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Le prof a crié : faux problème et fausses solutions

La semaine dernière, jeudi 13 pour être précis, Zinfos974 a publié un courrier des lecteurs signé de Luc-Laurent Salvador, psychologue scolaire, intitulé « Crier sur un élève est une violence psychologique ». Professeur au lycée après l’avoir été au collège, frère d’un professeur des écoles, je l’ai lu d’abord avec curiosité puis avec consternation. Il […]

Ecrit par Éric-Marecombe – le lundi 17 octobre 2022 à 13H27

La semaine dernière, jeudi 13 pour être précis, Zinfos974 a publié un courrier des lecteurs signé de Luc-Laurent Salvador, psychologue scolaire, intitulé « Crier sur un élève est une violence psychologique ». Professeur au lycée après l’avoir été au collège, frère d’un professeur des écoles, je l’ai lu d’abord avec curiosité puis avec consternation. Il me semble pertinent de revenir sur les propos qui y sont développés. Mais avant leur contenu, c’est le manque d’à-propos dans le tempo qui me laisse perplexe. Au moment où des mineurs ont été interpellés pour l’agression de policiers à Saint-André, où à l’approche de l’hommage prévu à Samuel Paty, décapité suite aux mensonges d’une élève de 13 ans, de nouvelles menaces de mort sont proférées à l’encontre d’enseignants, l’urgence est-elle de dénoncer des professeurs qu’on voudrait rendre coupables de tous les maux ? En dehors des cris, voici des pratiques courantes dans nos écoles, selon ce courrier : « tirer les cheveux, pincer, secouer, pousser un élève de maternelle pour le faire tomber, injurier, brimer, humilier, brusquer les élèves en les invectivant, en les menaçant, en les saquant ». Il ne manque plus que les brûlures de cigarette sur les bras. Apparemment, nombre d’enseignants ne seraient que des sadiques jouissant d’une impunité totale, garantie par leur hiérarchie. Ce serait risible si ce n’était pas insultant.

Mais le courrier commence par une référence à la législation, ce qui me paraît un bon point de départ : on ne s’intéresse jamais assez à ce que dit la loi. Allons donc voir cet article 222-13 du Code civil qu’il invoque. Que dit-il ? Eh bien, il ne dit rien, puisqu’il n’existe pas. Nous sommes mal partis. En réalité, c’est l’article 222- 13 du Code pénal qui nous intéresse. Espérons que notre auteur se montre plus rigoureux quand il s’agit de vérifier l’authenticité du témoignage des enfants qu’il reçoit que pour citer correctement les textes sur lesquels il prétend s’appuyer. On commence par confondre Code civil et Code pénal et on finit par confondre élever la voix et crier, recadrer et injurier, mettre en garde et menacer.

L’article 222-13 concerne « les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail ». Si l’on remonte le fil des articles précédents de la section, on trouvera le cas d’une ITT supérieure à huit jours, les mutilations, l’homicide involontaire et enfin la torture et les actes de barbarie. Autant dire qu’un professeur qui crie sur un élève se tient tout au bas de l’échelle de la gravité, bien loin des assassins d’Ilan Halimi. J’exagère ? Non : je replace les choses dans une juste perspective, pour mieux les voir. À qui fera-t-on croire qu’un élève pourrait subir une ITT de cinq ou six jours parce qu’on lui a crié après ? Ou qu’un professeur qui a crié sur un élève insolent, agressif, injurieux et ingérable, voire menaçant envers ses camarades, mérite trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende, comme prévu par cette loi ? De toute évidence, celle-ci ne concerne pas la situation où un professeur se mettrait à crier, ce qui pour être détestable, n’est pas pour autant un délit et encore moins un crime. M. Salvador appelle à son secours une loi qui en réalité ne mentionne nulle part le fait de crier, parce que de toute manière elle ne définit pas ce qui constitue une violence. C’est lui qui affirme que crier en est une, ce n’est pas la législation en vigueur.

Excédé par le comportement d’une classe de 5e , j’ai décidé un jour de frapper un grand coup – au sens figuré, est-il utile de le préciser ? Au début du cours, j’ai laissé les élèves debout pendant vingt minutes, pendant que je criais ce qu’ils n’avaient pas écouté quand je le disais calmement, de ma mélodieuse voix de ténor habituelle. Aucun ne s’est retrouvé à l’infirmerie. Aucun n’a été placé en ITT, fût-ce pour une journée. Mais au cours suivant, la déléguée m’a remis une lettre d’excuses signée des 24 élèves de la classe, dans laquelle ils s’engageaient à s’amender. Ils tinrent parole. Dès lors et jusqu’à la fin de l’année, où plusieurs me demandèrent de garder la classe l’année suivante parce que « au moins avec vous, on fait pas trop les c*ns », les cours se déroulèrent dans l’ambiance détendue, fondée sur la confiance réciproque, que j’essaie à chaque rentrée, et avec succès, de créer avec mes élèves – une ambiance « familiale », pour reprendre le terme de mon Inspectrice dans son dernier rapport.

