"Une honte, c’est une honte!". Ces mots qui transpercent le silence gêné de la salle Pleyel sont ceux de l’actrice Adèle Haenel en quittant les lieux. Elle est suivie par plusieurs autres personnes, dont la réalisatrice Céline Sciamma. La raison : Roman Polanski vient d’être sacré meilleur réalisateur lors de la 45e cérémonie des Césars. Cette cérémonie sentait la poudre, le cinéma français a apporté l’étincelle.
A l'annonce du César de la Meilleure Réalisation pour Roman Polanski ("J'accuse"), Adèle Haenel quitte la salle.
— CANAL+ (@canalplus) February 28, 2020
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Adèle Haenel avait jeté un pavé dans la mare en novembre dernier lorsqu’elle avait accusé publiquement le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements alors qu’elle n’avait que 12 ans. Depuis, une enquête judiciaire est en cours. L’opinion publique et le métier semblaient alors la soutenir, félicitant ce geste courageux.
Dans une interview publiée lundi dernier dans le New York Times, l’actrice déclarait que « distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes ». À présent, même toutes larmes de son corps ne pourront effacer l’affront que "la grande famille" du cinéma français vient de lui jeter en pleine face. Car oui, c’est bien un vote parmi les professionnels du cinéma qui a consacré le réalisateur d’origine polonaise.
Chez Femmes 974, Fabienne Couapel-Sauret, préfère laisser à chaque membre de l’association son avis sur le sujet. "C'est un sujet clivant et chacun à son opinion personnelle » déclare-t-elle. La présidente de l'association insiste sur « la libération de la parole. On le voit actuellement dans le cinéma et le sport. La parole des victimes doit être entendue et conduire à la condamnation des comportements inappropriés et des prédateurs sexuels. C'est ça qui fera changer la peur de camp ».
Un peu plus de révolte pour Karine Lebon, secrétaire générale de l’Union des Femmes Réunionnaises. "C’est scandaleux. Après MeToo, après l’affaire Weinstein, on pensait que les choses avançaient. Mais en France, on n’a toujours pas avancé. Un violeur peut-être récompensé !", regrette-t-elle.
Celle qui est également comédienne refuse cette idée souvent défendue de séparer l’homme de l’artiste. "C’est complètement hypocrite. C’est le même corps qui viole et qui filme ! Si un terroriste fait de belles réalisations artistiques, doit-il être libéré ? On fait quoi après ? On expose "l’artiste" Hitler ? Les artistes peuvent jouir d’une immunité présidentielle ?" ajoute-t-elle.
L’Amérique condamne, la France récompense
Cette 45e édition laissera une trace indélébile sur l’Académie des Césars. La simple nomination du réalisateur avait suscité la consternation des nombreuses associations luttant contre les violences faites aux femmes. Plusieurs associations féministes ont vigoureusement manifesté devant le lieu de la cérémonie. Roman Polanski et les acteurs du film, dont Jean Dujardin, ne s’étaient pas déplacés. J’accuse repart toutefois avec 3 statuettes.
Un prix qui intervient seulement quelques jours après la condamnation pour viol et agression sexuelle d’Harvey Weinstein, le puissant producteur américain. De là à penser que d’un côté de l’Atlantique, choisir un bon professeur de théâtre est plus judicieux qu’un bon avocat, il n’y a qu’un pas.