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Les « Francs-Créoles »

Les Francs-Créoles s’appuyant sur la charte mise en place par Louis-Philippe en France, en réclament l’application à Bourbon. Trois années de lutte de la classe moyenne libérale contre le pouvoir du Gouverneur et de l’aristocratie foncière locale nommés par le Roi, mèneront en 1832 à la mise en place d’un conseil colonial élu.

Ecrit par Sabine Thirel – le samedi 06 février 2010 à 07H47

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En juillet 1830 à Paris, Charles X est renversé et remplacé sur le trône par Louis-Philippe plus libéral. Celui-ci édicte la Charte par laquelle il «institue en métropole l’élection pour la formation des conseils généraux des départements, et la liberté de la presse» (cf. O. Caudron)

A Bourbon depuis 1815, la vie politique et économique est gérée par « la grande société » de la colonie comme Desbassayns et Villèle. La classe moyenne en est écartée. Nicole Robinet de la Serve,  propriétaire de l’usine « idéale » du Colosse, basée sur un modèle social qui se traduit rapidement par un échec économique, écrit en janvier 1833 : « une prétendue noblesse créole, qui vient on ne sait d’où et qui s’appuie sur on ne sait quoi, se considèrent pourtant comme formant exclusivement la classe des gens comme il faut…».
 
Nicole Robinet de la Serve n’est pas un inconnu dans l’île, puisque déjà en 1809, il prend le commandement contre la première attaque anglaise de Saint-Paul. Lorsque l’ile devient anglaise, il refuse l’allégeance à l’occupant et s’exile à Paris. En 1814, il s’associe aux parisiens pro Napoléon, pour interdire l’accès de la ville aux armées de la coalition. Sous la Restauration, opposant libéral, il lutte encore contre Louis XVIII. Avocat,il continue son combat, de retour à Bourbon en 1824.

 

L’économie de l’île est catastrophique suite aux cyclones de 1829 et  de 1830.

Le gouverneur Duval d’Ailly, fraichement nommé par Charles X, est récalcitrant aux changements. Le Conseil privé (gouvernement local) se compose du commissaire ordonnateur, du directeur de l’Intérieur, du procureur général et deux notables (Blancs, riches et conservateurs). Mais les libéraux réclament le droit de participer aux décisions locales par l’élection  de représentants de «la petite société» et la liberté de la presse.  
Ainsi, les propriétaires petits ou moyens non détenteurs du pouvoir économique veulent une partie du pouvoir politique. Ils vont manœuvrer pour prendre part aux décisions.
Sous l’impulsion de Robinet de la Serve, en 1830 une association secrète «les Francs-Créoles» siège au Quartier Français Sainte-Suzanne. Leur devise est : « Attachement à la France – Garantie des droits acquis – Etablissement d’une assemblée coloniale ».

 

Leurs premières actions sont de lancer des pétitions  pour que « le Conseil général soit une véritable assemblée représentative de tous les citoyens». Mais ne peuvent être électeurs que les propriétaires d’au moins 12 hectares de terres et de 10 esclaves, ce qui limite l’accès de l’Association également aux Blancs pauvres.
L’association officialisée le 15 mai 1831, trouve à sa tête Diomat, De Jouvancourt et Camoin. Elle regroupe essentiellement les petits ou moyens planteurs de l’Est (avant d’être rejointe par ceux de toute l’ile) comme Elie, Beaumont, Campenon, Salesse, Laclos, Robert, Charles et David de Floris, Dioré, Abadie, Sigoyer, Arthur Leclos, Cotteret, Lepervanche aîné, Dary Loupy, Nicolas Hibon et aussi entre autres, Jean-Baptiste Renoyal de Lescouble et François-Auguste Vinson.  
On dit que la plupart d’entre eux était Francs-maçons mais pour olivier Caudron «cela reste à vérifier».

