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Le billet d’humeur de Mohamed Aït-Aarab : Un village Potemkine

Au XVIIIe siècle, lorsque la grande Catherine II, impératrice de toutes les Russies, visitait une province de son vaste territoire, la petite histoire raconte que son ministre Grigori Potemkine faisait construire des villages en carton pâte pour donner l’illusion d’un pays prospère et heureux. Les visites ministérielles obéissent, dans notre département comme dans toutes les […]

Ecrit par Mohamed Aït-Aarab – le mercredi 28 août 2019 à 09H37

Au XVIIIe siècle, lorsque la grande Catherine II, impératrice de toutes les Russies, visitait une province de son vaste territoire, la petite histoire raconte que son ministre Grigori Potemkine faisait construire des villages en carton pâte pour donner l’illusion d’un pays prospère et heureux.

Les visites ministérielles obéissent, dans notre département comme dans toutes les autres régions de la République, à un protocole immuable et bien rodé : bouquet de fleurs offerts, embrassades d’enfants, visite de structures flambant neuves, discours de circonstance et promesses.

La visite, la semaine dernière, de M. Jean Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, et de Mme Sophie Cluzel,  secrétaire d’état en charge des personnes en situation de handicap, n’a pas échappé à la règle. Nous avons entendu parler d’école inclusive, d’habitat inclusif. On s’est félicité de l’action de l’État en matière de prise en charge du handicap à la Réunion. Et le cortège ministériel s’en est allé, laissant derrière lui une situation préoccupante. 

Les lignes qui suivent n’ont pour objet ni de verser dans le catastrophisme, ni de dénigrer le travail de qui que ce soit. Il est simplement d’établir un état des lieux, certes incomplet, mais qui démontrera à tous l’ampleur du chantier à mener. Au-delà des belles (et vaines) paroles ministérielles.

1. Un malade souhaitant intégrer un foyer d’hébergement médicalisé doit attendre quelquefois jusqu’à dix ans pour espérer obtenir une place. En effet, les structures gérant ce type d’habitat sont en nombre insuffisant et ne disposent pas des moyens humains et financiers leur permettant d’accueillir les malades.

2. Les services d’accompagnement à la personne souffrent des mêmes maux. En moyenne, un délai d’attente de deux ans est nécessaire pour bénéficier de ce service d’aide et de soutien.

3. Malgré les propos de Mme Cluzel vantant les mérites d’un « habitat inclusif », les appartements thérapeutiques sont, à la Réunion, en nombre tellement limité qu’en l’absence d’un entourage familial structuré, c’est la rue qui accueille nombre de malades.
4. En cas de crise ou de décompensation, les malades n’ont d’autre choix que les urgences des hôpitaux. Or, celles-ci, largement débordées car en sous-effectif depuis des années, n’ont pas vocation à accueillir les malades psychiques qui ont moins besoin d’une hospitalisation que d’une écoute bienveillante.

5. Pour faire suite aux propos du ministre de l’Éducation nationale, il convient de rappeler que les U.L.I.S. (Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire) sont en nombre notoirement insuffisant, obligeant certaines familles à effectuer des dizaines et des dizaines de kilomètres pour scolariser leurs enfants.

6. Les Centres Médico-psychologiques, qui dépendent du C.H.U., ne comptent qu’un psychiatre par centre. Il faut donc patienter deux à trois mois pour un rendez-vous, délai qui exclut toute possibilité d’un suivi régulier et efficace des malades.

7. Les SAMSAH (Service d’Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés), structures instituées par un décret de mars 2005, faute de personnel en nombre suffisant, doivent fermer leurs portes le vendredi à quinze heures. Que deviennent les malades en crise le vendredi à seize heures ?

8. Terminons par la question de l’accessibilité des personnes en situation de handicap dans nos villes et nos administrations. La loi du 11 février 2005 qui renforçait un premier ensemble législatif datant de 1975 avait introduit l’échéance de 2015 pour la mise aux normes de tous les bâtiments administratifs. En 2014, l’échéance a été repoussée … aux calendes grecques. Que pouvons-nous attendre d’un État qui bafoue les lois qu’il a fait adopter ?

Ce bref panorama, lacunaire et subjectif, donne une idée incomplète de la situation des personnes handicapées sur l’île de la Réunion. Mais il suffit pour prendre la dimension des défis à relever.

Pourtant les bonnes volontés ne manquent pas. Pourtant le milieu associatif est actif, engagé, déterminé. Pourtant, les familles remuent ciel et terre pour donner une vie digne à leurs proches.

Mais sans une réelle volonté politique accompagnée des financements adéquats et doublée d’une action énergique en termes de formation et de recrutement, d’autres ministres viendront régulièrement nous expliquer, à la manière du Pangloss de Voltaire, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

 

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