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Le PCR, la singularité d’un parti de 60 ans

Les observateurs et commentateurs qui apprécient le paysage politique de La Réunion à l’aulne de celui de l’Hexagone peinent toujours à comprendre le Parti Communiste Réunionnais. Un parti qui a cultivé une singularité politique et stratégique à partir des caractéristiques propres de La Réunion de l’après-guerre à nos jours. Pour le Parti Communiste Réunionnais, il […]

Ecrit par Zinfos 974 – le dimanche 19 mai 2019 à 16H33

Les observateurs et commentateurs qui apprécient le paysage politique de La Réunion à l’aulne de celui de l’Hexagone peinent toujours à comprendre le Parti Communiste Réunionnais. Un parti qui a cultivé une singularité politique et stratégique à partir des caractéristiques propres de La Réunion de l’après-guerre à nos jours.

Pour le Parti Communiste Réunionnais, il existe un peuple réunionnais, avec son pays, La Réunion, sa langue, son histoire, son métissage culturel et cultuel, dont il convient d’assurer la défense, le respect et l’épanouissement. Ce peuple a le droit et le devoir d’assurer son destin en dirigeant son pays, et en décidant de son avenir. Le PCR est donc un parti profondément identitaire qui défend sa singularité et celle de son peuple, les Réunionnais. Il revendique une pensée forgée dans l’histoire et le territoire de La Réunion, émancipée de toute tutelle.

Sur le plan fondamental, le PCR se bat pour la défense et la reconnaissance de l’identité réunionnaise, la liberté d’expression, le pluralisme journalistique, la démocratie électorale, le développement durable et solidaire de La Réunion…

Sur le plan de la gouvernance, le PCR réclame la responsabilisation des Réunionnais pour les affaires qui les concernent, dans le cadre de la République Française. En attendant cet avènement, le PCR a loyalement exploité toutes les ressources de la loi du 19 mars 1946 et celles des lois de Décentralisation, au profit des intérêts réunionnais. Toutefois, plus de 70 ans après 1946, et malgré des avancées sociales, sanitaires, éducatives, infrastructurelles, etc., arrachées par de dures luttes, le statut départemental n’a pas permis la sortie du régime colonial et de son corollaire, la pauvreté : pouvoir central dominant, monopoles commerciaux, exclusivité pavillonnaire, le tout sous perfusion de fonds publics qu’une oligarchie privée transforme en bénéfices et dividendes.

Sur le plan idéologique, le PCR est un parti qui analyse son territoire et son époque avec des outils d’inspiration marxiste. Sa conscience d’un monde “fini” le conduit à concevoir ses relations aux autres et à la Nature selon les principes de la “communauté de destin”, de la préservation de notre “bien commun” et, par conséquent, du respect d’autrui, de la solidarité et de la fraternité, tant au niveau intérieur que sur la scène internationale.

Sur le plan théorique, le PCR a élaboré un cadre de pensées qui s’inscrit face aux contradictions de la “Double Intégration de La Réunion” (institutionnelle, dans la République Française et dans l’Union Européenne, et géographique, dans l’Ouest de l’Océan Indien) et face aux conséquences des “4 Phénomènes Irréversibles” (l’évolution démographique, les effets du changement climatique, la mondialisation des échanges commerciaux et de la circulation des personnes, les innovations techniques et les découvertes scientifiques).

Mais comprendre le PCR nécessite de remonter quelques années avant sa fondation.

Les politologues et amateurs d’histoire politique connaissent bien le Comité Républicain d’Action Démocratique et Sociale (CRADS) dont Raymond Vergès fut l’un des principaux dirigeants et élus. Ce mouvement, au lendemain de la Guerre, a réuni des politiques de sensibilités idéologiques très variées (de “gauche” comme de “droite”), des syndicalistes, des acteurs culturels et sociaux, des chefs d’entreprises et des fonctionnaires, sur un projet de société commun : sortir du régime colonial, non par l’indépendance mais par l’Égalité avec l’ancienne Métropole. Ce choix original devait permettre une reconstruction économique et sociale de l’île plus rapidement et plus solidement que si elle était indépendante ; la loi du 19 mars 1946 promettant l’application de toutes les lois françaises en outremer « avant le 1er janvier 1947 ». Mais la France reniera sa parole donnée.

