Au départ, la concession du Baril est attribuée à Feydeau-Dumesnil vers1726. Longtemps couverte de forêts primaires, elle s’étend de Basse Vallée à Mare Longue et comporte 110 parcelles. Le travail de défrichage assuré par des esclaves puis en fin de siècle par des engagés Malgaches spécialement amenés sur place, est ardu. Depuis, l’habitation du Baril a appartenu à plusieurs familles dont les plus connues sont celles d’Anicet Orré, de Montbel Fontaine et d’Edvin Hoarau.
La maison a été construite par Anicet Orré, bourgeois aisé qui ne l’a pas habitée longtemps. Cette maison se targuait d’une réputation de maison galante. En effet, elle a été construite avec de vastes salles de hauts plafonds pouvant recevoir de nombreux invités.Les séparations en bois de deux grandes salles du rez-de-chaussée étaient amovibles et une fois les parois poussées, laissaient place à une immense salle de réception. Les fêtes y étaient fastueuses en présence d’illustres invités.
Deux vérandas longent les façades avant et arrière. Celle de l’avant fait face à la mer souvent agitée contre les falaises volcaniques et l’usine se trouve à sa droite. La véranda arrière est supportée par des colonnes sculptées en bois de natte et en bronze coulées. Elle donne sur le jardin principalement composé d’essences rares et d’une fontaine de marbre blanc, sans doute le même que celui du caveau de la famille de Antoine Numa Reilhac dans le cimetière de Saint-Pierre, qui en est le propriétaire jusqu’en 1862. Ses héritiers fractionnent alors pour la première fois le domaine. Ainsi, réduit Le Baril est racheté par Montbel-Fontaine, qui y fait construire l’usine.
La commune connait depuis sa création de gros problèmes d’alimentation en eau. Dans la région, plusieurs puits sont forés. Le creusement du canal Saint-Etienne qui intervient entre 1821 et 1827 à l’initiative de Frappier de Montbenoit, Hoareau Desruisseaux et Augustin Motais de Narbonne, sollicite de nombreux esclaves de l’habitation. Leurs camps du Baril de 125 pièces tout comme la maison du commandeur, déjà existants, sont contournés. Gabrielle Hoarau-Dupont raconte que les différentes ethnies ne se mêlaient pas. Les Africains connaissaient les plantes et leurs bienfaits contre les maladies parfois mortelles. Les engagés «Malbars » à leur arrivée vers la moitié du XIXe siècle, sont autorisés à exercer leurs pratiques religieuses entre prédictions, sacrifices et carêmes, tout en angoissant leur entourage circonspect. La pratique du catholicisme accentuée et obligatoire ne peut gommer ces coutumes.
La construction de l’usine du Baril arrive bien tardivement. En effet, Jacques Henry Montbel Fontaine (1809- 1890) la termine en 1863. Alors que les autres usines de l’île commencent à fermer ou à se regrouper. Montbel Fontaine y a investi la somme d’un million six cent mille francs. L’essor de la betterave, la baisse du prix du sucre et aussi le coût du fonctionnement et de la main d’œuvre vont précipiter sa chute. Vers 1880, pour trois cent mille francs le Crédit Foncier Colonial devient encore une fois propriétaire d’une usine en difficulté. L’objectif de la banque cette fois est de développer la culture et la production du sucre à Saint-Philippe. Elle aménage la belle maison de maître en pierres de taille et en bois de fer jusqu’en 1887.
A l’époque la fabrication du sucre se faisait de manière artisanale. Une fois le jus extrait par pression, il était chauffé dans des vasques en fonte sur un feu alimenté en bois mais le « turbinage insuffisant » demandait une exposition au soleil pour un complément de séchage. Cette exposition au soleil se faisait sur l’argamasse construite à l’arrière de la maison, initialement pour le séchage de café dont la culture a été arrêtée à cette époque au profit de la canne à sucre.
La faillite du Crédit foncier colonial permet alors à la famille Ratinaud d’en devenir acquéreur. Qui en 1928, abandonne à son tour cette propriété de l’extrême sud de l’île au profit de Dominique Edvin Hoarau qui en devient à son tour propriétaire. Edwin Hoarau s’y installe avec sa famille, il y fait construire une petite centrale électrique. La fermeture définitive de l’usine survient en 1892. Pendant les deux guerres mondiales du XXème l’usine se transforme en féculerie pour pallier aux manques cruciaux de nourriture.
La vie dans l’île n’était facile pour personne d’après le témoignage de Gabrielle Hoarau-Dupont : « nos habitudes étaient familiales et même austères. Anicet Orré fils a été une exception ». En 1966, dans son livre Gabrielle Hoarau-Dupont parle d’Anicet Orré : «La disparition de cet homme de goût emporté par la force de l’âge a si vivement frappé l’imagination populaire, que les gens d’alentour croient entendre encore le pas rythmé et autoritaire du maître. »
La propriété abrite les ruines d’une prison d’esclave que personne ne veut occuper, reconvertie en serre. « En cas de délit grave on enfermait les hommes dans des niches semblables à celles qui protègent les statues sur la façade de certaines églises ». Mais Gabrielle en 1966 se défendait de faire partie d’une famille qui a pratiqué ces méthodes inhumaines. Les dépendances et les écuries en pierres de tailles ont résisté à l’usure du temps.
Un incendie détruit la maison en 1986, avec tout ce quelle contenait d’authentique, meubles, tapisseries, photos et archives. Elle a été reconstruite à l’identique et abrite encore les héritiers d’Edvin Hoarau. L’usine appartient aujourd’hui à la commune de Saint-Philippe d’après le responsable du Musée « Au bon Roi Louis ».
La cheminée de l’ancienne usine sucrière du Baril comme celle de Trinité à Saint-Philippe, sont inscrites à l’inventaire des Monuments historiques depuis le 11 juillet 2002.
De nombreux objets de l’usine du Baril et du patrimoine de la commune sont préservés à l’écomusée «Au Bon Roi Louis », il reste à protéger les murs de basalte de la vieille usine et de la maison de maître.
N.B. : L’usine, le domaine et l’écomusée « Au Bon Roi Louis » seront visibles pendant le week-end du Patrimoine du 19 et 20 septembre 2009.
Sources :
– Ecomusée « Au bon Roi Louis » – St-Philippe
– Autour d’un domaine créole – Gabrielle Hoarau-Dupont et Constance Wong Hee Kam – Ed. Biais Paris – Imp. H. Ganowski- 1966
– Deux siècles et demi de l’histoire d’une famille réunionnaise 1730-1915 (2) Jean-Claude Félix Fontaine L’Harmattan 2005
Dans ce livre Jean-Claude Félix Fontaine descendant de Montbel Fontaine raconte l’histoire de la construction de l’usine du Baril.