement après l’occupation anglaise, en 1815, que la commune est séparée de Saint-Benoit. En 1818, Sainte-Rose compte 4 sucreries : Rivière de l’Est, Ravine Glissante, l’Anse des Cascades et Piton Sainte-Rose. Mais lorsqu’en 1828, Thomy Lory, Médard Malavois, Valentin Manès et Augustin Despeissis achètent la Roseraye à Alexandre Paris, le domaine abrite déjà une sucrerie. 

 

De 1935 à 1899, plusieurs acquéreurs se succèdent, parfois brièvement, faisant évoluer techniquement la sucrerie y ajoutant des machines performantes et propulsant Bourbon (La Réunion) dans la révolution industrielle comme en Europe. Les propriétaires sont : Mlle Betsy Adam puis Célestin Payet, époux d’Adélaïde Chasseriau,  après Jean-Marie Gallot et François Chassin laissent place à Bouquet et Jacquin, après à Pignolet et Bouquet, puis à Eugène Courbet, et encore à Denis-André de K/Véguen et à sa sœur la duchesse de Trevisse et enfin à Augustin Chassériau. Enfin en 1899, Francis Adam de Villiers en devient propriétaire, sa famille gardera le domaine jusqu’à ce jour.

 

Le domaine abrite une des plus ancienne machine à vapeur une Fawcett de 6 CV fabriqué à Liverpool en 1817. Elle est identique à celle que Joseph Desbassayns à installé en 1817 à sa sucrerie du Chaudron. Celle là même qui a remplacé les moulins à vent, à bras ou à mules. Sachant qu’à cette époque les machines à bras utilisaient surtout et essentiellement les forces musculaires des esclaves. Ainsi, la sucrerie de la Roseraye aurait été également à la pointe de l’industrie sucrière comme bon nombre de fabriques de sucre à l’apogée et a également connu les crises sucrières de l’île. Le sucre transitait par la  marine de Sainte-Rose, située à quelques centaines de mètre de là.

 

La fièvre de la fabrication du sucre atteint l’île bien tardivement par rapport à ses consœurs, Ile de France ou colonies caribéennes. Mais en réalité, ce retard permet aux sucriers de s’équiper directement de machines performantes. Cette mécanisation à la pointe du progrès amène un gain de temps, une économie en énergie et en personnel, et, des bénéfices inéluctables. La main d’œuvre esclave disparait, même si elle est remplacée par les « engagés du sucre », les machines permettent de produire plus à moindre coût. Pendant la grande période sucrière, l’ensemble des moulins sont équipés de machines à vapeur la plupart du temps commandée en Angleterre.

 

D’après Jean-François Géraud de l’Université de La Réunion, la machine de la Roseraye comme celle du Chaudron, est «composée d’une grosse chaudière en fer fondu boulonné, supportée par des coussinets de fer reposant sur  des madriers. Le tout était ancré sur un massif de maçonnerie. Dans la chaudière se trouvait un tube à deux branches qui véhiculait la chaleur. A l’une des extrémités se trouvait le foyer, que l’esclave « chauffeur » alimentait avec des mâchures de canne ; à l’autre  extrémité, où sortait la fumée, se trouvait un diaphragme pour régler le tirage. Sur le dessus de la chaudière on voit le cylindre de fer foré dans lequel joue le piston en acier poli ; il est relié au balancier qui communique le mouvement à la bielle qui entraine un immense volant en fer fondu. Tout ce dispositif est supporté par des colonnes de fer. Le volant tournant, il fait tourner le moulin. Un axe oblique, que le volant fait tourner, ouvre et ferme alternativement  les robinets qui font monter et descendre le piston. »

 

« La chaudière se trouve être une citerne d’où l’eau est élevée par une pompe aspirante et foulante dont la tige est attachée au balancier. Un robinet, actionné par un flotteur règle dans la chaudière le niveau de l’eau qui doit rester constant. L’esclave conducteur de la machine, qui était à droite, vérifiait ce niveau grâce à deux petits robinets… Une romaine en fer, graduée jusqu’à 73 livres, permettait  au conducteur de mesurer la pression de la chaudière : une soupape s’ouvrait lorsque la pression atteignait 50 livres. Un régulateur à boules, agissant sur un robinet, permet d’arrêter le mouvement. Cette machine qui consommait peu de combustibles était très robuste : au Chaudron, on l’utilisa pendant quarante ans. »

 

Une autre machine fait son  apparition en ce début de XIXe siècle, le broyeur à cannes. Un « moulin à cannes » vu par A. Billard en 1822 : « Trois cylindres verticaux placés à côté les uns des autres y sont mis en mouvement par un manège de mulets…ou par un courant d’eau (comme à la Roseraye) qui, au moyen d’une roue communique le mouvement aux cylindres. Les cannes… sont présentées à l’entre-deux des cylindres qui, en tournant en sens inverse, attirent rapidement ces cannes et les rendent broyées de l’autre côté… Le jus de la canne  tombe sur une table de pressoir, d’où il se rend par un conduit dans un autre bâtiment… » 

 

Le Broyeur de la Roseraye comporte 3 gros cylindres en métal placés à l’horizontal.  Selon J-F Géraud, il  « était plus performant que les précédents. Les trois cylindres étaient disposés en triangle. Un pignon fixe sur l’axe du volant entrainait une roue dentée qui communiquait le mouvement au cylindre supérieur : celui-ci transmettait aux cylindres inférieurs par des couronnes. Une « chambrière » de bois servait à recevoir et introduire les cannes entre les cylindres sans engager des esclaves. Une vis de rappel permettait de rapprocher plus ou moins les cylindres en fonction de la grosseur des cannes. On pouvait aussi passer 15 à 20 cannes à la fois, c’est-à-dire130 à la minute, et l’on obtenait 25.50 litres de vesou (jus de cannes) à l’heure. »
Les esclaves que chacun croyait uniquement aptes au travail de la terre, s’adaptent aux machines et se transforment en techniciens. Au fil du siècle alors que la technologie évolue encore et toujours, les engagés à leur tour deviennent de fins ouvriers et des techniciens aguerris.

Sources : Documents personnels famille Adam de Villiers

 

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