Depuis quand mettre un micro sous le nez du premier quidam venu est-il réellement une démarche informative digne de ce nom ?
– Madame, pensez-vous que le vaccin AstraZeneca soit efficace pour les plus de 65 ans ?
– Monsieur, les manifestations en Bordurie centrale fragilisent-elles la position de la France dans cette partie du monde ?
– Madame, la baisse du Cac 40 est-elle liée à la démission du général Alcazar ?
– Monsieur, l’Union européenne doit-elle intervenir dans le conflit du Haut-Karabagh ?
Bref, pour les adeptes du micro-trottoir, nous sommes tous des scientifiques, des économistes et des spécialistes de relations internationales. Nous avons un avis sur tout. Nous avons surtout un avis ! Qu’il importe absolument de partager avec le reste de la planète.
L’inflation de ce type de reportages est sans doute à mettre en relation avec l’ère des réseaux sociaux dans laquelle nous évoluons depuis des années. Le XXIe siècle est le siècle de l’exhibition et de la mise en scène de soi. La téléréalité, la première, a utilisé cet engouement de notre époque pour la mise à nu médiatique. Et aujourd’hui l’information devient également un spectacle télévisuel, voire radiophonique, où l’important est moins la transmission d’une information que les réactions qu’elle suscite.
Le micro-trottoir participe, à sa manière, à ce mouvement de mise en avant des « vrais gens » (comme aiment à le dire les politiques) dont le discours serait plus authentique que celui des professionnels de la parole.
Mais où est le journalisme dans ces séquences, passages obligés de tout J.T. ? Où est l’investigation, l’enquête, l’analyse, l’opinion ?
Pratique aux antipodes du véritable travail journalistique, le micro-trottoir peut se révéler une redoutable arme de manipulation : la dame ou le monsieur à qui le micro est tendu deviennent, malgré eux, les porte-paroles d’une opinion, d’une tendance. Et avec un montage habilement réalisé, un jugement personnel, singulier, totalement subjectif, prend l’apparence d’une vérité communément admise.
Ainsi se met en place une « société du micro-trottoir et de la connaissance spontanée » qui donne une place privilégiée à la parole populaire. Plus besoin d’analyse et/ou d’expertise qui introduirait trop de complexité dans le débat ! La parole du citoyen acquiert une autorité qu’ont perdu les discours des élus, des chercheurs, des décideurs.
Tout est en place pour une information manichéenne aux côtés de laquelle vont proliférer fakes news et autres réalités alternatives.
Tout est en place pour que chacun bénéficie du fameux « quart d’heure de célébrité » cher à Andy Warhol.