Revenir à la rubrique : Courrier des lecteurs

Le Dieu de Marie

La liturgie de la fête de l’Assomption du 15 août nous donne l’heureuse occasion d’entendre, dans l’Évangile du jour, le magnifique chant de louange et de reconnaissance de Marie, le Magnificat ‒ « Magnificat anima mea Dominum /Mon âme exalte le Seigneur… ». D’abord récité au cours de la liturgie, puis musicalisé très sobrement et ensuite chanté, ce […]

Ecrit par Reynolds MICHEL – le mercredi 14 août 2019 à 16H27

La liturgie de la fête de l’Assomption du 15 août nous donne l’heureuse occasion d’entendre, dans l’Évangile du jour, le magnifique chant de louange et de reconnaissance de Marie, le Magnificat ‒ « Magnificat anima mea Dominum /Mon âme exalte le Seigneur… ». D’abord récité au cours de la liturgie, puis musicalisé très sobrement et ensuite chanté, ce texte, qui n’apparaît que dans l’Evangile de Luc (Luc 1, 46-55), est aujourd’hui chanté quotidiennement par les moines…« à l’heure des Vêpres où le soleil prend mesure de la terre » (Paul Claudel).

Le Magnificat nous est donné d’abord comme l’expression des sentiments de Marie, à la suite du message bouleversant qui lui a été communiqué par l’ange de l’Annonciation (Luc 1, 26-38) et en réponse directe à l’éloge qu’Élisabeth vient de lui adresser (Luc 1, 42-45). Après l’Annonciation ‒ pour le dire plus clairement ‒ Marie, alors enceinte de Jésus, va donc trouver sa cousine Élisabeth, enceinte de Jean-Baptiste. Celle-ci la salue comme la femme « bénie entre toutes les femmes ». C’est alors que Marie répond par le Magnificat :
 
Mon âme exalte le Seigneur ;
Exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ;
Il s’est penché sur son humble servante ;
Désormais tous les âges me diront bienheureuse.
Le Puissant fit pour moi des merveilles : saint est son Nom ! (Luc 1, 46-49).
 
Les mots très simples par lesquels Marie avaient traduit sa foi en accueillant et en acceptant le message de l’ange : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » (v.38), reçoivent ici une amplification lyrique qui dévoile leurs implications profondes, comme le note le bibliste Jacques Dupond. Qui mieux qu’elle pouvait interpréter ce qui lui arrive. Qui mieux qu’elle pouvait célébrer cette irruption de la grâce divine dans son existence, faisant d’elle, elle l’humble fille de Nazareth, la mère du Seigneur. A la parole d’Élisabeth : « Bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur », Marie explose de joie et de reconnaissance. Et nous l’entendons rendre grâce pour les bienfaits dont Dieu l’a comblée, à savoir la maternité prodigieuse qui s’accomplit en elle.
 
Un Dieu qui se range du côté des pauvres et des sans-pouvoir.
 
L’action de grâce de Marie, dans la première partie de ce chant, est toute personnelle. C’est une voix soliste en quelque sorte qui s’élève vers le ciel, mais dans la deuxième partie, la voix soliste laisse place à une voix qui épouse celle de toute la communauté des fidèles qui célèbrent les choix surprenants de Dieu. Marie parle alors en parfaite représentante de son peuple en célébrant les hauts faits de Dieu dans l’histoire du salut de son peuple : de la libération d’Egypte au retour en Israël en passant par la libération d’exil à Babylone. Elle loue et célèbre sa miséricorde dans un langage totalement biblique :
 
« Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent.
Déployant la force de son bras, il disperse les superbes.
Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.
Il relève Israël son serviteur, il se souvient de son amour,
de la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais. »
(Luc 1, 50-55)
 
Le verset 50 ‒ « Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » ‒ marque la transition entre ce que Dieu a fait pour Marie et ce qu’il a fait dans l’histoire pour son peuple, situant ainsi le Magnificat dans ce processus de salut/libération. Comme il a fait sortir Israël d’Egypte, Dieu par la force de son bras disperse les hommes au cœur superbe, renverse les potentats, élève les humbles, comble de biens les affamés, renvoie les riches et vient en aide à son peuple. C’est renversant ! C’est subversif ! C’est révolutionnaire ! Le Dieu du Magnificat ne plane pas dans les hauteurs au-dessus de la réalité socio-politique : il se range résolument du côté des humbles, des plus pauvres, des sans-pouvoir, de celles et ceux que les puissants regardent de haut et, souvent, méprisent. C’est l’honneur de son nom très saint. Et Marie applaudit et rend grâce pour cela par un chant de victoire. Rien de mièvre en cette jeune mère. Son action de grâces et sa joie sont étroitement liées à l’action de Dieu qui libère les opprimés et humilie les puissants.
 
La Marie du Magnificat, celle de l’Evangile de Luc [1], croit en un Dieu qui libère. Et parce qu’elle y croit, elle sait qu’il faut participer aux renversements des situations injustes qui défigurent les hommes et le monde. Et elle s’engage par un grand OUI : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » (v.38).
 
Le Réformateur Martin Luther disait, dans la ligne d’ailleurs de ce que nous soulignions plus haut, que Marie « n’a pas chanté ce cantique seulement pour elle, mais pour nous tous, afin de nous entraîner à le chanter à sa suite ». Il nous revient en effet de reprendre à notre compte le Magnificat de Marie en nous laissant guider par ce chant de lutte et de joie, de victoire et d’humilité. Chanter le Magnificat avec Marie, c’est donc entendre la clameur pour la justice et s’engager à y répondre de toutes ses forces. Chanter le Magnificat, c’est emprunter avec Marie les chemins de la visitation : chemins de la rencontre, de la solidarité, de la fraternité et de la convivialité pour le dire plus simplement.

————–
 

[1] Ce chant aux accents poétiques que l’évangéliste Luc met sur les lèvres de Marie est tissé de références à l’Ancien Testament où l’on reconnaît l’action de Dieu pour les humbles (Samuel 2, 1-11, les psaumes, Isaïe, Michée…). sans doute pour signifier aussi  la culture biblique de Marie, jeune fille juive de son temps. C’est, par ailleurs, une pièce de choix dans la musicologie chrétienne. Par ailleurs, comme me l’a signalé une amie, le Magnificat est une pièce de choix dans la musicologie chrétienne (H. Schütz, J.S. Bach, W.A. Mozart, Antonio Vivaldi…).
 

 

Thèmes :
Message fin article

Avez-vous aimé cet article ?

Partagez-le sans tarder sur les réseaux sociaux, abonnez-vous à notre Newsletter,
et restez à l'affût de nos dernières actualités en nous suivant sur Google Actualités.

Pour accéder à nos articles en continu, voici notre flux RSS : https://www.zinfos974.com/feed
Une meilleure expérience de lecture !
nous suggérons l'utilisation de Feedly.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires