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Les exilés de l’ordonnance Debré : Une tache plus qu’honteuse sur notre Histoire !

Notes de lecture :

Ecrit par Jules Bénard – le mercredi 07 novembre 2018 à 16H06
Il est des traces impardonnables de notre Histoire réunionnaise, des traces infamantes, humiliantes, que la repentance la plus sincère ne parviendra jamais à oblitérer. D’ailleurs, de repentance officielle, il n’y en eut jamais et les enfants des victimes attendent toujours. Je veux parler de l’esclavage ; des Enfants de la Creuse ; et, de ce qui nous intéresse ce jour, Les Victimes de l’Ordonnance Debré de 1960.
 
Deux ouvrages, que les passionnés ou simples curieux de notre Histoire, vont acquérir d’urgence, viennent de paraître aux Éditions Orphie : « Les Exilés de l’Ordonnance du 15 octobre 1960 », de Monique Payet-Le Toullec ; et « Le cahier de Nelly », de Nelly Barret.
 
Deux livres différents mais complémentaires
 
Le premier, « Les Exilés… », narre de A à Z toute l’affaire, depuis l’arrêté du premier Ministre Debré jusqu’à ses ultimes conséquences. Ce n’est pas un roman, ce n’est pas une biographie, ce n’est pas un essai historique. C’est un compte-rendu fidèle, quasiment jour pour jour, heure par heure, de ce qu’a été le drame de ces 13 bannis de notre République.
Le 15 octobre 1960, Michel Debré, alors premier Ministre du Général, remet en vigueur un décret du 4 mai 1946 stipulant que « les Hauts-Commissaires peuvent… ordonner le retour en métropole de tout fonctionnaire ou officier… » Ni une ni deux, 13 enseignants ou fonctionnaires d’État sont aussi sec « virés » en France métropolitaine !
 
Les motifs cachés de cette ordonnance sont limpides. Debré est un « impérialiste » au sens étymologique, un farouche partisan du maintien de « l’empire » colonial français. Lequel est alors très vaste malgré la perte récente de l’Indochine. Madagascar est indépendante depuis 1959. Debré tient à « sauver » ce qui peut encore l’être et, pour éviter à la « mère-patrie » de se faire laminer un peu plus, décide de foutre à la porte des départements et territoires tous ceux susceptibles de menacer l’hégémonie gauloise en outremer français.
 
On ne sait trop bien comment De Gaulle a pu laisser passer cette « loi scélérate » : deux ans plus tard, il avalisait les Accords de Genève. Debré, ennemi de cet « abandon » de l’Algérie, présentera plusieurs fois sa démission au Général, qui la refusera plusieurs fois avant d’y consentir. Pour Debré, De Gaulle était « un traître à la souveraineté française ». 
Monique Payet-Le Toullec revient sur tous les détails de cette honte, sans rien omettre.
 
Ce livre est donc une mise au point sans concession, mais c’est aussi un ouvrage militant, qui doit donc se lire comme tel. En outre, le livre bénéficie d’une très riche iconographie, avec photocopies des textes législatifs, titres et « UNES » des journaux de l’époque, photographies des 13 exilés concernés. Répétons-le, il s’agit de l’oeuvre d’une militante communiste qui pense et écrit comme telle.
 
Je dois avouer que moi, anti-communiste « primaire et viscéral », comme ils disent… l’ai apprécié au plus haut point.
Nelly, raconteuse émouvante
 
J’avoue aussi que j’ai beaucoup aimé « Le cahier de Nelly », qui fera désormais partie de ma bibliothèque personnelle. Il s’agit de la même histoire, mais vécue de l’intérieur par une femme qui fut une exilée ès-qualités parce qu’elle et son époux, militants communistes, enseignants, se retrouvèrent du jour au lendemain en région parisienne… où ils se trouvaient déjà en vacances.
 
Le récit de Nelly Barret m’a particulièrement ému parce que j’y ai retrouvé mon enfance, en l’air là-bas « dans l’ fond’ Russeau La Rivir’ ». Nombre de souvenirs que j’ai narrés dans « Souvenirs… » sont là, semblables à quelques virgules près. On prend un immense plaisir à cette lecture car l’auteure manie un français parfait. On y chercherait en vain le plus petit solécisme, le moindre barbarisme. C’est l’empreinte des meilleurs. Quant au style, R.A.S. J’en veux pour preuve cette simple annotation : « Des pêchers habillent les jardins tout doucement sortis de leur léthargie ». C’est-y pas joli ?
 
Si vous m’accusez de nostalgie, je vous dirai : c’est vrai. Outre les anecdotes d’une enfance faite de dénuement MAIS de bonheur (j’ai vécu la même), je retrouve au fil des pages des noms qui m’ont été et me restent chers.
 
Gervais Barret lui-même… Il fut 1er adjoint de mon ami le docteur Christian Dambreville, maire socialiste de Saint-Louis. Ma mère, la délirante Justy, m’a dit les meilleurs relations que elle, femme de droite, entretenait avec Gervais. Il tenait certainement par-dessus tout à élever le niveau d’instruction et d’éducation de notre jeunesse car toutes les demandes de Justy, directrice du collège des filles du Ruisseau, étaient satisfaites dans la journée ! Elle a précisé, et je me fais un plaisir de le rapporter, qu’elle eut de bien meilleures relations avec le communiste Gervais Barret qu’avec un futur maire de Saint-Louis, l’innommable Jean Fontaine, grossier, vulgaire, ne jurant que par la force et dont la devise (il me l’a un jour balancé en pleine gueule) était : « Si on n’est pas avec moi, on est contre moi ! » Élégant, non ? Quel humanisme !
 
Une époque trouble
 
Dans le récit exhaustif de madame Payet-Le Toullec, un juste hommage est rendu à Roger Payet, président de droite du Conseil général, qui s’est élevé CONTRE cette ordonnance, ce qui lui a valu d’être farouchement détesté par ses amis de même obédience.
 
Mon papa, Jules, a eu droit au même honneur… Il était alors le plus jeune conseiller général. Un matin, se rendant à Saint-Denis, il tombe sur Mario-Porno, conseiller général de Saint-Leu. La voiture de Mario était en panne, en fonction de quoi mon Papa le prit en stop. Tous ses amis de droite ne cessèrent jamais de le lui reprocher jusqu’à ce qu’ils le trahissent et qu’il se retirât de la politique.
 
Je vois apparaître le nom de Roland Malet, apprends qu’il était alors journaliste aux Échos et que ce fut grâce à lui que toute la presse métropolitaine fut mise au courant et prit fait et cause en faveur des exilés de Bourbon. Ça ne m’étonne pas venant de lui.
 
Tant qu’à rectifier…
 
Je vois apparaître le nom de Bruny Payet, frère de Nelly, prix d’honneur de sciences au lycée. Rien d’étonnant pour celui qui allait devenir un futur ingénieur de Centrale (ou des Ponts-et-Chaussées ?) L’occasion pour moi de saluer ce très grand visage du syndicalisme réunionnais, un homme qui, au lieu de faire carrière, s’est attaché à défendre les plus démunis, rejoignant en cela notre ami Georges-Marie Lépinay.
 
Mais l’histoire ne dit pas grâce à qui il devint cet ingénieur et ce serviteur zélé des plus pauvres… Il y eut un homme de droite, gros usinier et propriétaire, qui prenait en charge l’avenir estudiantin des fils de colons chez qui il décelait des potentialités avérés. Y compris lorsque ces colons étaient communistes. Il s’appelait Léonus Bénard, c’était mon grand-oncle. Tant qu’à rectifier l’Histoire, autant aller jusqu’au bout.
 
Le constat de Nelly Barret est impitoyable et il l’est jusqu’au bout. Si elle donne une vision très personnelle de « son exil », elle termine en constatant ce qu’il en est de La Réunion d’aujourd’hui. Constat peu honorable. Nous y adhérons totalement.
 
Je relève un point commun entre Nelly et moi : elle a eu, à l’école primaire, des problèmes de mauvaise humeur avec les fractions. Je vous rassure, Nelly : moi aussi.
 
« Le cahier de Nelly »
« Les exilés de l’ordonnance… »
En librairie

 

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