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Les barbares sont à nos portes…

Tribune libre d'un notaire anonyme.

Ecrit par zinfos974 – le mercredi 17 septembre 2014 à 15H20

« Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et l’esclave, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Cette citation de l’abbé Lacordaire, souvent galvaudée par les antilibéraux de tous poils, incarne néanmoins tristement l’actualité de ces derniers jours, au regard de la volonté gouvernementale de réformer les professions dites réglementées. 

 

Au-delà des débats oiseux sur la rémunération de ces professionnels libéraux, qui peuvent être considérés comme autant de contre-feux allumés dans la presse par un Gouvernement souhaitant les discréditer aux yeux des Français les plus modestes, cette réforme hasardeuse doit se lire dans un contexte macro-économique, et, si je puis dire, Macron-économique

 

En effet, ce qui se joue aujourd’hui ne résulte aucunement de la volonté propre d’un Gouvernement socialiste de détruire les professions libérales de son pays en faisant souffler sur elles un vent de… libéralisme (quelle ironie !), mais bien une volonté venant d’au-delà : une volonté européenne. 

Au plan économique, il est utile de rappeler que la France « décroche » inexorablement de ses partenaires européens, lesquels attendent d’elle d’importantes réformes structurelles (marché de travail, retraites, sécurité sociale, administrations, etc.). Notre pays a d’autant moins le choix qu’il a obtenu l’an dernier un délai de deux ans, soit jusqu’en 2015, pour ramener son déficit sous la barre des sacro-saints 3 % du PIB. Nous avons pu constater dernièrement qu’il ne pourrait aucunement tenir ce délai… 

 

Juridiquement, la France est donc désormais sous « surveillance renforcée » de Bruxelles, qui voit dans sa situation économique un risque pour l’ensemble de la zone euro et brandit maintenant presque ouvertement la menace de sanctions à court terme. Ce régime signifie concrètement que l’Europe pourra imposer à la France la mise en place de réformes structurelles.

 

C’est dans ce contexte économique peu flatteur, dans cette situation politique humiliante, qu’il faut appréhender la réforme que l’on nous présente aujourd’hui comme une nécessité : notre gouvernement est en train d’offrir à la Commission Européenne la réforme des professions réglementées – que cette dernière appelle depuis des années – contre un délai supplémentaire de deux ans pour ramener le déficit en deçà du seuil toléré. 

Dans la doxa économique bruxelloise, l’existence même de professions encadrées par les Etats internes est une aberration, qui heurte le droit européen de la concurrence. Pis, dans leur essence même, ces professions seraient d’importants freins à la croissance par leur manque de compétitivité, leurs tarifs prohibitifs et leur absence de réelle concurrence. La volonté de la Commission européenne est consécutivement de faire sauter tous ces verrous sur l’autel du libéralisme économique : liberté d’installation, fin des « monopoles » officiels ou de situation, suppression des tarifs pour laisser libre court au Marché, ouverture des capitaux des sociétés à tout investisseur… 
 

L’ensemble de ces mesures, qui sont reprises peu ou prou par le projet concocté par Bercy, est funeste à bien des égards : sous prétexte de « redonner du pouvoir d’achat aux ménages » par l’entrée des lois du marché dans ces secteurs protégés – et, soit-dit en passant, des électorats traditionnellement acquis à la droite – c’est, à court terme, des dizaines de milliers d’emplois détruits, à moyen terme, une désertification de certaines contrées peu favorables l’épanouissement du capitalisme, et, à long terme, l’entrée en jeu d’acteurs financiers internationaux, qui prendront des parts aux seins de ces structures moribondes… 
 

Le professionnel, à qui l’Etat avait délégué une mission particulière, voire un service public, va peu à peu perdre son indépendance et donc sa neutralité bienveillante : tel pharmacien travaillera pour telle société dont les parts appartiennent à tel laboratoire pharmaceutique ou à tel groupe agro-alimentaire. Tel huissier de justice sera supplanté dans l’exercice de son métier par les services de la Poste. Tel notaire fera partie d’une société de services juridiques aux mains d’une société de lawyers anglo-saxonne… Préférez-vous confier votre santé à M. Michel Edouard Leclerc ou à votre pharmacien habituel ? Confierez-vous plus volontiers la rédaction de vos dernières volontés à votre notaire de famille ou à un opérateur d’une structure juridico-bancaire au capital étranger ? 
 

Car il ne faut pas se leurrer : derrière cette réforme se profile une société articulée autour de grands groupes transnationaux, encadrant la totalité des échanges de services au rabais pour le plus grand bonheur d’une population abusée ! Si vous partagez cet objectif, soutenez la réforme du Gouvernement mais vous devez savoir qu’il est le strict opposé de notre idéal de liberté, de nos valeurs d’égalité républicaine et de justice sociale. 

L’exemple des notaires est éloquent : cette profession, dont les membres ont patiemment bâti notre droit depuis des siècles, se voit aujourd’hui profondément mise à mal, malgré les services importants qu’elle rend à l’Etat  (statistiques immobilières, calcul et perception bénévole de 22 milliards d’impôt par an, etc…). 

 

Il est envisagé de permettre la libre installation des notaires, là où leur implantation est jusqu’à ce jour fixée suivant un savant maillage établi par le Garde des Sceaux. Qui n’a pas aperçu un panonceau de notaires au fin fond d’un petit village en France ? Cette admirable volonté d’un égal accès au droit partout en France, y compris là ou d’autres services disparaissent, va très certainement laisser place à une ruée vers les grandes agglomérations (plus lucratives en termes d’affaires) et une concentration professionnelle qui aura raison des petites structures rurales. Qui sera le perdant ? 
 

Mieux, si demain le tarif des notaires est revu à la baisse, ou si les notaires se trouvent face à une nouvelle concurrence sur des domaines qui leur étaient autrefois réservés, aurons-nous toujours cette écoute et ces conseils gratuits auxquels nous sommes habitués ? En effet, si aujourd’hui la consultation d’un notaire ne génère aucun coût (le notaire étant rémunéré sur les actes qu’il établit) qu’adviendra-t-il lorsque les notaires seront devenus des avocats comme les autres ? Aura-t-on vraiment gagné du pouvoir d’achat ? 

On l’aura compris, les professions réglementées payent au prix fort les errements d’un gouvernement qui n’a pas su relancer la croissance, en baissant les charges sur les entreprises et les impôts sur les ménages, ni déjouer les plans des commissaires européens. 

 

Alors que se succèdent les révélations sur les détournements commis au sein de la classe politique française par les uns et les autres, pour des montants variés et selon des modalités différentes, il n’est plus possible de regarder chaque scandale isolément. 

 

Nos élites, de Cahuzac à Thevenoud, sont aujourd’hui désespérément minables, notre président est « normal » là ou il devrait être exceptionnel, le contrat social français se fissure de jour en jour. 

 

Nous sommes en 476 de notre ère, et les barbares sont à nos portes… 

 

Un notaire désabusé...

 

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