En 1827, l’approche de la fin probable de l’esclavage pousse les planteurs vers une recherche de main-d’œuvre à bon marché pour exploiter la canne à sucre. Dès 1829, les premiers engagés venant d’Afrique, d’Asie, des Comores et d’Inde, débarquent à Bourbon. Mais ce n’est qu’après l’abolition de l’esclavage en 1848 que commence l’introduction massive de travailleurs, engagés pour une durée de 5 ans. A partir de 1849, plus de 100000 personnes recrutés en Inde – 6000 mille par an – augmentent les menaces d’épidémies. Chaque navire présente un risque sanitaire, d’où l’obligation de contrôle des navires, des cargaisons et de chaque passager. Pour protéger Bourbon et ses habitants des épidémies (peste, choléra, typhus, variole, malaria, dysenterie…), les nouveaux arrivants sont mis en quarantaine.
Au départ, les quarantaines se faisaient à bord des navires mais face aux contestations des armateurs perdant de l’argent durant les mouillages trop longs, plusieurs lazarets sont construits, la Grande Maison de Savanna, la Redoute St Denis, puis transférés à la Ravine à Jacques en 1827. Lazaret vient de l’italien «lazaretti» qui signifie léproserie. La visite médicale et la série de vaccins obligatoires terminés, les nouveaux arrivants sont conduits dans leur premier lieu d’hébergement dans l’île. Ces lazarets s’avèrent vite inadaptés et trop petits, ce qui entraine une insalubrité notoire d’autant que les accords de 1860 avec les Britanniques permettent un recrutement sans limite sur la colonie Britannique des Indes. Alors les autorités cherchent d’autres lieux d’isolement et de soins. La situation de La Grande Chaloupe, une vallée encaissée coupée du reste de l’île par des hautes montagnes ne permettant l’accès que par la mer, la route Laugier ou le chemin des Anglais, parait idéale. De plus une source d’eau potable alimente ce site et les navires peuvent jeter l’ancre au large et les voyageurs accompagnés jusqu’au débarcadère par des grandes chaloupes.
Deux lazarets susceptibles de protéger l’île des épidémies, sont construits de1861 à 1865. Dès 1861, les camps de détention, d’une surface de 3 660 m2, sont opérationnels même si l’hygiène y est approximative. Le personnel est restreint. En plus d’un interprète, il se compose d’une équipe médicale, administrative et comptable qui assure les soins, la surveillance, l’encadrement, la nourriture ; veille à la propreté, à l’entretien des bâtiments et des matériels. Des murs d’enceinte cernent les bâtiments, toutes les issues sont surveillées par un gardien et par des soldats d’infanterie de Marine. Ainsi, s’en échapper n’est pas facile, les évadés sont vite repérés sur les parois des montagnes abruptes, et capturés. Les Indiens valides accomplissent les travaux ordinaires (corvées : eau, bois, nettoyage, repas…). Des commandeurs considérés plus malins surveillent leurs semblables. La ration quotidienne d’un engagé est de 800 gr. de riz, 250 gr. de grains secs ou 125 gr. de morue, 15 gr. de graisse et 8 gr. de sel.
Le lazaret n° 1, situé à une centaine de mètres du rivage sur la commune de La Possession, se compose de 3 bâtiments en pierre sous une toiture à 2 pans de tuiles plates. Chaque édifice est divisé en 2 sur la longueur : 2 salles au rez-de-chaussée, 4 grands dortoirs à l’étage accessibles par un escalier extérieur. Le plancher épais de l’étage laisse passer les malpropretés sur le rez-de-chaussée. Dans la cour un aqueduc amène l’eau. Mais l’isolement est relatif, des bazardiers viennent vendre du « rhum, du bétel ou de l’opium » aux internés. En 1900, une infirmerie est construite (ce qui élève à 4 le nombre de bâtiments), c’est la construction la mieux conservée. Après sa restauration en 2008, ce pavillon d’isolement présente une exposition permanente sur le thème « Quarantaine et Engagisme ».
Le lazaret N°2 se trouve à près de 2 km sur la rive droite de la Ravine de la Grande Chaloupe, côté Saint-Denis. Également entourés de hauts murs de moellon de basalte, 3 bâtiments en maçonnerie longs de quarante mètres à toitures à deux pans de tuiles, se présentent à l’identique :1 rez-de-chaussée en 2 salles, 1 premier étage avec une salle unique,1 deuxième étage en 2 salles. Devant les dortoirs, un bateau-lavoir en pierres de taille approvisionne le lazaret en eau. Chaque rez-de-chaussée accueille les malades jusqu’à la construction dans la cour, d’un hôpital et d’une pharmacie en 1865. Il ne reste que des ruines envahies d’arbres et de racines qui poursuivent leur œuvre de destruction.
Les «engagés du sucre» ne viennent pas tous des pays touchés par des épidémies. La quarantaine dure en moyenne dix jours dans ces lieux d’enfermement isolés de tout. Plusieurs personnes épuisées du voyage ou malades meurent, elles sont enterrées ou brûlées sur place. Les passagers du «Mathilda Wattenback» et du «Brandon» suspectés porteurs du choléra sont bloqués à bord pendant plus d’un mois en 1861. En janvier 1863, les lazarets de la Ravine à Jacques et ceux de la Grande Chaloupe sont occupés par 9 équipages sur la même période. Dans les lazarets à la fin de chaque convoi, le personnel doit blanchir les murs à la chaux, effectuer des fumigations médicamenteuses dans chaque bâtiment et chaque salle. Le matériel soupçonné contaminé est détruit par le feu.
L’immigration indienne se déroule jusqu’à 1882, date où l’Angleterre retire sa convention. Des habitants d’autres régions sont sollicités, «des Malgaches, des Cafres, des Comoriens, des Rodriguais, des Somalis, des Arabes, des Chinois, des Tonkinois» débarquent dans l’île. Comme les Indiens auparavant, ce nouveau public n’est pas systématiquement conduit dans les lazarets, à cause du manque de place ou parce qu’ils arrivent d’une région non sensible, certains sont déclarés aptes à travailler après quelques démarches comme s’ils avaient été soumis au confinement. Après la quarantaine, une visite médicale est obligatoire à Saint-Denis. Un conseil, composé d’un médecin-chef, du commissaire de l’immigration, de 2 propriétaires et d’1 délégué de l’expéditeur du convoi, certifie l’aptitude ou le ré-internement des individus. Les travailleurs sains sont envoyés vers les engagistes des propriétés sucrières ou des villes avec un numéro d’immatriculation et un livret d’engagement.
A partir de1882, les passagers isolés et les immigrants les plus souffrants sont accueillis dans des lazarets réaménagés. Les travailleurs étrangers (Européens, Piémontais…) chargés des Société du Port et du Chemin de fer y sont isolés. En 1928, même des Réunionnais débarquant dans l’île après un séjour à l’étranger, y sont internés. Malgré toutes les précautions prises, des individus débarquent en fraude, des maladies se propagent faisant de nombreuses victimes.
Les lazarets sont fermés vers 1935 – 1936.
Les habitants de La Grande Chaloupe dont le village est menacé par le trajet du Tram-train, sont à l’initiative de la restauration du site, aidés par des historiens et des collectivités territoriales.
Sources : Michèle MARIMOUTOU-OBERLE- Le Lazaret de la Grande Chaloupe-sous titre : Quarantaine et engagisme-Editeur : CG de la Réunion
Le Patrimoine Des Communes De La Réunion.Auteur : Collectif-Editeur : Flohic- Collection : Le Patrimoine Des Communes De France- Parution : 21/11/2000