Le Parti du Consensus Responsable

Un autre événement symptomatique de l’esprit communiste réunionnais a lieu en 1954, lors de l’épisode dit de “Quartier-Français”. Cette année-là, la coopérative sucrière de Quartier-Français peine à rembourser l’emprunt accordé par la Banque de La Réunion. Les usiniers voisins, qui y voient là l’opportunité de se débarrasser d’un concurrent, encouragent les administrateurs de la banque à pousser les propriétaires débiteurs à la faillite et à l’expropriation.

Le directeur de l’usine, totalement aux abois, se laisse convaincre, par un ami d’enfance devenu syndicaliste, de faire appel à un tout jeune homme politique fraichement débarqué dans l’île après avoir servi dans les Forces Françaises Libres : Paul Vergès. Le futur fondateur du PCR dresse une analyse marxiste des contradictions en jeu et expose à son interlocuteur une issue possible : s’appuyer sur les intérêts des planteurs pour contrecarrer ceux des usiniers-concurrents et de la banque. En acceptant d’octroyer aux premiers une rémunération plus importante qu’à l’accoutumée, l’usine de Quartier-Français s’est attiré les faveurs d’un grand nombre de planteurs. Elle vit ainsi son chiffre d’affaire s’accroitre suffisamment pour honorer ses échéances bancaires.

Pour génial que soit ce coup, la singularité de l’événement ne réside pas seulement dans le déroulement de cette opération historique mais aussi et surtout dans l’identité des protagonistes : le “propriétaire” de l’usine avait affronté Raymond Vergès lors d’élections quelques années auparavant ; et il l’a fait de la manière la plus vile qui soit, insultant le père de Paul et déshonorant la mémoire de sa mère défunte. Il fut d’ailleurs pénalement condamné pour avoir publiquement déclaré que « Raymond Vergès avait tué son épouse, placé dans une malle et expédié en Chine » ! Que le directeur de l’usine (qui est le gendre dudit propriétaire) fut si désespéré qu’il accepta de s’entretenir avec Paul Vergès se conçoit. Mais comment expliquer que Paul Vergès, lui, se déplaça à la demeure de celui qui vociférait des vilénies à l’endroit de sa famille… pour l’aider à sauver son exploitation ?

La réponse se trouve dans les répercussions politiques de cette rencontre inattendue : capitalisant sur le succès obtenu par les planteurs autour de Quartier-Français, les communistes engagèrent une campagne de mobilisation des planteurs à travers toute l’île pour réclamer des autres usiniers le même traitement. Ce qui aboutit également au succès électoral de 1956 où Paul Vergès obtint la majorité absolue dans 23 des 24 communes. Ces succès ouvrirent également une période de répression administrative et politique inouïe, orchestrée par l’inénarrable Préfet Perrau-Pradier, et personnifiée par l’âpre affrontement de Paul Vergès et de Michel Debré.

À Quartier-Français, Paul Vergès nous a fait la leçon du dépassement de soi pour l’union des Réunionnais. Voilà la profonde singularité du Parti Communiste Réunionnais : sa capacité à dépasser les divergences pour se concentrer sur des intérêts communs au bénéfice du profit collectif populaire. Et le PCR l’a maintes fois démontré.

En effet, le PCR a été capable de travailler avec toutes les forces politiques de bonne volonté qui l’ont respecté. Il possède la plus grande culture du consensus du paysage politique réunionnais. Le PCR a partagé la majorité au Département avec Christophe Payet (socialiste), Éric Boyer (droite) et Nassimah Dindar (centriste) ; et à la Région avec Pierre Lagourgue (droite), Camille Sudre (sans étiquette), avec d’autres forces écologistes, centristes, de droites “sociale” ou “de terrain”, de gauches réunionnaises et françaises, à travers le Rassemblement ou l’Alliance. Enfin, le PCR a négocié l’application de l’Égalité Sociale avec Mitterrand et Chirac. Il a conclu le protocole d’accord de financement de Matignon avec Sarkozy et De Villepin.