En m’entendant crier, les élèves n’ont pas été traumatisés, ils ont été saisis, ce qui leur a permis de se ressaisir. S’il y a quelque chose de violent dans le fait de crier, c’est malgré tout le seul moyen de se faire entendre dans certaines situations. Parfois, tout ce que l’on peut faire pour capter l’attention de 24 enfants qui bavardent, s’agitent, s’excitent, voire se disputent, c’est de hausser la voix pour couvrir le bruit qu’ils font.

Je ne prends aucun plaisir à crier sur des enfants et n’ai jamais ressenti le « petit shoot de contrôle ou d’emprise dont [l’enseignant] devient vite dépendant et qui, fatalement, mène à une escalade » que M. Salvador a cru observer je ne sais où, dans un monde imaginaire où les professeurs se drogueraient à l’agressivité, voire à la pure méchanceté. Il faudrait être pervers pour éprouver une quelconque jouissance en criant sur des enfants. Au lieu d’une escalade, ce qui s’est passé dans l’exemple que je cite est au contraire une prise de conscience : les élèves ont compris qu’ils étaient allés trop loin. On ne peut recourir à cette extrémité que si toute autre forme de communication a échoué. Car si crier est la pire manière de communiquer, cela n’en reste pas moins une forme de communication en cas de crise.

Les rares professeurs qui crient de manière habituelle ne traumatisent pas non plus les élèves, du moins dans le secondaire – je reconnais qu’il en va différemment pour des enfants plus jeunes et donc plus impressionnables. Au collège et au lycée, les élèves finissent par perdre tout respect pour un enseignant qui ne parvient pas à asseoir autrement son autorité : ils se moqueront d’un adulte qu’ils jugeront fatigant, mais ils n’auront pas peur de lui car ils ne le prendront plus au sérieux. Ces professeurs-là ne sont pas des pervers, eux non plus n’agissent pas par plaisir. Ce sont des gens qui, n’ayant pas d’autorité, pratiquent un autoritarisme dont les élèves ne sont pas dupes : ils perçoivent la différence entre l’autoritarisme, avec son côté arbitraire mais aussi fragile, et l’autorité dont ils savent bien qu’elle leur est nécessaire, même quand ils la contestent, étape obligatoire pour s’affirmer en tant qu’individus.

Je ne m’attarderai pas plus que cela ne le mérite sur l’affirmation selon laquelle « des enseignants [pourraient] être à l’origine » du harcèlement scolaire, par « la brutalité des pratiques éducatives ». Si un élève est harcelé, moqué, intimidé, insulté, racketté, frappé par des camarades, c’est parce que le professeur est trop sévère ? Ridicule. Tout autant que l’accusation formulée envers les professeurs « à l’origine, dans la majorité des cas, de la hantise ou même de la phobie que développent des élèves vis-à-vis de l’école », qui résulterait « de la brutalité des pratiques éducatives qu’ils ont eu à connaître ». La réalité, c’est que les élèves souffrant de phobie scolaire – j’en connais de près – n’ont pas été traumatisés par la « brutalité » de leurs enseignants. Déjà en proie à des difficultés d’ordre psychologique et/ou cognitif antérieures à leur scolarisation, ils ne sont jamais parvenus à s’adapter au milieu scolaire et se sentent dépassés. Ils ne comprennent pas ce que l’on attend d’eux, tout va trop vite par rapport à leurs capacités et à leur rythme propre, et ils ne trouvent aucun sens à ce qu’ils font. C’est l’impossibilité de trouver leur place qui les plonge dans cette grande souffrance.

Il est injurieux de prétendre que leurs professeurs en rajouteraient en les humiliant. Dès qu’ils s’aperçoivent du problème, leur réaction est bien plutôt de proposer aux parents une structure plus adaptée : cela peut aller, selon la situation, de l’ULIS (Unité Localisée d’Inclusion Scolaire) à l’IMP (Institut MédicoPédagogique). Si un enseignant non spécialisé ne sait pas comment s’y prendre avec un élève de ce profil, ce n’est pas le professeur qui n’est pas à sa place : c’est l’enfant. Il conviendra de lui trouver celle où l’on pourra répondre à ses besoins spécifiques. Mais ce sont le plus souvent les familles qui refusent ces solutions et sont dans le déni. Quand on voit qu’aujourd’hui, le redoublement est perçu comme une humiliation – « ton cousin passe en 4e , lui, donc pas question que tu redoubles » – alors qu’il est le plus souvent bénéfique, on conçoit sans peine la difficulté à admettre un réel problème d’ordre psychologique ou cognitif chez notre enfant.