 

Pour les Francs-Créoles, «tous les Français, créoles ou européens, âgés d’au moins vingt-cinq ans et habitant la colonie depuis au moins trois ans, devront bénéficier de droits politiques et ce quelle que soit leur couleur». Aussi, «l’Association reconnait l’égalité sans distinction aucune, de tous les hommes libres sur le sol de Bourbon». Mais qu’en est-il de la population esclave.   
D’après Olivier Caudron « s’il apparait acquis que Robinet de la Serve était abolitionniste, l’Association dans son ensemble ne l’était pas ; l’émancipation aurait d’ailleurs signifié la ruine de beaucoup de ses membres».
Les Francs-Créoles pensent asssi que l’esclavage participe au maintien de l’ordre social. « Le Franc-Créole considère l’esclavage comme un fait que le temps seul et les causes morales peuvent améliorer. Les lois ou règlements qui auraient pour but de porter atteinte à l’esclavage doivent être repoussées comme attentatoires à l’ordre public … dangereux pour la sûreté et la prospérité du pays. »

 

Pour le Franc-Créole «la métropole est un mauvais juge des intérêts coloniaux». Les habitants de la colonie  sont seuls à pouvoir décider de ce qui les concerne. Il clame à qui veut l’entendre «l’existence d’une patrie créole» et aussi qu’il est «Français mais colon avant tout» Ni démocratie, ni aristocratie, il réclame un pouvoir politique intermédiaire appuyé sur la classe moyenne. Il précise aussi que l’Association peut accueillir des «Européens» qui auront épousé les sentiments et les intérêts insulaires». Les libéraux axent leur association sur : la spécificité de la colonie. De plus chaque membre doit adopter la «profession de foi des Francs-Créoles».

Leur presse clandestine « imprimerie des Salazes » apparait en janvier 1832. « Selon Louis Brunet, l’imprimerie des Salazes fonctionnait dans les caves de la maison de Sigoyer à Quartier Français, « mais parfois on la transportait de nuit » pour éviter les recherches de la police, et elle fonctionnait en plein champ, les autorités ne parvinrent pas à la saisir »(cf. O.Caudron). En avril 1832, Le Furet, journal clandestin des Francs-Créoles sort des presses de l’imprimerie des Salazes. Cette presse a évidemment servi à répandre les idées de l’Association.

 

Ils obtiennent gain de cause avec la création du conseil colonial de Bourbon élu  directement, apte à «décider l’impôt, de régler les affaires intérieures». Sont dans la première assemblée, les Francs-Créoles suivant : Patu de Rosemond,   Hibon,   de Mahy,  Hubert Delisle, Le Coat de Kervéguen, Auguste Pajot, Valombreuse Dehaulme, Nicolas Hibon, Félix Vergoz. Ils obtiennent 15 sièges sur 36 à pourvoir. Non majoritaires, ils n’obtiennent ni législature locale, ni liberté de la presse, ni publicité des débats. C’est un cuisant échec. A l’arrivée du nouveau gouverneur Cuvellier, son objectif principal obtenu l’Association est dissoute.

De la Serve qui ne parle plus de Francs-Créoles mais de Parti colonial, continue de lutter pour la liberté de la presse refusée par le nouveau gouverneur, en publiant Le Salazien qui édite 130 feuilles entre 1832 et 1833. Mais malgré les déménagements nocturnes la presse est saisie par la police en juillet 1833. Cependant, un flangourin équipé de lettres servira encore pour l’impression quelques autres exemplaires du Salazien. Il s’arrêtera définitivement semble-t-il pour des raisons techniques puisque les dernières lignes de l’exemplaire N° 24 sont manuscrites. En 1880, la presse coloniale sera assimilée juridiquement à la presse nationale.

 

Sources :
Les Francs-Créoles de l’Ile Bourbon (1831-1833) Olivier Caudron – Cahiers de notre histoire – Editions CNH
– « Voyage aux colonies orientales » Jean Baptiste Lescouble  
– « Le grand livre de l’histoire de La Réunion » Tome 1 – D. Vaxelaire – Orphie
– Le mémorial de La Réunion – Les Francs-Créoles dans la mélée – Tome 2 – Henri Morin et Jacques Lentge  
– « L’énergumène créole » Robinet de la Serve biographie – Marc Bressant  (de son vrai nom, Patrick Imhaus)    – 2007 (ci-contre)

 

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