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Le Collectif contre la digue relance le débat sur la NRL

Faire un trajet en voiture à La Réunion… Tout un poème. Le taux d’équipement des ménages réunionnais en véhicules est inférieur à celui de métropole. Et le réseau routier est beaucoup moins dense, seulement 4 kilomètres de route pour 1 000 habitants, au lieu de 20 dans l’Hexagone. Pour l’essentiel en bord de mer. Au […]

Ecrit par Bruno Bourgeon, porte-parole d’AID – le vendredi 22 mars 2019 à 15H28

Faire un trajet en voiture à La Réunion… Tout un poème. Le taux d’équipement des ménages réunionnais en véhicules est inférieur à celui de métropole. Et le réseau routier est beaucoup moins dense, seulement 4 kilomètres de route pour 1 000 habitants, au lieu de 20 dans l’Hexagone. Pour l’essentiel en bord de mer. Au volant, il est conseillé de s’armer de patience.

La « route en corniche » est le principal axe de l’île. Coincée entre falaise et mer, elle a de plus en plus de mal à absorber le trafic. Elle pose de nombreuses questions de sécurité. Soumise aux assauts de la houle et aux chutes de blocs des falaises qui la surplombent (l’éboulement massif de 2006 a fait deux victimes), elle fait l’objet de basculements ou de fermetures.

Il a fallu une solution. La région Réunion lance en décembre 2013 le chantier de la NRL. Long de 12,5 km, ce projet défie tous les records. La « 2 × 3 voies » (2 × 2 voies, et une voie dans chaque sens réservée à un transport en commun à définir, reliera Saint-Denis à l’ouest pour 1,89 milliard d’euros (700 millions d’euros à la charge de la région, 790 de l’Etat et 150 autres issus de fonds européens, et déjà 250 millions de dépassement à la charge de la région). Soit… 145 millions d’euros par km contre « seulement » 15 millions d’euros pour un km d’autoroute, ou 25 millions par km de ligne à grande vitesse. Alors que les besoins sont énormes sur les questions énergétiques, les établissements d’enseignement ou les transports de proximité, le coût d’opportunité de ces projets apparaît considérable.

Le projet pose des questions environnementales. La région fait valoir une « démarche environnementale sur le chantier de la NRL », à laquelle a été allouée une enveloppe de 80 millions d’euros (5 % du montant initial du projet) ; cependant les 150 mesures prises pour « éviter, réduire et compenser » ne sauraient prévenir des déséquilibres. Epinglée en décembre 2018 par un avis défavorable de la CNPN, la région est invitée à remettre en cause le postulat de non-impact de la nouvelle route littorale sur les conditions écologiques de la falaise. Ainsi la diminution des embruns pourrait aboutir à la disparition de plus de 60 % de la population mondiale du bois de paille en queue et encourager les espèces invasives. « La route aura un impact important sur des espèces marines protégées, telle que la baleine à bosses, le grand dauphin indo-pacifique, la tortue verte et la tortue imbriquée, à cause du bruit lié aux travaux, de la destruction d’habitats et de réserves de nourriture », ajoute la SREPEN.

Croire que la montée des oppositions aux grands projets est la résultante d’un déficit de consultation laisse penser qu’en améliorant le débat, tout pourrait aboutir à un consensus. Ne peut-on accepter, devant l’urgence climatique, que ce sont les projets eux-mêmes qui posent problème ? Est-ce encore opportun des infrastructures qui augmentent le trafic routier ou aérien, principal émetteur de gaz à effets de serre ? Au lieu de cela, les élus de tous bords considèrent ce chantier comme une course d’obstacles où ils doivent gérer les mécontentements perturbateurs.

Confiés au tandem Vinci-Bouygues, les travaux ont commencé en 2014. Prévue pour 2021, l’ouverture est retardée sans nouvelle échéance. Si la digue (2,5 km) à l’entrée de Saint-Denis et le grand viaduc (5,4 km) devant rejoindre la pointe de la Grande-Chaloupe sont bien avancés, le chantier est sous la critique. La dernière partie sera en digue sur 4,6 km, avec emprise plus importante sur les écosystèmes marins.

L’option « viaduc + digue » ayant été préférée au « tout-viaduc », l’ouvrage nécessite 18 millions de tonnes de roches. Le préfet de La Réunion a fait modifier, dès 2014, le schéma départemental des carrières de l’île pour permettre l’exploitation de quatre nouveaux sites d’extraction dont celui de « la Ravine du trou », sur la commune de Saint-Leu. Malgré l’annulation l’été dernier de cette modification par la cour d’appel administrative de Bordeaux – au motif qu’elle ne pouvait intervenir sans évaluation environnementale fouillée – le préfet a publié un nouvel arrêté pour l’exploitation du site par la SCPR. La justification de l’ouverture de la carrière va au-delà de la seule route littorale, car dans un contexte de croissance démographique (vraiment ?), l’île a besoin de matériaux pour construire de nouveaux logements et infrastructures.

Réaction du collectif « Touch pa nout roche » mobilisé depuis 2015 contre l’ouverture de la carrière. « Les premières maisons sont situées à 150 mètres de la carrière, et l’on compte 6 écoles à moins d’un kilomètre », dit la porte-parole Elodie Marais. Bruno Domen, maire de Saint-Leu, a pris acte d’une décision préfectorale incompréhensible. Le président de la DEAL, Jean-Michel Maurin, y voit l’expression contestataire de citoyens qui souhaiteraient cette carrière « partout sauf près de chez eux ». Ce « Not in my backyard » (pas dans mon arrière-cour) est la première étape de toute forme de résistance politique. La politisation par l’affect n’est pas moins légitime qu’une autre. Ces mouvements citoyens contre la nouvelle route littorale remobilisent autour des enjeux écologiques, encore trop souvent réglés dans l’indifférence générale.

Dans les grands projets, les enjeux dépassent le débat. Si la région ne prévoit pas de hausse de trafic, la NRL fait la part belle à la voiture, principale source d’émissions de gaz à effets de serre à La Réunion. Quelles que soient les motivations, quand on est contre la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, on n’accepte pas un plus petit aéroport. Il n’y a aucun compromis possible : deux visions du monde s’opposent. Qu’ils œuvrent contre la carrière de Bois-Blanc, pour la protection du site de la Grande-Chaloupe ou pour celle du récif corallien du banc des Lataniers, les citoyens ont monté un Collectif contre la digue. Et ils ont obtenu la création d’un comité de discussion avec la région et l’Etat le 18 février dernier.

Au vu de l’avancée des travaux engagés et des montants en jeu, il est trop tard pour envisager un arrêt des travaux ou le retour à des alternatives, tel le transport ferroviaire. De simples réadaptations seront à l’ordre du jour. Mais parce qu’elles obligent à se pencher sur le problème et à lui trouver une solution, ces oppositions ouvrent le débat. Et dans le cas présent, peuvent contribuer à préserver l’environnement. Grands mercis au collectif.

D’après Alternatives économiques du 13/02/2019

 

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