Concrètement encore, le PCR a fait adopter à l’unanimité des groupes politiques de la Région ainsi que des syndicats patronaux et ouvriers le PDA (Plan de Développement Actif) de La Réunion en 1992. C’était un moment historique, où toutes les forces politiques, économiques, sociales et culturelles se sont accordées sur une analyse et des solutions pour La Réunion. C’est ce programme qui a guidé l’action de l’Alliance à la Région jusqu’en 2010.

En 2001, le PCR a été à l’initiative de la loi portant création de l’Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique (ONERC), votée à l’unanimité des députés et des sénateurs français, pour étudier les conséquences politiques du réchauffement climatique et de l’augmentation, en nombre et en intensité, des catastrophes naturelles. Auteur de cette loi, le sénateur communiste réunionnais Paul Vergès a présidé l’ONERC et remis annuellement un rapport politique et scientifique à tous les Premiers Ministres qui se sont succédés durant 15 ans.

En 2006, à l’occasion des célébrations des 60 ans de la loi du 19 mars 1946, Paul Vergès et Jean-Louis Debré, fils de Michel, signent la fin d’un affrontement de plusieurs décennies dans une accolade historique. Ils ouvrent ainsi la voie à la réconciliation et à l’unité des Réunionnais. Ce geste restera incompris des exaltés de l’opposition gauche/droite importée du paysage et de l’histoire politique hexagonale.

En 2010, le PCR était en passe de réaliser l’objectif de sa fondation : l’Autonomie de La Réunion, dans le cadre de la République Française. Aux succès des chantiers politiques (chauffe-eaux solaires, fermes solaires et éoliennes, route des Tamarins, coopération internationale, biodiversité, et bientôt tram-train, A380 pour Air Austral, Maison de l’Unité Réunionnaise…), s’ajoutaient les succès électoraux (en 2008, les candidats du PCR défaisaient les 2 bastions historiques de la droite départementaliste à Saint-Paul et à Saint-André, récupéraient Saint-Louis, partageaient la victoire à Saint-Leu, tout en conservant Le Port, La Possession et Sainte-Suzanne). Après le PDA adopté à l’unanimité à La Réunion en 1992, la loi Climat votée à l’unanimité du parlement français en 2001, et l’accolade Vergès-Debré en 2006, le PCR avait installé un climat pacifié dans les relations France-La Réunion, propice à la reconnaissance de la responsabilité et à l’émancipation des Réunionnais.

Depuis, le PCR a, certes, subi des défaites électorales. Mais c’est La Réunion qui a perdu. Aujourd’hui, le développement de La Réunion est dramatiquement stoppé. Les décisions majeures pour notre île sont toujours prises à Paris ; la balance commerciale de l’île est déficitaire à 96%, et majoritairement en provenance de l’Hexagone ; les principaux secteurs économiques de l’île sont tenus par des entreprises qui font remonter la totalité de leurs bénéfices hors de La Réunion. Le département est “socialement hors norme” : 24% de chômage (69% chez les jeunes de moins de 25 ans), 43% de la population sous le seuil de pauvreté national (50% des enfants en âge de scolarité), 110 000 illettrés, 25 000 demandes de logements insatisfaites, 300 000 Réunionnais vivent du RSA, un tiers bénéficie de la CMU…

Notre île demeure dans un système politico-économique que n’aurait pas renié Colbert. Ce que le PCR nomme un régime néo-colonial. Il n’y a objectivement pas de solutions pérennes dans le cadre institutionnel actuel. Dans l’urgence, un peu de plus de subventions par-ci et de contrats aidés par-là peut soulager, un temps, mais ne résout rien à terme.
La Réunion se porte-elle mieux depuis que les communistes ont été chassés de la direction de la Région et de celle du Département ? Objectivement, non. Est-ce que le PCR garde rancune envers ceux qui n’ont pas partagé ou ont même combattu ses projets ? Non. Forcément, non. Pourquoi ? Parce que le PCR sait que la seule issue vers la voie du développement durable et solidaire de La Réunion passe par l’unité d’une large majorité de Réunionnais sur le périmètre et les conditions d’exercice des responsabilités de leurs élus, pour la conduite de la destinée du pays. Cette unité ne peut se concevoir que dans le cadre d’un consensus par le dépassement de soi. Cela signifie que tous les protagonistes acceptent de surseoir une partie de leurs différences pour se concentrer sur leurs convergences. Dans ces conditions, même les personnes qui n’étaient pas rassembleuses hier peuvent le devenir demain.

