« L’opération de concentration ainsi examinée […], ne peut apparaître que comme très défavorable au développement du pluralisme concurrentiel, comme au développement de l’économie de l’île tout entière, et plus encore comme très préjudiciable aux intérêts des consommateurs ».
En seulement quelques phrases, l’étude d’impact décrit un scénario très inquiétant et déjà redouté par de nombreux Réunionnais.
Réalisée par la société de consulting Bolonyocte à la demande de l’OPMR, l’étude fait état de gros risques autour du rachat de Vindémia par le groupe antillais Bernard Hayot.
Ce dernier atteindrait ainsi un chiffre d’affaires global à La Réunion de l’ordre d’1,7 milliard d’euros, totalisant environ 45% des dépenses de consommation courantes des ménages réunionnais.
Des chiffres astronomiques, qui conféreraient à GBH une position dominante, bien loin de renforcer l’équilibre concurrentiel de la grande distribution sur notre île.
L’opération donnerait un pouvoir de marché très sensiblement accru à GBH, « et même inédit sur un territoire domien », précise le compte-rendu de l’étude, du jamais vu en outre-mer donc.
Bolonyocte note également le contexte très singulier de cette opération: « Au fond, elle vise à permettre à un acteur déjà dominant sur beaucoup de secteurs majeurs de l’économie réunionnaise, et donc par voie de conséquence sur l’économie toute entière, d’étendre cette domination à l’un des rares secteurs où il ne l’est pas à ce jour ». Car le secteur de la distribution généraliste est aujourd’hui le seul où le groupe GBH détient une part de marché inférieure à 20%.
L’étude prévient dès lors : « Cette opération, si elle est autorisée, aurait des impacts majeurs très structurants et probablement irréversibles sur le paysage de la distribution généraliste, avec notamment des risques sérieux de disparition de certains acteurs, au premier rang desquels le nouvel acteur Make Distribution, mais, au-delà, sur les équilibres économiques et même sociaux de l’île ».
L’étude prédit la suppression d’emplois par centaines…
Le cabinet d’audit estime par ailleurs que la défaillance prévisible de Make Distribution entraînerait la perte ou la précarisation de 200 à 500 emplois sur une période de 12 à 36 mois.
« A cet égard, on ne peut donc considérer que, en l’état, l’opération de concentration proposée par le groupe GBH comprenant l’engagement de cession à Make Distribution de 4 hypermarchés présenterait une garantie de sauvegarde des intérêts des 2.150 salariés du groupe Vindémia. »
À noter que ces risques sérieux sur le plan social existent également pour le secteur aval des fournisseurs et des producteurs locaux selon l’étude.
… et une hausse des prix
« La forte concentration et l’absence de pluralisme concurrentiel dans un secteur de l’économie ne sont jamais favorables à son dynamisme, pas plus qu’il ne l’est à la modération des prix de vente aux consommateurs », précise l’étude.
Elle prévoit d’abord une baisse des prix chez l’acteur dominant pour se positionner face à son concurrent E.Leclerc, déclenchant ainsi une guerre des prix qui ne devrait durer que quelques années avant d’avoir un impact très négatif sur les autres acteurs, entraînant leur marginalisation, voire disparition. Les producteurs locaux seraient donc face à une dépendance économique.
Face à une intensité concurrentielle à la baisse, les efforts se réduiront du côté des acteurs dominants (GBH et Leclerc) jusqu’à atteindre une phase de « normalisation » pour finalement relever les prix de façon durable faute de concurrence suffisante.
Un scénario assez classique dans ce genre de situation selon Bolonyocte, qui conclut : « Au final donc, l’ampleur de la concentration du marché de la distribution généraliste qui résultera de l’opération projetée devrait immanquablement se traduire, d’une part, par une élévation des prix de vente au consommateur, mais aussi par une diminution de la diversité de l’offre comme de son caractère innovant. »
Une assemblée plénière avec les membres de l’observatoire et les parties concernées
Ce vendredi soir, les membres de l’observatoire, ainsi que les représentants de GBH et Make Distribution se sont réunis en assemblée plénière pour débattre sur le rapport de Bolonyocte. Pour Michel Lapeyre, directeur général de GBH, « les chiffres (de cette étude, ndlr) sont fantaisistes et souvent faux ». « L’Autorité de la concurrence a les éléments fiables et rendra sa décision dans quelques semaines », affirme-t-il.
Les préconisations de Bolonyocte: La cession de plus de supermarchés de la part de GBH
Mais Christophe Girardier, président du cabinet Bolonyocte, rappelle que selon lui, une « toute autre opération » devrait être proposée par l’Autorité de la concurrence, et pas seulement « des nuances ». « Ce duopole Hayot-Leclerc représenterait deux tiers du marché avec une majorité de Hayot si nous ne parvenons pas à rééquilibrer ». L’équilibre serait possible avec une « opération plus modérée » et la cession de « plus que quatre supermarchés à Make Distribution (Jumbo Sainte-Marie, Jumbo Saint-André, Jumbo Chaudron, Jumbo Savanna, ndlr) « . Pour Christophe Girardien, il en faudrait au moins cinq ou six.
Le gouvernement a son mot à dire
Tout cela peut aussi être imposé par le ministre de l’Economie. Ce dernier peut ordonner la réexamination de l’affaire par l’Autorité de la concurrence ou statuer lui-même sur l’affaire. Des décisions qui seront prises dans les semaines à venir.