Notre auteur impute l’incompétence qu’il veut prêter aux enseignants à leur manque de formation en psychologie. Comme il arrive parfois à des spécialistes, il s’imagine que sa spécialité serait la panacée face à toutes les questions. Je ne nie pas qu’un minimum de formation de ce côté-là soit utile, mais la réalité, c’est qu’on n’a pas besoin d’être un psychologue professionnel pour avoir de la psychologie au sens large. Il suffit d’avoir de l’expérience humaine, des yeux, des oreilles et un cœur. Toutes choses dont les professeurs sont dotés, et qu’ils ont choisi de mettre au service des enfants qui leur sont confiés. Ils ne sont pas le ramassis de monstres assoiffés de pouvoir sur des êtres fragiles que nous décrit M. Salvador.

Le pompon sur la cerise, comme dit une amie à moi, c’est l’idée d’établir un règlement de la classe avec les enfants eux-mêmes, sous couleur de « donner enfin la parole aux enfants » afin d’« achever le projet révolutionnaire consistant à donner la parole aux citoyens ». Faut-il vraiment rappeler que les enfants ne sont pas des citoyens, et qu’il y a une excellente raison à cela ? Étant donné leur jeune âge, la faculté de raisonner, de discerner et de hiérarchiser leur fait encore défaut, et l’expérience aussi, par définition. De plus, il y a un danger au fait même d’établir un règlement de la classe : celui de se retrouver avec des règles et des sanctions différentes d’un groupe à l’autre. Quand ils s’apercevront que les mêmes manquements sont sanctionnés plus sévèrement en CM2 Bleu qu’en CM2 Rouge, les élèves se diront à juste titre que ce n’est pas équitable.

Or, s’il y a une chose à laquelle les enfants se montrent particulièrement sensibles, c’est bien à la justice. Peu importe qu’ils aient été associés à l’élaboration des règles et des sanctions : l’essentiel est qu’ils en perçoivent le caractère juste, c’est-à-dire non-arbitraire, approprié, proportionné et progressif. Il est par ailleurs naïf de croire que sous prétexte qu’ils auraient participé à leur conception, ils accepteront sans sourciller d’être sanctionnés si jamais vient leur tour. Il en va de même pour les parents. Les sanctions ne sauraient s’appliquer qu’aux enfants des autres, car le leur est un ange de pureté qui ne fait jamais rien de répréhensible. Notre auteur n’a rencontré que des professeurs tyranniques et jamais aucun parent de mauvaise foi. Je serais curieux de savoir où : je n’ai jamais visité ce pays-là.

En réalité, le caractère juste des règles et des sanctions ne sera assuré que par un règlement commun à toutes les classes. C’est pourquoi il existe un règlement intérieur dans chaque établissement, élaboré soit par le conseil d’école où siègent des parents élus, soit par le conseil d’administration du collège ou du lycée, où siègent aussi des parents mais également des élèves élus, ce qui en fait bel et bien des instances démocratiques, n’en déplaise à notre auteur qui ne considère pas la démocratie représentative, qui est la nôtre depuis des lustres, comme une « vraie démocratie ». Seul le règlement de l’établissement a une valeur légale : le règlement de la classe n’en a jamais eu aucune. En cas de contestation et de conflit, croyez bien que les parents sauront s’en souvenir. Dès lors, on peut en appeler à la Révolution française tant que l’on voudra, bien que ce ne soit pas elle mais la IIIe République qui ait le plus fait pour le statut des enfants dans la société, mais s’imaginer qu’un règlement de classe conçu par des élèves encore insuffisamment matures sera la solution miracle à tous les problèmes relève d’une dangereuse naïveté. Préparer les élèves à la citoyenneté ne revient pas à leur faire croire que la loi n’est valable qu’élaborée avec leur participation directe ou leur consentement. Combien de fois, dans la vie adulte, ne doit-on pas se plier à une loi que l’on juge idiote, absurde, voire mauvaise, mais que l’on doit bien appliquer parce que… eh bien parce que c’est la loi ? On n’apprendra pas les principes démocratiques à des enfants, on ne les préparera pas à leur vie adulte de citoyens, en leur donnant l’illusion qu’ils vivront toujours sous des lois qu’ils auront choisies.

Qu’on le veuille ou non, une salle de classe est un lieu où l’on est initié à la démocratie de diverses manières, sans être elle-même un lieu pleinement démocratique : il n’y a qu’un citoyen dans la classe, responsable du groupe, y compris devant la loi. La prétendue « éducation démocratique » n’est qu’un leurre.

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Sinead
il y a 5 mois

Je salue l’intelligence et la brillante pertinence de cet article. Bravo et merci !

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