La Conférence Territoriale Élargie en perspective

Nous convenons tous que la situation sociale et économique de La Réunion n’est pas tenable à terme. Nous pouvons convenir que 72 ans de départementalisation –dont 35 ans de décentralisation, plusieurs lois d’adaptation, d’orientation et lois programmes, et malgré d’indéniables avancées sanitaires, éducatives, sociales, infrastructurelles…– n’ont pas placé La Réunion sur la voie du développement ni durable ni solidaire.

À quelques très rares exceptions près, l’opportunité d’une révision de la gouvernance de La Réunion ne fait plus débat. Quel que soit le nom qu’on lui donnera (« nouvelle page » pour Emmanuel Macron, « égalité réelle » pour François Hollande, « développement endogène » pour Nicolas Sarkozy, « émancipation » pour Didier Robert, « changement de logiciel » pour Patrick Lebreton, « Paris i komand pa nou » pour Jean-Paul Virapoullé, « autonomie » pour le PCR…) il existe, objectivement, un “consensus de fait” à La Réunion pour une réforme du cadre institutionnel de 1946, faisant une large place à la responsabilisation des Réunionnais !

La droite et la gauche assimilationistes, avec le soutien des gouvernements français successifs, ont tenté de perfectionner la Départementalisation dans le but de conserver le statut quo. En vain. Les contradictions étant tellement insolubles qu’ils n’ont réussi qu’à retarder l’inéluctable : constater que le cadre institutionnel de 1946 a failli.
Mais nous pouvons convenir de la sincérité de leurs choix face à l’histoire.

Convenons que, pour la génération politique qui a vécu l’âpre affrontement Vergès-Debré, avec en arrière plan les guerres d’indépendances post-coloniales, l’instauration de l’alinéa n° 5 de l’article 73 de la Constitution procédait d’une crainte légitime : depuis les années 70, le PCR semblait irrémédiablement se renforcer à chaque scrutin, jusqu’aux plus hautes sphères régionales et nationales, cela pendant que les debréistes refluaient constamment. Le « péril indépendantiste » ne pouvait apparaître plus impérieux aux yeux de ceux-là qui doutaient de la bonne foi de “l’Autonomie Démocratique et Populaire de La Réunion, au sein de la République Française”.

Reconnaissons toutefois que 12 années de “pouvoir communiste” à la Région n’ont donné lieu à aucun signe, aussi infime soit-il, de nature indépendantiste. Convenons donc cette menace caduque ; que l’heure est venue de supprimer cet alinéa et d’ouvrir la voie à une réforme institutionnelle qui n’a que trop été différée.

Au début des années 80, l’alternance présidentielle française proposait la Décentralisation, présentée comme une politique « d’intégration sans assimilation » pouvant satisfaire les aspirations autonomistes. En acceptant l’expérimentation, le PCR déclara solennellement : « Une politique décidée à 10 000 km étant vouée à l’échec, tôt ou tard, le choix de l’Autonomie s’imposera ! ». Cette heure est venue. L’outil pour la formation du consensus d’union des Réunionnais est indiqué : c’est la Conférence Territoriale d’Action Publique élargie à toutes les forces de proposition, pour l’adoption d’un nouveau projet global et cohérent de développement durable et solidaire de La Réunion.
 
Durant 6 décennies, le PCR a forgé des cadres et des militants émérites qui se sont épanouis en son sein et/ou à travers tout le paysage politique, syndical, social, culturel et institutionnel réunionnais. Comprenons qu’il n’est nul besoin que les uns disparaissent pour que les autres existent. Voilà encore une singularité du PCR.

 

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