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Le dilemme de l’abstention

De nouvelles échéances électorales sont très proches. Elles concerneront les présidentielles au mois d’avril et les législatives au mois de juin prochains. Il s’agit des plus importantes élections nationales pour élire le Président de la République ainsi que les députés, et par là-même de choisir les grandes orientations politiques de la prochaine mandature à travers […]

Ecrit par Mario Edmond – le lundi 17 janvier 2022 à 09H55

De nouvelles échéances électorales sont très proches. Elles concerneront les présidentielles au mois d’avril et les législatives au mois de juin prochains. Il s’agit des plus importantes élections nationales pour élire le Président de la République ainsi que les députés, et par là-même de choisir les grandes orientations politiques de la prochaine mandature à travers les programmes des candidats qui se soumettront aux suffrages des électrices et des électeurs.

En démocratie, un élu n’a de poids que ce qu’il représente en termes de voix et son programme de légitimité qu’à travers l’approbation qu’il reçoit des suffrages recueillis lors de l’élection. Ce sont les déterminants de sa réelle capacité à agir. Si bien qu’au-delà des candidats et des partis, des appartenances politiques de droite comme de gauche, un sujet est particulièrement au centre des préoccupations qui est le taux d’abstention qu’il va y avoir.

En effet, nous assistons depuis un certain nombre d’années à travers les différentes consultations à une baisse significative de la participation et donc à un taux d’abstention en constante progression, que ce soit d’ailleurs pour des élections nationales que pour des élections locales. Les explications à ce phénomène sont diverses, certains prétendent que c’est la manifestation d’un désintérêt de la chose publique et de la politique, parfois des offres politiques insuffisantes alors qu’il y a pléthore de candidats, d’autres estiment que c’est une forme de protestation quand bien même il existe d’autres moyens permanents de manifester son mécontentement par les grèves, les mouvements contestataires contre certaines réformes, les enquêtes d’opinions ou encore les réseaux sociaux…

Ainsi, à chaque soir d’élection, les interrogations sont nombreuses : l’abstention met-elle en péril la démocratie ? une élection est-elle recevable lorsque l’abstention dépasse un taux trop élevé ? un élu est-il légitime lorsqu’il a été élu avec un très faible nombre de voix sachant qu’aux dernières élections législatives, beaucoup de candidats n’ont pas réuni suffisamment de suffrages pour se maintenir au second tour et ont dû être repêchés ?

Il est une évidence qu’il ne peut y avoir d’élus s’il n’y a pas d’électeurs. Mais le pire, c’est que le contraire existe. Il n’y a qu’à voir dans les pays totalitaires ou de démocraties de façade. C’est ce que l’on pourrait appeler l’abstention contrainte. Les citoyens soumis ou insoumis n’ont pas de droit de vote et pourtant il y a des chefs d’états, des juntes, des tribus, des castes et des assemblées avec des personnes toutes désignées et non élues qui gouvernent. Ils s’autoproclament, se cooptent, s’auto-héritent du fait de leur descendance ou de leur rang, quand ils ne s’arrogent pas du pouvoir par un coup d’état pour gérer leur pays à leur guise.

En France aussi, nous avons connu en d’autres époques désormais révolues certaines formes d’abstention contrainte. Sans remonter au temps de la monarchie absolue mais seulement à la révolution, le régime censitaire n’offrait pas à tous le droit de vote et les femmes étaient tout simplement privées de leurs droits civiques. C’est au prix de dures luttes qu’elles ont revendiqué en vain le droit de vote, payant parfois le prix le plus fort de leurs propres vies telle la très honorable Olympe de Gouges qui s’est pour ainsi dire sacrifiée puisqu’elle a fini guillotinée pour les nobles causes qu’elle défendait. Elle mériterait amplement d’entrer au panthéon pour ses combats tant pour les droits des femmes à la citoyenneté que pour l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort.

Il aura fallu attendre le gouvernement provisoire de 1848 avec Alphonse de Lamartine et Victor Schœlcher pour instaurer le suffrage universel masculin et presque la moitié du vingtième siècle pour que les femmes puissent avoir enfin le droit de vote, élargissant d’une stricte égalité le cercle démocratique à toutes et à tous.

De nos jours, ce sont tous les citoyens en âge jouissant de leurs droits civiques, ce sont les électrices et les électeurs qui choisissent les élus issus du peuple lors des élections. Chaque électrice, chaque électeur détient la totale liberté de vote pour le candidat et le programme de son choix, ou encore de voter blanc permettant ainsi à la démocratie de s’exprimer pleinement. Même l’abstention est permise sans qu’il s’agisse d’une abstention contrainte.

Pour autant, cette augmentation de l’abstention interpelle. Des études démontrent que les personnes âgées votent davantage que les jeunes, que les femmes votent moins que les hommes, que l’individualisme conduit les citoyens à s’intéresser davantage à leur sphère privée qu’aux choses publiques et que la défiance envers les politiques est aujourd’hui plus grande qu’autrefois.

En raison principalement du niveau élevé de l’abstention, on aboutit régulièrement au paradoxe d’avoir des élus ayant légalement remporté l’élection avec le mode de scrutin majoritaire mais qui sont en fait minoritaires par rapport au collège électoral. L’abstention a cette conséquence de ternir l’esprit démocratique tel qu’il est conçu et d’entacher la crédibilité des élus en même temps qu’elle prive certaines réformes sociales et sociétales préconisées d’une réelle légitimité sortie des urnes pour nourrir ensuite les plus vives contestations lors de leur application.

Nonobstant ce constat, on peut en déduire deux principes essentiels, le premier est que l’abstention n’empêche pas l’élection. C’est ainsi que l’on se retrouve de plus en plus souvent avec des élus occupant les plus hautes fonctions sans une réelle adhésion de la majorité de la population dès leur élection. Aussi, quel que soit le niveau de l’abstention, il y a des élus. Peut-on imaginer un pays démocratique sans Président, sans députés ? Comment gouvernerait-on le pays ? Comment justifierions-nous la réputation de peuple réfractaire si nous n’avions plus d’élus à qui s’opposer ni de reformes à contester ? L’anarchie vaudrait-il mieux qu’une démocratie affaiblie ?

Le second est la conséquence du premier. Puisque l’abstention n’empêche pas l’élection, l’abstention n’est en définitive qu’une procuration fictive et de libre choix de laisser à d’autres la liberté, le droit et le devoir de choisir à la place de celles et ceux qui s’abstiennent. Il en résulte ce qui peut être perçu comme un contresens à la thèse de l’indifférence alléguée que bon nombre de ces abstentionnistes, parce qu’ils sont de plus en plus nombreux mais tout aussi concernés par les décisions politiques, s’exonèrent de leur choix d’abstinence lors des élections et comptent très souvent parmi les plus mécontents et les plus revendicatifs envers celles et ceux qui ont été élus et qui gouvernent, quels qu’ils soient.
 

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